Le rassemblement pacifique contre l’exploitation du gaz de schiste en Algérie auquel un groupe d’activistes avait appelé sur les réseaux sociaux pour ce samedi 17 janvier 2015 à 13h, au Jardin Khemisti, à côté de la Grande Poste d’Alger, a été écrasé dans l’oeuf par les forces de l’ordre.
Depuis la matinée, un important dispositif sécuritaire a été déployé au Jardin Khemisti, contigu à la Grande Poste d’Alger, lieu prévu de la manifestation. Une dizaine de véhicules de police, cinq paniers à salade (fourgons cellulaires) et une centaine d’éléments de la Brigade mobile de la police judiciaires (BMPJ) ainsi que quelques agents de l’ordre public (AOP) y étaient déjà cantonnés vers 10h.
Peu avant 13h, les principaux initiateurs du rassemblement, appartenant essentiellement au mouvement Barakat, dont Mehdi Bsikri et Amina Bouraoui, ont déjà été embarqués par la police, a-t-on constaté sur place. « On a déjà embarqué quatorze manifestants », affirme-t-on sur place. 13h tappantes, Aziz Hamdi, un des organisateurs de la manifestation lui aussi, est interpellé sur place par un groupe de policiers. Trois d’entre eux se chargent de l’emmener au véhicule de police. Le protestataires embarqués ne manifestent aucune résistance. A ce moment là, le célèbre blogueur opposant Tarek Mameri fait son apparition. Il est accueilli par un salam alikoum d’un BMPJ tout souriant. « Wach rak tdir hna (que faites vous ici) », lui demande un autre policier. Tout souriant lui aussi, Tarek rétorque sournoisement: « rani rayah leddar (je vais à la maison) ». Le groupe de policiers l’interpellent et l’embarquent lui aussi dans le panier à salade. Mais le blogueur fait preuve d’une certaine résistance en criant « Je vais à la maison ». Les éléments de la police le brusquent pour qu’il hâte le pas. Avant de monter à l’arrière du fourgon, un véhicule, vraisemblablement banalisé, passe à un cheveux de Tarek et des policiers qui le tiennent. « Aïe, mon orteil », crie avec rage le blogueur, laissant ainsi croire que le véhicule a écrasé le bout de son pied. Cette scène passée, Tarek est mis dans la cellule du fourgon de police. Les arrestations se suivent et se ressemblent. En l’espace d’une demi-heure, une vingtaine de personnes, des anonymes pour la plupart, sont embarquées.
D’un excès de zèle particulièrement remarquable, les policiers ordonnent aux passants et aux curieux qui s’agglutinent sur le trottoir de la rue délimitant le jardin du côté sud, théâtre de toutes ce interpellations, d’évacuer les lieux. « Dispersez-vous », « continuez votre route », « dégagez d’ici », lancent-ils d’un air menaçant à leur adresse.
Les agents de la BMPJ apostrophent quasiment tout le monde. Mêmes certains journalistes sont victimes de leurs intimidations et harcèlement. En une petite demi-heure et sur ce trottoir d’une vingtaine de mètres seulement, nous avons été apostrophés cinq fois. D’une manière agressive, les policiers nous demandent de quitter les lieux. A chaque fois qu’un policier nous apostrophe, nous nous trouvons entourés de tout une meute d’hommes en uniforme. Nous déclinons notre identité en leur montrant notre car professionnelle , mais cela ne nous donne droit qu’à un sursis de quelques petites minutes. Très acharnés, ils reviennent toujours vers nous après un court instant de répit. « Depuis tout à l’heure vous faites des allers-retours, vous bougez trop », nous lance un policier. « Je suis journaliste et vous m’avez demander de me déplacer et de ne pas rester debout au même endroit ». « Vous parlez trop, venez ici », réagit-il, en nous écartant du milieu vers l’extrémité basse du trottoir. Entouré d’une bande de ses collègues, une dizaine, il nous demande de lui montrer notre carte. Avant même qu’il ne termine sa phrase, un autre nous réclame notre carte d’identité. Un troisième nous interroge sur notre lieu de résidence. Harcelé de toute part au milieu de cette foule acharnée, nous rétorquons: « Je peux écouter et m’adresser à un seul d’entre vous, mais pas tous à la fois ». « Nous parlons tous, et n’ouvrez pas trop la bouche », menace l’un d’entre eux. « Je vous ai montré ma carte professionnelle plusieurs fois depuis mon arrivée, et vous étiez-là, vous ne nous laissez pas faire notre travail? », leur demandons-nous. « Vous allez la montrez mille fois », s’acharne un autre.
Quelques minutes après nous être extirpés de l’acharnement de la meute de policiers, une dame d’un certain âge, accompagnée d’une jeune fille, tenant toutes les deux à la main des pancartes roulées traversent la rue sus-citée pour s’adosser à la balustrade surmontant le mur de soutènement du jardin. Aussitôt appuyées contre la rambarde, elles se font remarquées, vraisemblablement par les affiches, par un policier. Celui-ci, rejoint par des collègues, accoure vers elles. Il saisit les pancartes et les déroule. Il y est écrit en rouge: « Non au gaz de schiste ». Les deux militantes se font, elle aussi, embarquées. Vers 13 H 45, le quatrième fourgons cellulaires, rempli de citoyens dont le seul tort est de vouloir dire publiquement et pacifiquement non à un projet qui compromet sérieusement l’avenir du pays, démarre vers un commissariat d’Alger où les personnes arrêtées devront rendre compte de leur acte patriotique et citoyen. A 14h environ, le dispositif sécuritaire est maître des lieux. Il ne reste sur place que les policiers et une vingtaine de journalistes.
Près d’une heure de temps seulement aura donc suffi aux policiers zélés d’avorter le rassemblement citoyen anti-gaz de schiste à Alger. Une célérité et une efficacité qui contraste parfaitement avec l’échec des services du maintien de l’ordre à empêcher la marche organisée la veille à l’appel de prédicateurs salafistes et d’anciens terroristes du FIS dissous sous les slogans de : « Les Kouachi chouhada », « Alayha nahya, wa alayha namout (Pour un Etat islamique nous vivons, et pour lui nous mourrons) ». Une manifestation digne de celle de l’ex-FIS qui a mis le pays à feu et à sang durant les années 1990. Les prêches dans les mosquées algéroises et les appels télévisés des initiateurs n’ont pas suffi aux services de l’ordre pour anticiper et tuer dans l’œuf cette marche qui s’est transformée, par la suite, en émeute.