Les événements qui ont bouleversé la Turquie offrent l’opportunité de s’interroger sérieusement sur la configuration politique en Algérie et les relations qu’entretiennent en ce moment la Présidence de la République avec les différents corps de l’armée algérienne.
Comme en Turquie, en Algérie de nombreux politiques et observateurs ont affirmé avec beaucoup de certitudes que le Palais d’El-Mouradia, dirigé pourtant par un Abdelaziz Bouteflika très malade et fatigué, a domestiqué définitivement les décideurs militaires. Beaucoup d’analystes proches du cercle présidentiel ont célébré l’avènement d’un « pouvoir civil » à la suite de la restructuration des services de renseignement, à savoir le DRS, et la mise à la retraite du Général Toufik.
Depuis plus d’une année, au FLN comme au RND, les deux principaux partis politiques du pays, on répète aux Algériens une seule et unique chanson : C’est le président Abdelaziz Bouteflika qui détient les pleins pouvoirs et toutes les autres institutions lui sont obéissantes. Tout comme en Turquie, le mythe de la fin de « l’Etat parallèle » avec la dissolution de la police politique du DRS, annoncée en grande pompe par les thuriféraires du Palais d’El-Mouradia, s’était bien enraciné dans les esprits au point où les Algériens commencent réellement à croire que les militaires n’ont plus aucun mot à dire sur les affaires politiques du pays. Comme en Turquie, L’armée en Algérie est souvent perçue comme un corps solide, fort, stable et un rempart à l’islamisation du pouvoir. Comme en Turquie, les Algériens ont l’impression que le pouvoir se resserre autour d’un seul homme, une seule institution.
Or, au cœur du sérail, aucun élément concret ne garantit réellement le bien-fondé de cette « union sacrée » autour d’Abdelaziz Bouteflika. Comme l’armée turque, l’armée algérienne n’est plus ce corps uni lié par une idéologie comme ce fut le cas durant les années 90. Les multiples changements opérés par le régime d’Abdelaziz Bouteflika ont suscité de véritables divisions qui sont apparues au sein même de l’armée. Un général à la retraite a passé plusieurs mois en prison pour une simple déclaration politique considérée comme un appel à sédition. Au mois de juillet de l’année dernière, un incident a éclaté à l’intérieur du périmètre de sécurité de la résidence présidentielle de Zéralda où le Président Bouteflika passe le plus clair de son temps. Une quantité d’explosifs a été découverte et des coups de feu ont été entendus. Plusieurs sources bien informées ont considéré qu’ils s’agissait d’une véritable tentative d’attentat contre le Chef de l’Etat dans le but de… le renverser. Trois puissants généraux ont été limogés à la suite de cet intriguant épisode.
C’est dire que l’Algérie n’est guère à l’abri d’un scénario à la turque. Il suffit, comme en Turquie, qu’un groupe d’officiers se rebelle pour créer une situation confuse et dangereuse. Les récents événements qui ont secoué la Turquie ont démontré qu’un groupe de putschistes peut rapidement prendre le contrôle de sites stratégiques comme les aéroports ou le siège de la télévision publique pour ensuite tenter de renverser le pouvoir politique. Le contrôle absolu qu’exercerait l’Etat-Major sur les troupes et les officiers peut facilement s’avérer être une illusion trompeuse.
Avec la crise financière qui plombe le pays, un gouvernement de plus en plus contesté pour son incapacité à gérer le pays et un président très malade, l’Algérie pourrait bel et bien subir les contrecoups d’une rébellion à laquelle personne ne peut s’attendre puisqu’elle serait l’expression d’une frustration et d’une colère silencieuse. L’Algérie devrait finalement tirer la leçon de la situation qui prévaut en Turquie pour éviter un éventuel et dangereux pourrissement.