A quelques mois de l’élection présidentielle d’avril 2014, une échéance politique capitale pour l’avenir du pays, Algérie-Focus est parti à la rencontre des acteurs politiques qui ont d’ores et déjà annoncé leur candidature. Quels sont leurs projets, leurs intentions et leurs programmes ? Comment comptent-ils convaincre les Algériens de voter pour eux ? Pour répondre à ces questions, Algérie-Focus donnera la parole à tous les candidats en course pour la Présidentielle. Ali Benouari, cet ancien ministre qui s’est distingué par une riche carrière internationale, a eu l’amabilité de répondre à nos questions. Ce candidat à l’élection présidentielle nous explicite son projet et nous parle des mesures qu’ils comptent adopter s’il est élu en avril prochain Président de la République algérienne.
Entretien réalisé par Abdou Semmar
M. Ali Benouari, pouvez-vous d’abord nous parler de vous, de votre parcours, de votre vie personnelle. Qui est-ce Ali Benouari ?
J’allais vous dire que je suis un Algérien comme les autres ! Disons tout de même que j’ai eu un peu plus de chance que la plupart de nos concitoyens, notamment parce que j’ai pu observer le fameux « village mondial » de près et travailler au contact d’acteurs très différents. De cet itinéraire, j’ai énormément appris et je voudrai partager ce savoir avec tous les Algériens et les Algériennes, à leur profit et au service de l’Algérie. Je suis donc né en Algérie en 1951, à Bougaa (Setif). Marié, je suis père de trois enfants. Ma formation s’est entièrement déroulée en Algérie. Je suis titulaire d’une Licence en Sciences politiques (1972) et d’un DES en Sciences économiques (1975). Ma carrière professionnelle a débuté à la DNC/ANP, suivie de presque 3 ans de service militaire et de cinq ans à la Banque Centrale d’Algérie, dans les services des changes et des marchés financiers. J’ai, parallèlement, exercé comme Maître Assistant à l’Université d’Alger de 1976 à 1981.
Mon expérience professionnelle à l’étranger s’est déroulée comme Directeur de trésorerie-changes et de salles de marchés dans deux groupes bancaires, saoudien et français. Cette expérience professionnelle de 7 ans a eu lieu à Paris et à Genève. J’ai ensuite accepté de revenir au pays à la veille des émeutes de 1988, à la demande des autorités de l’époque, qui avaient besoin de mon expertise financière pour aider le pays qui était en proie à de graves difficultés financières. J’ai travaillé comme expert au Comité national de la dette d’Octobre 1988 à Février 1989, puis conseiller du Ministre des finances puis de l’Economie de Février 1989 à Juin 1991. En Juin 1991, j’ai été nommé Ministre délégué au Trésor, poste que j’ai occupé jusqu’à Février 1992. Je suis retourné en Suisse en Décembre 1992, pour fonder mon cabinet de conseils financiers. Depuis j’ai constamment entretenu un contact étroit avec le pays, sous plusieurs formes : à travers des conférences et des articles dans la presse nationale, sur les thèmes des réformes économiques et financières. Dans ce cadre, j’ai été invité à la conférence des experts, organisée par la Présidence de la République sur la dette (début 1994) qui a décidé du rééchelonnement de la dette. En tant qu’acteur des reformes financières. J’ai, dans ce cadre, contribué à la libéralisation du système bancaire algérien en fondant et en présidant la première banque privée étrangère en Algérie (Société générale Algérie) de 1999 à 2004. Je monte actuellement un Fonds d’investissements pour l’Algérie (Algeria Fund) à Luxembourg. Ce Fonds est destiné à attirer des investissements en Algérie, dans le domaine du traitement de déchets et du financement de villes nouvelles, basées sur l’utilisation intensive de techniques de développement durables et sur le recours aux énergies renouvelables. Aujourd’hui je suis prêt et déterminé à aider mon pays à sortir de sa détresse, en m’engageant à mettre en œuvre un programme pour sauver l’Algérie.
Quel sens donnez-vous à votre engagement en politique ? Et comment avez-vous éprouvé la nécessité de devenir politicien ?
Mon engagement en politique résulte des valeurs que je porte. Je suis viscéralement attaché à la liberté, sous toutes ses formes. Cette conviction résulte probablement de mon éducation, mais elle s’est renforcée au fil de mes études et de mon parcours professionnel. Je ne suis pas un adepte d’un libéralisme débridé et aveugle. Mais je pense que la liberté manque cruellement à notre pays. La prospérité et la justice ne peuvent être que le fruit de sociétés libres. Sur ces bases et sur un plan plus concret, mon analyse m’a conduit à conclure que la prochaine élection présidentielle est celle de la dernière chance. Il faut en effet garder présent à l’esprit que, malgré les fabuleuses ressources dont nous avons pu disposer qui sont, non le fruit de notre travail mais celui d’une nature généreuse qui nous a abondamment fourni en pétrole et en gaz, ces ressources ne sont pas renouvelables. Elles devaient nous permettre d’acquérir une base productive à même d’asseoir notre souveraineté sur tous les plans. Mais malgré les quelque 750 milliards de dollars engrangés depuis l’indépendance (dont 700 depuis 1999), le pays se retrouve encore plus fragilisé. L’échec des différentes politiques de développement qui ont été conduites jusqu’ici, l’agitation sociale récurrente, ainsi que le « mal vie » qui pousse nos concitoyens à vouloir fuir leur pays ont plusieurs sources, mais la principale réside dans la mauvaise gouvernance politique du pays qui a exclu le peuple et ses élites les plus éclairées des processus de décision.
S’il est utile de dénoncer les excès et les échecs du pouvoir en place, ce n’est plus suffisant : il faut agir. Mon engagement repose donc à la fois sur des valeurs et sur une analyse extrêmement rigoureuse de la situation du pays. Mon programme est conçu pour conduire l’Algérie au rang qui devrait être le sien : tant vis-à-vis des autres pays du Maghreb que de l’ensemble de l’Europe et de la communauté internationale. Je veux stopper la spirale mortelle dans laquelle nous sommes aspirés et installer avec tous les citoyens une dynamique vertueuse.
Vous avez annoncé votre candidature à l’élection présidentielle de 2014. Pouvez-nous résumer en quelques mots votre projet politique pour cette échéance cruciale pour l’avenir du pays ?
J’ai d’abord une vision de mon pays à moyen terme : grâce à une transition pacifique vers la démocratie, il va se transformer radicalement, au terme des 5 premières années. J’ai également une ambition : permettre à l’Algérie de rejoindre le club des 20 pays les plus riches de la planète à l’horizon 2033. A partir de cette vision et de cette ambition, j’ai forgé un projet qui sera décliné par un programme à 5 ans sur lequel je travaille depuis longtemps. Ce programme, dont je révélerai les détails au fil de ma campagne, décrit et planifie les décisions et les réformes que je veux mettre en oeuvre, qu’elle aient un caractère législatif, réglementaire ou constitutionnels, ou qu’elles concernent le fonctionnement et la gestion de l’économie ou encore la marche de la société en général. Les différentes mesures prises seront destinées à favoriser la fluidité des échanges de personnes, de biens, d’investissements et de connaissances entre les Algériens et avec l’étranger. Elles contribueront à la nécessaire ouverture de l’Algérie au monde. Certaines de ces réformes se feront dès mon élection, d’autres se concrétiseront au fil des 5 années de mon mandat de Président. Il faut reconstruire un avenir à notre pays, mais on ne doit pas le faire dans la brutalité. Pour retrouver la confiance, il faut prendre le temps d’expliquer et donner du temps pour croire.
Pour avoir exercé la fonction de Ministre au gouvernement de Sid Ahmed Ghozali dans le passé, croyez-vous que cette expérience vous aidera à réformer l’Etat Algérien ? Ne pensez-vous pas qu’elle risque de vous désavantager aussi dans la course à la Présidentielle ?
Au contraire ! Sans cette expérience je ne me serais pas engagé. Avoir cette expérience des plus hautes responsabilités de l’Etat, des rouages économiques et financiers nationaux et mondiaux ainsi que de la politique locale, européenne et internationale, constitue un avantage extrêmement précieux. C’est grâce à cette expérience que j’ai pu identifier des réponses crédibles aux enjeux qui se présentent à nous, aidé en cela par les nombreuses personnalités et experts que je ne cesse de côtoyer et qui contribuent en permanence à ma réflexion. Enfin, j’ajouterai que la connaissance et l’affection intimes que j’ai pour mon pays, son histoire, sa culture et son peuple, constitue un complément indispensable à la compétence et à l’expérience. La politique ce n’est pas que de la technique, c’est au moins autant une affaire humaine !
Comment comptez-vous incarner le changement tant espéré par les Algériens notamment les plus jeunes d’entre eux ?
Le changement tout le monde le veut ! Les Algériens eux-mêmes, bien sûr, mais aussi de nombreux autres pays qui ne peuvent l’exprimer ouvertement par prudence diplomatique. Le changement est nécessaire. Les nombreux dysfonctionnements dont souffre l’Algérie ont tous une même origine : l’exclusion des citoyens des centres de pouvoir. C’est là que réside le mal. Les régimes qui se sont succédés depuis l’indépendance, de Ben Bella à Bouteflika, ont exercé un pouvoir absolu, sans partage. C’est pourquoi mon programme comprend des reformes politiques et institutionnelles qui vont permettre aux citoyens d’être les acteurs de leur destin, en exerçant directement le pouvoir, à travers des assemblées démocratiquement élues. Le Parlement, l’APC et l’APW devront redevenir les principaux centres de décision. Il faut aussi redonner à la justice et aux juges leur indépendance afin que le peuple retrouve confiance. Le pouvoir appartient au peuple qui le confie aux représentants qu’il se choisit librement. Les peuples ont appris, il y a longtemps, que si celui qui fait les lois est celui qui les exécute, personne ne pourra l’empêcher de commettre des abus en adoptant des lois qui lui sont favorables. Si celui qui exécute est le même que celui qui juge, aucun contrôle de l’action publique n’est possible. Je veux ouvrir le débat le plus large, non seulement sur les questions de société (la place de la religion, l’école de demain, l’émergence d’une société de l’information, nos relations avec « nos cousins » du Maghreb ou les voisins européens), mais aussi sur les questions de pouvoir. Autant les questions de société, liées à la place de la religion, sont abondamment et complaisamment débattues, autant les questions liées à l’organisation et à l’équilibre des pouvoirs sont rarement posées. Cette vérité-là mérite d’être particulièrement débattue. C’est là que nos concitoyens réaliseront que le changement est possible.
Le chômage, la précarité, le problème du logement et l’emploi font partie des préoccupations majeures des Algériens. Quelles sont concrètement vos propositions pour prendre en charge ces besoins qui martyrisent les jeunes algériens ?
Mon programme a un objectif prioritaire : créer des emplois durables pour résorber le chômage dans un délai de 5 ans. Pour y arriver, il faut une profonde réforme de notre économie. Cette réforme consistera à rechercher en priorité le développement de l’économie de marché, de l’emploi, des investissements, le soutien aux PME, la fin de la dépendance aux hydrocarbures et la préparation de l’après-pétrole, et enfin l’atteinte de l’indépendance alimentaire. Ces actions sont des leviers très puissants pour la création de l’emploi. En parallèle, nous réformerons l’ensemble de notre système d’éducation et de formation pour qu’il constitue un tremplin pour que chacun puisse trouver un emploi. Enfin, nous devrons trouver les moyens de revaloriser la valeur travail qui a été très malmenée ces dernières années.
Quelle est votre vision de la relation qu’entretient la religion avec l’Etat ? Etes-vous pour le retour de l’ancien parti dissous le FIS ? Quelle relation entretenez-vous avec la mouvance islamiste et quel regard portez-vous sur ce courant politique ?
Je porterai une attention particulière au respect de la tolérance, qui a tant fait défaut par le passé et je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour faire reculer l’extrémisme politique. Je crois sincèrement que l’amélioration du climat économique et social, le renforcement des libertés, ainsi que le nouveau paysage politique et institutionnel, permettront d’éradiquer les sources de violence. Y compris celles liées à l’Islam politique Mais je veillerai avec la même exigence au respect de l’article 42 de l’actuelle Constitution qui dispose que “les partis politiques ne peuvent être fondés sur une base religieuse, raciale, de sexe, corporatiste ou régionale » et que « les partis politiques ne peuvent recourir à la propagande partisane portant sur éléments mentionnés à l’alinéa précédent ». Si, malgré tout, il y a des partis qui sont reconnus comme islamistes par leurs militants, ils devront veiller à ne pas sortir du cadre que la Constitution a fixé et que la nouvelle loi électorale devra faire respecter.
Concernant la femme, ses droits et sa condition, envisagez-vous de proposer dans votre programme présidentiel des mesures en direction des Algériennes ?
Le « Global Gender Gap Index 2013 » réalisé par le World Economic Forum sur l’égalité entre les hommes et les femmes, place l’Algérie au 124ème rang des 136 pays classés. Ce classement est élaboré selon 4 critères : l’accès à l’éducation, la santé, la représentation dans les instances politiques et les opportunités économiques. Il y a donc beaucoup à faire ! Mais le changement dans ce domaine est complexe, car s’il est conduit de manière inappropriée, il peut heurter les cultures et les traditions, au risque de bloquer les évolutions. Il faut donc travailler sur le long terme, dans plusieurs domaines à la fois.
L’expérience prouve qu’il faut d’une part légiférer et sanctionner le non respect des lois votées. Il faut également accompagner les changements nécessaires, en encourageant les « bons élèves » qui cherchent à installer des pratiques d’égalité, dans les entreprises notamment. Enfin il faut travailler sur la disparition des stéréotypes de genre qui s’installent dès l’enfance, se développent à l’école et sont reproduits dans les médias, la publicité, le marketing notamment. Il faut donc sensibiliser parents, éducateurs, professionnels de la communication et des médias et bien sûr le personnel politique.
Face à cet immense chantier il faut donc de la détermination, mais aussi de la patience. Je m’inspirerai donc des meilleures pratiques de pays qui ont progressé dans ce domaine. D’autre part, je donnerai l’exemple en facilitant l’accès des femmes au gouvernement, dans les administrations et les organes qui seront sous la responsabilité de l’Etat. Il ne s’agit pas seulement de prendre des mesures en direction des algériennes, mais de faire évoluer la société tout entière !
Comptez-vous revoir le rôle de l’armée et sa relation avec les institutions de l’Etat Algérien ? Comment compteriez-vous composer avec l’establishment militaire Algérien ?
Oui. Elle sera recentrée sur ses missions classiques. Elle veillera, en particulier, à protéger le pays contre toute menace extérieure. Elle ne s’immiscera pas dans les querelles politiques. Bien au contraire, sa neutralité sera la meilleure garantie quant au bon déroulement du processus de transition démocratique. Je sais qu’il y a au sein de l’armée, comme de la police et de tous les services de l’Etat, une frange importante de responsables et de citoyens qui aspirent à un réel changement. Je suis certain que le légitimisme et la clarté de mon programme confirmeront à ceux qui aspirent à ce changement qu’il est possible de le réaliser, de le soutenir, car ils en seront bénéficiaires.
Abdelaziz Bouteflika est officiellement pour un quatrième mandat. Pensez-vous que vous êtes suffisamment outillé pour le concurrencer et le battre dans cette élection présidentielle ?
Il me semble avoir répondu en expliquant mon engagement, ma vision, mon ambition. Mon programme est prêt. Mes équipes sont sur le pont depuis des mois. Mes soutiens se multiplient. Je suis dans le timing !
S’agissant de la fraude électorale, envisagez-vous d’adopter des mesures pour la contrecarrer et l’empêcher ?
La fraude est le résultat de la mauvaise gouvernance du pays. Je pense néanmoins que les institutions internationales auront les yeux rivés sur l’élection et feront tout ce qui en leur pouvoir pour la juguler.
Comment comptez-vous convaincre les Algériens pour qu’ils vous accordent leurs votes ? Et comment espérez-vous les mobiliser alors que le spectre de l’abstention plane sur cette élection ?
Je vais incarner un changement crédible vers un pays pacifié. C’est une aspiration largement partagée et très mobilisatrice.
Si vous êtes élu Président de la République, quelles seront les premières mesures politiques, économiques et sociales que vous allez adopter ?
Elles concerneront les changements de gouvernance et les réformes institutionnelles prévues dans mon programme : dissolution de l’Assemblée nationale et du Sénat, élections d’un nouveau Parlement dans les 3 mois. En parallèle, j’ouvrerai très rapidement à créer un climat de confiance au Maghreb et avec nos plus proches partenaires, afin de créer des synergies qui seront génératrices de prospérité et de paix pour tous les pays du Bassin Méditerranéen. Sur le plan économique, je lancerai immédiatement une grande réforme monétaire et fiscale qui sera la matrice de toutes les autres réformes économiques.
Quelle vision avez-vous de l’avenir de l’Algérie et de sa Jeunesse ?
L’avenir c’est avant tout sa jeunesse. Mais c’est aussi beaucoup de potentiels à valoriser : des ressources humaines, naturelles, géostratégiques et culturelles qui lui permettront de relever les défis des prochaines décennies, une population traditionnellement ouverte aux échanges et au commerce, des ressources naturelles diversifiées, une position géostratégique qui en fait la clé de voûte de toute politique de rapprochement euroméditerranéen ou euro-africaine, une bonne santé financière, une culture, un climat et des territoires adaptés au développement d’une agriculture performante et d’un tourisme attractif, respectueux de l’environnement. Ces atouts sont uniques. Ils sont adaptés aux défis du XXIème siècle et doivent nous permettre de devenir un grand pays.
Le traditionnel dernier mot….
Il est possible de conduire le pays autrement, de l’amener, par une transition démocratique, à s’engager vers un nouveau développement auquel le peuple sera associé. La création de la 2ème République Algérienne est un objectif réaliste. L’élection présidentielle de 2014 offre l’occasion de changer de cap dans tous les domaines, et d’écrire les pages d’une nouvelle Algérie, plus libre, plus juste et plus prospère.