Va-t-on un jour nous libérer de l’image «mythique» de l’Algérie 1982 ? Il est totalement compréhensif qu’une nation ait besoin de mythe pour se construire, durer dans le temps et rassembler ses enfants. Il est encore plus compréhensif qu’un exploit façonne des générations entières. Mais qu’un simple match de football donne lieu à autant de fantasmagories collectives, c’en est vraiment trop.
L’Algérie a battu la grande équipe d’Allemagne lors de la Coupe du Monde de 1982. C’est grandiose. Elle damé le pion à une grande nation de football. C’est magnifique. Elle a même failli se qualifier au deuxième tour s’il n’y avait pas cette «entente tricheuse» entre l’Allemagne et l’Autriche lors du dernier match de poule. C’est certainement un fait extraordinaire qui doit nourrir l’imagination. Mais 32 ans après, cette belle victoire contre l’Allemagne a, malheureusement, borné complètement notre imaginaire. Ce match de football qui était censé devenir un exemple de réussite et de ferveur pour les générations futures en Algérie est, au contraire, devenu un mythe incontestable transformé en un carcan presque religieux. L’Algérie a battu l’Allemagne et puis c’est tout ! Et qu’a-t-on fait après ? Presque rien ! Une seule Coupe d’Afrique en 1990 et il fallait attendre 28 ans après 1986 pour inscrire un seul but en match de Coupe du Monde. Est-ce glorifiant ? Pas du tout. Quand un pays se fige dans la célébration d’un seul exploit durant des décennies, il se suicide intellectuellement et sportivement. Il s’empêche lui-même d’aller vers l’avant pour chercher d’autres exploits à même de lui assurer de prometteuses perspectives sportives, économiques, politiques ou culturelles.
Depuis ce match de 1982, l’Algérie a cessé de regarder l’avenir et même à le penser. Cette victoire contre l’Allemagne est devenue un rétroviseur dans lequel nous regardons encore et toujours. On s’est arrêté de rêver, d’espérer et d’imaginer de nouvelles conquêtes. Il y a eu cette victoire contre l’Allemagne et cela nous a suffi largement. Les joueurs qui ont disputé ce match, nous les avons héroïsés. Mieux encore, certains d’entre eux sont devenus des «Dieux» dont la parole, les pronostics, l’analyse, sont tout bonnement incontestables. Ces glorieux joueurs ne peuvent pas se tromper. Et pourtant, de nombreuses erreurs, dérives et dérapages ont miné le football algérien depuis 1982. Dans les multiples scandales qui ont plongé notre football dans les pires crises de son existence, de nombreux joueurs de 1982 ont joué un rôle controversé. Et pourtant, personne n’a osé leur demander des comptes.
Quand à la société algérienne droguée par cette victoire depuis toutes ces années, elle s’est anesthésiée et compare tout et n’importe quoi avec les Majder et Belloumi. Pourquoi il n’est pas comme Madjer ou Belloumi ? Pourquoi pas un entraîneur comme Madjer et Belloumi ? Pourquoi pas un ministre ou dirigeant comme Madjer et Belloumi ? Ces grands joueurs ont naturellement été récupérés politiquement par un régime qui aime satisfaire les instincts grégaires de la société qu’il veut dominer. Durant la campagne électorale pour le 4e mandat de Bouteflika, les célèbres Madjer et Belloumi ont rejoint le camp des puissants soutiens du Président sortant. Ont-ils été convaincus par un projet de société ? Naturellement non. Ces glorieux joueurs se contentaient de répéter ce que les cellules de communication du cercle présidentiel leurs écrivaient dans des feuilles de route. «La stabilité et la stabilité». Ces deux grands joueurs n’ont même pas jugé important et utile d’interroger nos autorités sur l’absence tragique dans notre propre pays d’un seul stade de football conforme aux normes internationales.
Que reste-t-il de cette glorieuse équipe de 1982 ? Que des cendres sur lesquelles nous pleurons nos désillusions. Le Cameroun qui a battu en 1990 l’Argentine, les Champions du Monde de 1986, a su comment transcender l’euphorie pour faire de cette victoire un véritable tremplin vers de nouveaux succès. Quart-de-finaliste de la Coupe du Monde de 1990, le Cameroun a participé à presque toutes les autres Coupes du Monde successives. Il a produit de grands joueurs qui ont défendu son drapeau dans le monde entier. L’Algérie, depuis 1982, elle s’est enfermée dans l’aquarium de ses souvenirs. En 2010 et 2014, presque la totalité des ses joueurs composant la sélection nationale de football qualifiée au Mondial 2010 et 2014 sont nés et formés à l’étranger. Beaucoup d’entre eux ont choisi l’Algérie après avoir été refusés par l’équipe de France. Et au lieu de penser à un nouveau modèle de gestion de nos sports et de presser nos autorités à cesser de saccager notre football en l’instrumentalisant politiquement, nous continuons à fantasmer sur l’équipe de 1982 et à demander à Feghouli, Bougherra ou Taïder de se coiffer comme Belloumi et Madjer afin de gagner des matchs !
Y’en a marre du mythe de l’Algérie de 1982. Il est temps de donner un peu d’attention à l’Algérie de 2014. Et pour ce faire, il faut se réveiller de cette léthargie collective créée par le poids étouffant de ce mythe footballistique.