Jacques Vergès, le plus algérien des avocats français

Redaction

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Jacques Vergès est décédé ce jeudi à 88 ans. Connu pour ses positions anticolonialistes, il a été l’un des premiers en France à défendre l’indépendance de l’Algérie.

Rarement avocat a été aussi médiatique. Rarement avocat a pris des positions aussi iconoclastes que celles de Jacques Vergès. Parmi ses clients, des personnalités controversées : le « révolutionnaire » Carlos, le nazi Klaus Barbie en 1987, le khmer rouge Khieu Samphan, le dictateur serbe Slobodan Milosevic reconnu coupable de crime contre l’humanité en 2002, l’activiste libanais George Ibrahim Abdallah ou plus récemment l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo. Le conseil ira même jusqu’à confesser qu’il aurait pu défendre Hitler.

Jacques Vergès prend également en charge les cas montré du doigt par l’opinion : le jardinier Omar Raddad accusé du meurtre de sa patronne, Simone Weber surnommée la diabolique de Nancy et soupçonné du meurtre de deux de ses amants, ou encore le tueur en série Charles Sobrhraj. Le conseil avait pour habitude de dire :

Quand un homme traqué frappe à ma porte, c’est toujours pour moi un roi dans son malheur

Mais c’est avec l’Algérie que l’ « avocat du diable » ou « l’avocat de la terreur » – selon ses surnoms – a très vite tissé une relation particulière.

Il ira jusqu’à prendre la nationalité algérienne

Dans les années 60, Jacques Vergès prend en charge la défense des combattants du FLN. Il prend « Mansour » comme nom de guerre et devient alors l’avocat de la moudjahida Djamila Bouhired, égérie de la lutte, torturée par les paras français pour l’attentat du Milk Bar qui a fait 5 morts et une soixantaine de blessés.

Alors que Djamila Bouhired est inculpée et condamnée à mort, Jacques Vergès mène une campagne médiatique aux côtés de l’écrivain et militant Georges Arnaud. Ils écrivent un manifeste, Pour Djamila Bouhired, publié aux Éditions de Minuit. C’est, avec La Question d’Henri Alleg, l’un des manifestes qui alerteront l’opinion publique sur les mauvais traitements et les tortures infligés par l’armée française aux combattants algériens. Devant le tollé international soulevé par sa condamnation, Djamila Bouhired est finalement graciée et libérée en 1962. Jacques Vergès l’épouse alors et prend la nationalité algérienne. Le couple aura deux enfants : Meriem et Liess.

Jacques Vergès occupe par la suite le poste de chef de cabinet d’Amar Bentoumi, premier ministre des Affaires étrangères de l’Algérie libre. Il fonde Révolution africaine, une revue tiers-mondiste financée par le FLN. Sa rencontre et son engagement auprès de Mao Tsé-Tung en 1963 lui vaut une destitution de son poste au ministère. Il rentre à Paris.

Deux ans plus tard, le départ du président Ben Bella permet à Jacques Vergès de rentrer en Algérie. Il s’inscrit au barreau d’Alger et y exerce la profession d’avocat de 1965 à 1970. C’est à cette période que le couple qu’il forme avec Djamila Bouhired se sépare. Pour Georges Kiejman, autre avocat de renom en France, le combat algérien de Jacques Vergès restera dans les annales :

Pendant la guerre d’Algérie, il a été physiquement très courageux et a risqué sa vie. C’est sans doute la période la plus glorieuse de sa vie.

Sa période post-Algérie : une longue et mystérieuse disparition

En 1970, Jacques Vergès disparaît. Il ne réapparaitra que huit ans plus tard, avec d’importants moyens financiers qui intriguent jusqu’à ce jour. Dans sa tombe, il emporte le secret de ses activités pendant ces années. Tout juste répondra-t-il une fois à des journalistes qu’il était « très à l’est de la France. » Le juge Thierry Jean-Pierre, qui a écrit un livre sur les frères Vergès, avance l’hypothèse d’une fuite :

À l’époque, il est mal. Michel Debré (ministre de l’Intérieur ndlr) veut sa peau, et le Mossad veut le tuer, car il défend des Palestiniens. Il part du jour au lendemain, en Asie, agent des services secrets chinois. Ils l’utilisent au Cambodge et au Viêt Nam.

 Dans le documentaire L’Avocat de la terreur, de Barbet Schroeder, Jacques Vergès reconnaît avoir été ponctuellement présent à Paris de manière clandestine pendant cette période.

Le 15 août, Jacques Vergès s’éteint comme il a vécu : dans un dernier coup de théâtre. L’avocat a succombé à un arrêt cardiaque dans la chambre de l’écrivain et philosophe Voltaire, précisément quai Voltaire à Paris, alors qu’il s’apprêtait à dîner avec ses proches.