L’Algérie se mobilise depuis dimanche pour mettre fin à l’escalade de violence au Proche-Orient et venir en aide au peuple palestinien. Elle a ainsi initié une réunion en urgence ce mercredi du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU. Mais la voix des diplomates algériens est-elle encore entendue ? Éléments de réponse.
Depuis dimanche et le bombardement de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, qui a tué un enfant d’origine algérienne de 3 ans, l’Algérie se positionne en chef de file des pays indignés par l’offensive israélienne sur l’enclave palestinienne. Il y a d’abord eu la lettre acerbe du ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, adressée directement au Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, en visite dans la région du Proche-Orient pour négocier un cessez-le-feu. Dans cette lettre, le ministre exhorte la communauté internationale à prendre ses responsabilités pour empêcher le « carnage du peuple palestinien en violation flagrante des Conventions et du droit humanitaire internationale ».
« Votre visite au Moyen-Orient intervient au moment où le peuple palestinien, après avoir subi dans la bande de Gaza un blocus inique, endure depuis le 7 juillet dernier une agression barbare et incessante aux visées préméditées d’élimination de civils innocents dont une majorité de femmes, d’enfants et de personnes âgées. L’agression israélienne contre Gaza se caractérise également par la destruction systématique des infrastructures de base notamment les hôpitaux et les services publics ainsi que les mosquées. Ce massacre engendre des centaines de martyrs et des milliers de blessés, dont le nombre ne cesse de s’accroître du fait d’attaques israéliennes ininterrompues dont le résultat s’apparente à un génocide du peuple palestinien désarmé qui subit le joug et la cruauté de la puissance occupante », a ainsi rédigé Ramtane Lamamra, dans un courrier publié par l’APS mardi.
Le silence de Bouteflika
La déclaration est certes très forte mais elle reste celle d’un ministre. Tandis qu’ailleurs ce sont les chefs d’Etat qui prennent la parole dans le conflit israélo-palestinien, en Algérie, le Président Abdelaziz Bouteflika ne s’est pas exprimé depuis le début de l’offensive militaire israélienne sur la bande de Gaza, le 7 juillet dernier, qui a pour l’heure tué plus de 500 civils palestiniens. Et malgré la disparition d’un enfant de 3 ans d’origine algérienne, Abdelaziz Bouteflika a gardé le silence. Pour Abdelaziz Rahabi, ex-diplomate algérien, le locataire du Palais el Mouradia a fait montre d’un manque de solidarité historique vis-à-vis de la cause palestinienne. « L’Algérie aurait dû se mettre au niveau de la gravité de la situation et le Président de la République aurait dû agir en personne », regrette ce retraité de la diplomatie algérienne.
Pourquoi un tel silence de la part du Président d’Algérie ? Pour Abdelaziz Rahabi, c’est le signe de la complaisance du régime algérien à l’égard des puissances occidentales. « Abdelaziz Bouteflika a fait de la politique étrangère un outil de sa politique intérieure. Il a eu besoin du soutien des Occidentaux pour s’assurer sa réélection. C’est une alliance qui ne va pas sans concession de la part du pouvoir algérien. C’est pourquoi aujourd’hui l’Algérie n’a aucun moyen de pression politique et économique sur la France, l’Allemagne, les Etats-Unis et tous les Etats qui ont décidé de se ranger du côté d’Israël », explique-t-il. En 2014, on est donc bien loin de l’époque où l’Opep décide d’augmenter le prix du baril de pétrole afin de sanctionner les puissances occidentales, qui ont pris fait et cause pour Israël dans la Guerre du Kippour, au début des années 1970.
Un avis partagé par le professeur en sciences politiques à l’université d’Alger, Sofiane Sekhri, qui va plus loin. Pour cet universitaire, l’Algérie n’est pas la seule à avoir les mains liées dans ce dossier. « C’est le cas de tous les régimes arabes qui souffrent de légitimité. Pour pallier un manque de légitimité, ils ont fait appel à l’assistance étrangère. Aujourd’hui l’Algérie est dans une position délicate par rapport à la Palestine. Elle ne peut déclarer très fort son soutien », souligne-t-il.
Traumatisme post-décénnie noire
Pour lui, la politique extérieure de l’Algérie traverse même la « pire période de son histoire ». Jamais le pays n’a été autant en recul sur la scène internationale concernant la libération de la Palestine, estime cet expert des relations internationales. « Dans les années 1960 et 1970, l’Algérie était la citadelle de tous les révolutionnaires, pas seulement arabes », fait remarquer Sofiane Sekhri. Mais depuis novembre 1988 et la proclamation de l’Etat palestinien à Alger, l’Algérie est quasiment devenue aphone dans cette lutte anticolonialiste. Durant la décennie noire, l’Algérie a effectivement infléchi sa politique extérieure, privilégiant alors une attitude défensive et mettant en veille ses engagements historiques. « L’Algérie n’était à l’époque préoccupée que par la défense de sa souveraineté nationale. Elle voulait se protéger des tentatives de déstabilisation de l’extérieur », précise Sofiane Sekhri.
Plus de dix ans après la fin de la décennie noire, l’Algérie sort à peine de son isolement sur la scène internationale. Ainsi, le lendemain de l’attaque sur Rafah, qui a tué un enfant algérien, Alger a cosigné avec Rabat une demande écrite adressée au président du Conseil des Droits de l’Homme (CDH) afin qu’il convoque en urgence une session spéciale. Chose que l’axe Alger-Rabat a arraché grâce à la solidarité des autres pays africains.