Sur Internet, le prévenu se présentait parfois sous le nom de « frère Abou Zhara de France ». A la barre de la 14e chambre correctionnelle de Paris, jeudi 18 décembre, il est Kamel Bouchentouf, 35 ans, né en France d’origine algérienne, chauffeur-livreur à Nancy, en détention à la prison de la Santé depuis sa mise en examen, le 5 mai 2007, pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme ». Un militant du djihad. Ou bien un infiltré de la Direction de la surveillance du territoire (DST). A l’audience, les deux versions se sont affrontées pendant plus de huit heures.
Abou Zhara était entré en contact avec Salah Gasmi, identifié comme le responsable de l’information d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI, ex-GSPC, Groupe salafiste pour la prédication et le combat). Sur le Net, il félicitait ses correspondants de « faire trembler la France » par leurs opérations à Alger et promettait de « filmer un sac en train de se promener » dans les rues de France avec une « petite bombe artisanale ». Kamel Bouchentouf nie ces aveux passés en garde à vue et accuse la DST de l’avoir « recruté de force » pour nouer des contacts avec l’AQMI ou des talibans. Les vidéos trouvées sur son ordinateur, dit-il, étaient « des compilations » pour les services de renseignement français.
Couverts par le secret défense, les policiers de la DST ne seront pas entendus, malgré les demandes répétées de la défense. L’enquête a cependant permis de relever 26 contacts téléphoniques entre le portable du prévenu et deux numéros correspondant bien aux services de la DST à Nancy. Sur ce même portable, étaient également enregistrées les coordonnées d' »Alex », un fonctionnaire de la DST. Dans une note adressée tardivement à l’instruction et lue à l’audience, un commissaire principal de police reconnaît : « Kamel Bouchentouf a suscité l’attention de nos services », écrit-il en évoquant une « personnalité suffisamment instable pour qu’une pression de contact soit maintenue ». Mais, ajoute le commissaire, « cette procédure ne peut en aucun cas être assimilée à un recrutement ».
« SOUPE INDIGESTE »
« Ils m’ont accroché en 2001 jusqu’en 2007, insiste le prévenu. Ils me disaient : tu fais ce que tu veux mais tu touches pas au territoire. » La présidente, Jacqueline Rebeyrotte, écarte ces arguments. De longues heures, elle détaille les adresses Internet, relit les pages du dossier, passe en boucle « les aveux complets » de la garde à vue et revient sur le matériel trouvé au domicile de Kamel Bouchentouf – deux bombes de couleur jaune, 499 cartouches de calibre 22 Long rifle, un extincteur de voiture vide comparé « à une tête de roquette expérimentale ».
Les débats sont laborieux. Vindicatif au début, Kamel Bouchentouf se tasse. « On veut noyer le poisson », répète-t-il. Implacable, le procureur décrit « l’une de ces petites mains sales » du djihad, compare la ligne de défense du prévenu à une « soupe indigeste ». « Tout cela répond à des protocoles établis, Kamel Bouchentouf faisait l’objet d’un suivi ouvert », balaie-t-il avant de requérir « sept à huit ans d’emprisonnement » avec une peine de deux tiers de sûreté.
Frédéric Berna, avocat inscrit au barreau de Nancy, réplique en dénonçant une « pareille salade » : « Alors qu’il se sait surveillé par la DST, Kamel Bouchentouf prend contact avec un haut responsable de l’AQMI depuis un ordinateur chez lui ? Ce n’est pas sérieux ! Ou bien c’est un nul et la DST n’avait pas besoin de lui ou bien il était en relation avec Salah Gasmi, et alors la DST avait vraiment besoin de lui. » Jugement attendu le 22 janvier 2009.
Isabelle Mandraud
LE MONDE | 19.12.08 | 09h57 • Mis à jour le 19.12.08 | 10h51