« Grâce » ou « à cause » du football, la rue rendue aux Algériens

Redaction

Ecran géant, orchestre, danseurs en tenue traditionnelle… tout a été mis en place à la Grande Poste pour accueillir les joueurs de l’équipe nationale. Arrivés tout droit du Brésil, ces derniers ont eu droit à un bain de foule des plus mémorables. Pourtant, les Algériens n’ont pas pour habitude de se rassembler dans la rue. 

Ils sont des centaines, hommes et femmes, jeunes et plus vieux, à s’être rassemblés partout sur la trajectoire des joueurs de l’équipe nationale afin de tenter de les apercevoir. Aujourd’hui, il n’est plus question d’interdire aux gens de se réunir. Policiers et gendarmes encadrent la foule sans montrer aucun signe d’hostilité. « Dites à Bouteflika de garder Halilhodzic » crient-ils en cœur. Pourtant, quand ce même Bouteflika a décroché un quatrième mandat, ils étaient beaucoup moins nombreux sur la place publique. « Moi je viens de Tizi », nous explique Samir, « je suis venu spécialement pour cet évènement. Chez moi, on ne se rassemble jamais lorsqu’il s’agit d’une grève ou d’une manifestation politique. Seulement lorsque notre club (le JSK) gagne un match ». Comme lui, plusieurs autres Algériens trouvent tout à fait normal de ne sortir s’exprimer que pour pour le foot. Selon Samir, cela suffit à faire de l’Algérie un pays où la liberté d’expression est respectée.

Si le sport constitue, en effet, un moyen de laisser libre cours à leurs émotions, c’est surtout l’occasion pour les Algériens de réinvestir la rue, de se familiariser avec cet espace public politiquement fermé en Algérie. Force est de constater que le rapport entretenu par le peuple algérien avec la rue est intrinsèquement lié à son histoire. Dès l’indépendance, les gens se sont emparés des rues pendant plusieurs jours comme pour se réapproprier leur pays. Le regroupement public n’a jamais été tabou jusqu’à l’arrivée des années 90 durant lesquelles l’Algérie a été victime d’un terrorisme sanglant. Aujourd’hui, c’est donc l’occasion de renouer avec ce territoire. À ce propos, un des policiers présent nous confie « Ce n’est pas nous qui autorisons les gens à se rassembler. C’est leur amour pour le pays qui les réunit, c’est leur joie. Nous sommes tous très fiers de l’équipe qui nous représente ». Cette complicité entre les agents de sécurité et les Algériens présents ne fait qu’amplifier l’humeur festive. « Je suis très heureuse que la police laisse faire ce genre de regroupements pacifiques. C’est aussi leur victoire, ils font partie du peuple eux aussi » s’exclame Samia, visiblement comblée de pouvoir faire partie de la fête malgré son sexe.

Néanmoins, nul n’oublie que le rassemblement sur la place publique n’est permis qu’en période de fête. « Si les gens étaient là pour exprimer leur désaccord, nous ne les laisserions pas faire », avoue un gendarme. Comme un clin d’oeil à la victoire contre le colonialisme français, l’Algérie ne s’unit que dans la joie. Lorsqu’il s’agit de revendications politiques, l’espace public semble se réduire comme une peau de chagrin…