L’université défraie à nouveau la chronique en Algérie. Elle ne se retrouve pas au coeur de l’actualité pour ses réalisations et ses progrès accomplis. Elle ne fait pas parler d’elle pour ses mérites pédagogiques et sa participation au développement du pays. Elle attire les projecteurs pour ses dérives et ses scandales successifs.
Cette fois–ci, c’est à l’Ecole nationale supérieure d’agronomie (ex-INA d’El Harrach) que la polémique fait rage. Au lieu de se consacrer à la sécurité alimentaire de notre pays, qui dépend encore entièrement de ses importations, une facture salée de plusieurs milliards de dollars, cette école supérieure vit depuis plusieurs jours au rythme d’un bras-de-fer qui oppose des enseignants sanctionnés à leur direction. Officiellement, deux professeurs affirment qu’ils ont été licenciés pour ce qu’ils qualifient de « délit d’expression ». Ils ont, affirment-ils, dénoncé de graves dysfonctionnements dans leur école et certaines pratiques de népotisme devenues monnaie courante dans nos universités. Une mesure arbitraire qui bouleverse la webosphère algérienne et suscite une vague d’émotion sur les réseaux sociaux.
Des enseignants intègres sanctionnés pour avoir osé réclamer la transparence dans la gestion de leur école. Une hogra inqualifiable. Dans une lettre publique, le professeur Rosa Issolah, un des cadres de cette école supérieure, explique que les enseignants paient le prix de leur courage après avoir interpellé les autorités sur les cas de « plusieurs graves dysfonctionnements dont des inscriptions illégales de bacheliers en classes préparatoires sans moyenne requise et en doctorat sans concours ». « Contre toute logique universelle, et contre le droit à la liberté académique et d’opinion, Tahar Hadjar, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a donné instruction pour licencier ces professeurs », révèle encore cet enseignant. De son côté, la direction de l’établissement dément ces accusations et crie au complot ! « C’est faux. Ils ne sont pas encore licenciés. Ils ont reçu la notification du PV de la commission disciplinaire. Ils ont un mois pour faire recours. D’ailleurs, s’ils étaient vraiment licenciés, pourquoi ont-ils reçu la moitié du salaire de base du mois de novembre ? Un licenciement n’ouvre pas droit au salaire », assure le directeur de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie à nos collègues d’El Watan.
Ce dernier charge ses « adversaires » et les accuse d’avoir manqué à leur obligations professionnelles. L’opinion publique se retrouve ainsi désarçonnée par cet imbroglio où tout le monde s’accuse et s’insulte et où personne n’aborde réellement le fond du problème : notre université est le parfait reflet de la décadence de notre société. Dans nos amphis, nous retrouvons le clanisme, le culte de la médiocrité, l’hypocrisie générale, la malhonnêteté intellectuelle. Bref, tous les vices qui rongent profondément notre pays et compromettent son développement! Notre université n’est plus ce lieu de réflexion, cet incubateur d’idées et cet espace d’élaboration de projets scientifiques. C’est celle-là la leçon que l’on peut tirer de la situation ubuesque que traverse l’Ecole nationale supérieure d’agronomie (ENSA). La compétence n’est plus respectée. Elle n’est plus considérée comme la référence dans la gestion de nos universités. L’enseignant compétent, le recteur intègre, le chef de département sérieux sont combattus dans notre pays. Méprisés, rejetés et diabolisés, les gens du savoir sont découragés par un régime qui a visiblement opté pour une stratégie d’abrutissement de masse.
Pis, la société, elle-même, discrédite le savoir au point de ne plus s’intéresser aux problèmes des universités du pays. Une société obnubilée par la nourriture, les logements, les véhicules neufs et autres fadaises. Le reste, le savoir, le développement, l’instruction, c’est du superflu. A l’ENSA, ce n’est pas le DRS, ou l’Etat-major de l’armée, ou les autres officines secrètes du régime qui sabotent la recherche scientifique et l’enseignement supérieur. Ce sont nos mentalités arriérées et notre désintérêt vis-à-vis du savoir et de la compétence qui expliquent les tenants et aboutissants de ce scandale national.