L’organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW) a présenté samedi 18 octobre à Alger son rapport sur les droits de l’Homme dans les camps de réfugiés de Tindouf. Le rapport identifie les principales violations des droits de l’Homme et émet des recommandations aux différents acteurs.
Eric Goldstein, directeur adjoint de HRW pour la région Moyen-Orient Afrique du Nord et Brahim Elansari, chercheur associé de HRW à Rabat, ont présenté ce samedi à Alger le rapport « Off the radar : Humans rights in the Tindouf refugee camps » [« Pas sur les écrans : Les droits humains dans les camps de réfugiés de Tindouf »].
Comme l’a expliqué Eric Goldstein, le titre du rapport reflète le silence qui entoure cette question du respect des droits de l’Homme dans les camps de réfugiés sahraouis. La MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) n’effectue aucun contrôle régulier de la situation des droits de l’Homme dans les camps, et les organisations non gouvernementales (ONG) présentes sur place ne sont pas spécialistes des droits de l’Homme.
C’est pourquoi HRW suit de près cette problématique. Le rapport publié aujourd’hui est le fruit du travail de plusieurs chercheurs de HRW qui se sont rendus dans les camps de Tindouf entre le 26 novembre et le 9 décembre 2013. Ils se sont entretenus avec des réfugiés, des responsables du Front Polisario (FP) et des étrangers travaillant pour les agences des Nations Unies (ONU) et les organisations non gouvernementales (ONG) sur place. HRW a également conduit des entretiens à l’extérieur des camps, et a intégré dans son rapport les réponses écrites qu’elle a reçues du FP et des autorités algériennes.
Des cas d’esclavagisme
Dans son rapport, HRW a choisi de n’étudier que les droits civils et politiques des réfugiés, mettant donc de côté l’étude des droits économiques et sociaux. Eric Goldstein a également précisé que HRW ne tenait pas à prendre position sur le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, afin de préserver sa crédibilité et d’avoir accès aux deux parties.
Durant leur mission, les chercheurs de HRW ont constaté plusieurs atteintes aux droits de l’Homme.
L’une d’elle inquiète particulièrement les auteurs du rapport : des cas très isolés d’esclavage touchent la minorité noire sahraouie dans les camps de Tindouf. HRW parle de « travaux domestiques non volontaires dans les foyers d’autres familles ». Cette pratique est condamnée par le FP, qui l’a pénalisée il y a quelques années, mais HRW estime que les efforts du FP doivent être intensifiés.
Une autre préoccupation concerne le domaine judiciaire. Depuis 2012, les tribunaux militaires sont compétents pour juger les civils dans les affaires de narcotrafic, ce qui est contraire aux normes internationales du droit. De plus, les civils jugés par ces tribunaux sont victimes de dépassements (détention arbitraire par exemple). Cependant, seuls de très rares cas de torture ou de maltraitance physique par les forces de sécurité ont été signalés aux observateurs de HRW.
En ce qui concerne la liberté de circulation, elle est réglementée par le FP mais pas entravée. Les réfugiés peuvent partir des camps et y revenir. La plupart de ceux qui souhaitent s’installer au Sahara occidental, contrôlé par le Maroc, gardent cependant leur projet secret, de peur qu’il ne soit mis à mal par le FP. Par ailleurs, après le rapt de 3 humanitaires en 2011, le dispositif sécuritaire a été renforcé sur les routes, mais il ne s’agit pas là d’entraves politiques à la liberté de circulation. Par contre, plusieurs réfugiés ont indiqué à HRW que les autorités algériennes les empêchaient de voyager librement sur le territoire algérien en dehors de Tindouf.
Le respect de la liberté d’expression et de rassemblement a également été évalué par HRW. Les observateurs ont conclu qu’il est possible de critiquer la gestion des camps par le FP, mais qu’il n’existe pas de contestation quant au but fondamental du FP, à savoir l’autodétermination du Sahara occidental. À cet égard, le rapport indique que « le Front Polisario monopolise le discours politique dans les camps ». HRW n’a cependant pas eu écho de prisonniers condamnés pour leurs opinions politiques. De même les mouvements de protestation sont tolérés, d’autant qu’ils sont la plupart du temps assez modestes.
L’Algérie doit reconnaître sa responsabilité envers les réfugiés de Tindouf
Au vu de ces constats, Human Rights Watch recommande au FP de supprimer la compétence des tribunaux militaires sur les civils, d’assurer la liberté d’expression pour tout le monde, même pour ceux qui souhaitent exprimer un avis différent sur la question de l’autodétermination, et d’intensifier ses efforts pour éradiquer l’esclavage.
HRW demande également à l’ONU qu’elle élargisse le mandat de la MINURSO pour lui permettre d’assurer un suivi des droits de l’Homme dans les camps de réfugiés sahraouis.
Le rapport adresse enfin des recommandations à l’Algérie : reconnaître sa responsabilité par rapport aux réfugiés des camps de Tindouf ; veiller au respect des droits de toute personne se trouvant sur son territoire, ce qui comprend les réfugiés des camps de Tindouf ; permettre l’observation sur le terrain par des organisations spécialistes des droits de l’Homme ; et garantir la liberté de mouvement des réfugiés sahraouis sur tout le territoire algérien.
L’Algérie, seul pays du Maghreb auquel Human Rights Watch peine à accéder
Eric Goldstein s’est également exprimé sur la situation des droits de l’Homme en Algérie. Le directeur adjoint de HRW pour la région Moyen-Orient Afrique du Nord a regretté que HRW ne puisse pas être présente légalement sur le sol algérien. « C’est le seul pays au Maghreb où l’accès est difficile pour nous », a-t-il souligné. Il a rappelé que les observateurs de HRW n’ont pas obtenu de visas pour l’Algérie depuis 2005, sauf lorsqu’ils se sont rendus dans les camps de Tindouf (en 2007 et 2013). Mr. Goldstein a cependant évoqué des « discussions constructives avec le ministère des Affaires étrangères » à ce sujet. HRW espère donc que ces discussions permettront de simplifier les visites de HRW et des autres ONG spécialistes des droits de l’Homme.
De manière plus générale, Eric Goldstein a soulevé les problèmes liés à la réconciliation nationale. Selon lui, la Charte pour la paix et la réconciliation de 2005 n’est pas adaptée, car elle promeut l’impunité et empêche la vérité d’éclater. Il a donc exhorté les autorités algériennes à revoir leur copie. Des mères de disparus, présentes dans la salle, ont rappelé que le sort de leurs enfants enlevés pendant la décennie noire n’était toujours pas connu.
Mr. Goldstein a également pointé du doigt les entraves à la liberté de manifester, aux droits des associations et à la création de syndicats autonomes. Il a de plus indiqué que HRW s’inquiétait des pressions exercées à l’encontre de la presse, en particulier des chaines de télévision privées.