Plus de six mois après le soulèvement populaire, le cœur de la résistance au gaz de schiste, In Salah, bat toujours. Et ce malgré le jeûne du Ramadhan, les températures caniculaires et surtout le silence des pouvoirs publics.
À In Salah, où le thermomètre tutoie allègrement les 45° à l’ombre, la vie tourne au ralenti durant le mois sacré du Ramadhan. Fuyant l’ennui des rues désertes et les vents de sables, les habitants hibernent la journée, bercés par le souffle frais du climatiseur. Mais cette année, une poignée d’hommes a décidé de rompre avec la tradition. Ces irréductibles militants écologiques passent leur journée sur la place Soumoud, l’épicentre de la résistance anti-gaz de schiste d’In Salah, depuis janvier.
Détermination
Là, assis sur des tapis, posés à même le sol, ils se regroupent chaque jour, discutent et débattent. À l’approche du Ramadhan, ils ont aménagé des tentes en cuisine mobile, y entreposant de la vaisselle, un réchaud et des stocks de nourriture. Car c’est bien sur la place Soumoud que ces farouches opposants au forage rompent le jeûne. Ils sont une trentaine, tout au plus. Passé le ftour, les rangs grossissent. D’autres les rejoignent sur le square situé face au siège de la daïra. Ici, pas de partie nocturne de dominos, ni de rami. On parle politique énergétique et protection de l’écosystème. Mobilisées aux côtés des hommes, dès les premières heures de la lutte anti-gaz de schiste, les femmes affluent également en soirée. Certains soirs, elles préparent le f’tour de ces militants chevronnés, qui mangent à la belle étoile.
Plus de six mois après le soulèvement populaire inédit dans cette ville du Sud, la mobilisation anti-schiste, certes réduite à un noyau, continue. Les pionniers restent déterminés en dépit des conditions de manifestation extrêmes et du silence sourd des autorités. Le remaniement ministériel du mois de mai n’a pas changé la donne. À l’instar de son prédécesseur, Salah Khebri, le nouveau ministre de l’Energie et des Mines, n’a pas pipé mot sur le dossier sensible, qui a conduit plusieurs milliers de personnes à marcher dans les rues d’In Salah. Le collectif national pour un moratoire sur le gaz de schiste, dont le bureau national se trouve à In Salah, ont eu beau lui écrire pour obtenir une audience, mais ils ont buté sur le même mur de silence.
La fracturation terminée ?
À l’échelle locale, les promesses sont restées lettre morte. Interpellée par le collectif local contre l’exploitation du gaz de schiste, la wilaya s’était engagée à accompagner les personnes blessées en marge des affrontements du mois de mars. Fin février, des émeutes éclatent entre manifestants pacifiques et forces de l’ordre aux abords du second puits-pilote avant de s’étendre à la ville, faisant cinq blessés parmi la population civile. Trois de ces jeunes garçons, âgés tous de moins de 25 ans, souffrent aujourd’hui d’un handicap au niveau de leurs membres inférieurs. Les deux autres ont été touchés à l’œil. « L’un deux a perdu son œil. Il a besoin d’une prothèse. Il doit se soigner à l’hôpital de Ouargla, mais les rendez-vous sont très difficiles à obtenir. En plus de cela, les familles des blessés sont démunies, elles ne peuvent pas régler les soins et les déplacements en dehors d’In Salah », indique à Algérie-Focus une source locale, qui a requis l’anonymat. Jusqu’à ce jour, la wilaya n’a pas levé le petit doigt pour eux. « La direction de la santé de la wilaya est située à plus de 700 km de la ville. Ce n’est pas évident de les relancer tous les jours », explique la même source.
Dans ce black out total, les rare nouvelles émanant du deuxième puits-pilote ne sont pas rassurantes. « Des employés du puits gazier d’Ahnet 01-2 nous ont dit que le forage est terminé, qu’il y a bien eu fracturation hydraulique, mais que ça a été un fiasco. C’est peut-être pour ça que la torche n’a pas été allumée. À moins que Sonatrach n’attende une inauguration en grande pompe comme pour le premier puits-test », s’interroge Hacina Zegzeg, animatrice du Collectif national pour un moratoire sur le gaz de schiste, qui déplore l’opacité absolue autour du site de forage. Depuis les échauffourées de mars, les militants anti-schiste ne sont plus autorisés à approcher le deuxième puits-pilote et ne peuvent donc plus surveiller les activités qui s’y déroulent. Seules certaines fuites les renseignent sur l’avancée du projet. Ils ont ainsi appris que les camions d’Halliburton, le géant américain qui aurait été sollicité pour la controversée hydro-fracturation, aurait plié bagage.