Abdelaziz Bouteflika, l’homme qui ne meurt jamais

Redaction

C’est fait, le 5 novembre, le président Bouteflika a battu le record national de longévité au pouvoir en Algérie. 13 ans, 6 mois et 9 jours. Portrait d’un immortel.

Le précédent record était détenu par Houari Boumediene, qui avait régné sur l’Algérie pendant 13 ans, 6 mois et 8 jours (entre 1965 et 1978) avec un pseudonyme, son vrai nom étant Mohamed Ben Brahim Boukharrouba. Mort en 1978 des suites d’une maladie rarissime du sang, la maladie de Waldenström, le colonel Boumediene avait laissé la voie ouverte à sa succession.

C’est d’ailleurs l’actuel président Abdelaziz Bouteflika qui pensait lui succéder, en tant qu’ami, élève, petit frère et son inamovible ministre des Affaires étrangères depuis son coup d’Etat en 1965 contre le premier président algérien, Ahmed Ben Bella (1962-1965).

Bouteflika ne sera pas président, les militaires ayant décidé de porter au pouvoir, en 1979, l’un des leurs, le colonel Chadli Bendjedid pour sa fonction «d’officier le plus gradé en poste depuis le plus longtemps», confirmant que le temps est bien un critère politique.

Abdelaziz Bouteflika, déçu, est limogé du gouvernement et le nouveau président lui colle même un procès public pour avoir détourné de l’argent des ambassades à l’étranger.

Patient, habile calculateur et revanchard, il aura attendu 20 ans pour être nommé président, en 1999, l’élection qui a suivi n’étant qu’une formalité.

13 ans plus tard, il aura enterré tout le monde, le premier président, Ahmed Ben Bella, Boumediene et Mohamed Boudiaf, assassiné en 1992, mais aussi Chadli Bendjedid, décédé, le 5 octobre.

Restent en concurrence le général Liamine Zeroual, président entre 1994 et 1999 et le colonel Ali Kafi, qui a eu à diriger, un temps, en 1992, une présidence collégiale après l’assassinat de Boudiaf. Abdelaziz Bouteflika, que la rumeur donne mort tous les 3 mois et que l’on dit tous les jours malade et dépérissant, est immortel.

Plus jeune ministre, plus vieux président

Autre record détenu par Bouteflika, il aura été le plus longtemps au poste de ministre des Affaires étrangères, pendant 14 ans, détenant également le statut du plus jeune ministre des Affaires étrangères au monde, disait-on à l’époque.

Il est aujourd’hui, à l’âge de 75 ans, le plus vieux président à avoir régné en Algérie et l’un des plus dirigeants d’Afrique et du monde arabe les plus âgés.

Fatigué, ne se réunissant pratiquement jamais avec ses ministres, ne sortant ni pour des visites à l’intérieur du pays, ni à l’extérieur, il coule des jours heureux à l’ombre de son pouvoir d’hyperprésident qui décide de tout et nomme tout le monde.

Il est souvent chez lui, sur les hauteurs d’Alger ou en bord de mer, regarde des DVD et France 24, lit les journaux comme El Watan et Le Monde et suit de loin les développements de l’actualité politique.

Homme de pouvoir et non d’Etat, il n’aura pas brillé par une vision moderne mais par une gestion intelligente des forces en présence, notamment par sa politique de réconciliation envers les islamistes radicaux et de l’annihilation de toute contestation dans ses rangs.

Autocrate convaincu, il aura sacrifié les libertés, les droits de l’homme et la démocratie au nom d’un développement discutable et d’infrastructures payées au prix fort sur les marchés internationaux.

Manipulateur, il est surtout connu par les Algériens, à qui il ne s’adresse jamais, pour avoir beaucoup de mépris envers eux.

Lors de son accession au pouvoir en 1999, il avait déclaré:  

«Si les Algériens ne m’élisent pas par un vote massif, je les laisse à leur médiocrité, je ne suis pas chargé de faire leur bonheur malgré eux.»

Dans son entourage, certains affirment que ce serait justement «sa méchanceté légendaire» qui le maintient en vie.

Les vieux ne meurent pas, ils s’endorment un matin

Après avoir nommé des sexagénaires à tous les postes de l’Etat, après avoir changé la Constitution pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels à deux (il en est à son troisième), il est peu probable qu’il en brigue un quatrième et le termine, à l’âge honorable de 82 ans.

S’il est vivant en 2014, ce qui est très probable, l’impérissable président il ne laissera pas un souvenir de la même teneur.

Il aura couvert plusieurs scrutins truqués, des emprisonnements arbitraires et des malversations financières gigantesques. S’il a réussi à rembourser la dette extérieure de l’Algérie (40 milliards de dollars à son arrivée) grâce aux revenus pétroliers, son bilan économique est loin d’être bon.

L’Algérie importe encore la quasi-totalité de ses besoins, n’exporte que des hydrocarbures et crée une faible croissance (autour de 3 à 5%), essentiellement tirée par les investissements de l’Etat.

Corruption à tous les étages, contrôle accru de l’économie, bureaucratie paralysante et méfiance envers tout ce qui est jeune, nouveau, privé ou étranger, il sera resté l’homme des années 70, sans pouvoir évoluer.

Avec un œil méfiant, un gilet pare-balles en permanence, entouré d’une garde très rapprochée et d’un très coûteux dispositif de sécurité de haute technologie, c’est peut-être son dernier record, le président qui a le plus peur de la mort.

Chawki Amari

Cet article a été initialement publié chez notre partenaire SlateAfrique