In Aménas, in Algeria : Comment Mokhtar devient Belmokhtar par Kamel Daoud

Redaction

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Racontée hier par un ami réalisateur de films, primé des dizaines de fois de par le monde : « c’était le soir, je passais sur le front de mer d’Oran et là j’ai vu une scène : un couple s’embrassait tout près d’un commissariat. Soudain un policier est sorti pour les chasser. C’est le geste qui m’a le plus choqué : sa façon d’agiter le bras et presque l’insulte comme si le couple, par son amour, salissait son commissariat.

J’ai ressenti de la colère et j’ai crié au flic : de quel droit ? Dites-moi quel texte de loi interdit l’amour dans ce pays ? » Une altercation s’en suivit puis presque une incarcération. « Après, je suis parti, je me suis répété que cela ne servait à rien ». Comme nous tous en somme. La chasse aux couples est un sport favori de la police algérienne. Et de la famille algérienne et des algériens qui ne sont pas en couples : le couple est une bête immonde, le crime, la cause des tremblements de terre et des sécheresses. Le baiser, la chair du crime. Étrange rapport malade qu’ont les algériens, que nous avons presque tous avec le couple, l’amour et la femme. Remake d’une ancienne histoire quand le couple se réfugie dans les jardins publics et que c’est de là que la police l’expulse. Comme Adam et Eve.

Pourquoi en parler maintenant ? A cause d’In Aménas. Il y a un lien direct entre l’histoire du couple chassé du Front de mer à cause d’un baiser et Belmokhtar. Car le bonhomme buveur de sang avait eu lui aussi 19 ans, l’âge de son départ vers l’Afghanistan à partir de Ghardaïa. On peut présumer les premières raisons du crime : il n’a pas embrassé et n’a pas été embrassé alors il a embrassé la guerre. Il ne l’a jamais pu à l’air libre. Il n’a pas connu le corps de l’autre, alors il a marché dessus. Si l’Arabie Saoudite est la mère du Djihadiste, son père est la frustration et l’amour raté et reporté sur le Paradis, pour après la mort. Il y a un lien entre le geste du policier et la prise d’otage et ce n’est pas une exagération. On le sait tous : le manque d’amour est la rime de la mort.

C’est le sujet qui fascine le chroniqueur : comment les régimes qui souffrent du terrorisme islamiste sont ceux-là même qui le fabriquent ? D’où viennent cet aveuglement et cette propension à creuser sa propre tombe ? Comment se fait-il que les régimes conservateurs, ici chez nous ou dans le monde dit arabe continuent de chasser les couples, de talibaniser les écoles, d’interdire le corps et le nu puis s’inquiètent de la montée des intégrismes sur leur sol et de la menace Djihadiste ? Ould Kablia, le ministre de l’Intérieur algérien, avait peut-être raison en mentant il y a une semaine : les preneurs d’otages d’In Aménas ne viennent pas d’ailleurs. Ils viennent de nous-même. L’islamiste made in Aménas est « made in Algeria ». Les Belmokhtar sont nos enfants, les pires et nous tuent et tuent nos enfants. C’est le crime de la nation, par toutes ses institutions. Le policier chasse le couple qui s’embrasse et donne naissance au couple Régime/djihadiste qui se fait la guerre.

Et le pire est que cette boucle continue de fonctionner sous les yeux de tous : personne ne se soucie de tirer les conclusions et de répondre à la bonne question : comment devient-on islamiste et Djihadiste ? Car il y en a de plus en plus et partout : Boko Haram, AQMI, les « Signataires par le sang », les Chebab, les Moujdjahiddouns…etc. En chassant un seul couple, Dieu a créé l’histoire de l’humanité qui n’en finit pas. En chassant un seul couple, on crée une histoire de violence et de crime qui n’en finit pas. Et c’est partout dans ce monde dit « arabe » : chasse aux couples, à l’amour, interdiction des libertés, du corps et des sens, conservatisme bigot, Education à la mort et à la religion, Zaouïas et fatwas. A la fin, Quand Mokhtar devient Belmokhtar, on se met à jouer la surprise et à crier à la menace qui vient «d’ailleurs ». Le monde « arabe » créé ses islamistes, les fabrique, les sponsorise, les soutiens et les encourage puis s’en étonne et en meurt. Comble de la bêtise et de la mort idiote.

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