Un groupe affilié à l’organisation État islamique (EI), aussi appelée Daech, a revendiqué l’enlèvement et l’assassinat d’un touriste français dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Ce groupe, qui se fait appeler « Jound al Khilafa fi Ard El Jazair », est la première filiale connue de Daech en Algérie.
Le 14 août dernier, le chef du groupe « Soldats du califat » avait officialisé le ralliement de sa brigade avec l’EI. Implantée dans la région de Thénia, en Kabylie, cette cellule était auparavant associée à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Son chef, Abdelmalek Gouri (de son vrai nom Khaled Abu Suleimane), faisait déjà partie du GIA dans les années 90. Condamné par contumace en 2012 à la peine capitale, il est recherché par les services de sécurité algériens.
Ce ralliement d’un groupe islamiste algérien à l’organisation Daech s’inscrit dans une perspective historique explique Hmida Ayachi, écrivain et journaliste spécialiste de la mouvance islamiste. « Dans les années 90, le GIA était le modèle des djihadistes du Moyen-Orient. Après la chute de Bagdad, en 2003, le rapport de force s’est inversé : les terroristes du Moyen-Orient sont devenus le modèle des islamistes algériens», détaille-t-il. D’où la naissance, aujourd’hui, de ce groupe affilié à l’EI.
Une recomposition des forces djihadistes
Mais le changement d’allégeance opéré par les « Soldats du califat » traduit également une recomposition des forces djihadistes en Algérie et au Maghreb. « Des groupes comme les « Soldats du califat » sont le symbole d’une métamorphose du terrorisme islamiste au Maghreb, explique Ayachi. On assiste à une fragmentation des groupes. Les cellules nées de cette fragmentation veulent marquer leur existence et attirer l’attention des médias par des actes marquants ».
La recomposition est aussi idéologique. Comme l’explique Ayachi, « AQMI a essayé de donner un aspect politique à sa lutte, alors que « l’État islamique » et les groupes qui lui sont affiliés représentent un terrorisme nihiliste ».
Un « terrorisme nihiliste » qui n’est qu’au début de son expansion, prouvant ainsi l’échec du processus de réconciliation nationale entamé au début des années 2000. « Il est malheureusement probable que d’autres groupuscules vont s’inspirer des actions des « Soldats du califat ». On risque d’assister à d’autres enlèvements, et peut-être aussi à un retour des attentats kamikazes, surtout dans les grandes villes », analyse Ayachi.
Si l’organisation Daech représente une menace pour l’Algérie, c’est donc avant tout une menace interne. L’installation de Daech en Algérie se fera non pas par la conquête, comme c’est actuellement le cas en Irak et en Syrie, mais grâce à un système d’allégeance ou à la réactivation de cellules dormantes en Kabylie et dans le sud du pays.
La lutte contre le terrorisme, un combat politique
L’apparition d’un groupe lié à Daech intervient de plus dans un contexte particulièrement sensible. « La zone est minée d’un peu partout », constate Sofiane Sekhri, politologue et professeur à l’université d’Alger, qui cite en exemple le chaos libyen, la menace islamiste en Tunisie et la guerre Mali.
Face à tous ces défis, il est donc urgent de prendre « les mesures nécessaires » explique encore notre interlocuteur. « Par mesures nécessaires j’entends la création d’un système politique fort, avec des institutions fortes. Pour cela, il faut, avant tout, que le régime politique soit considéré comme légitime. Parce que, lorsqu’on a une rupture entre gouvernants et gouvernés, il est plus facile d’exploiter la frustration des seconds. En particulier, il devient plus facile pour les groupes terroristes de recruter des jeunes algériens », détaille le politologue.
L’Algérie peut cependant se targuer d’avoir acquis, depuis la décennie noire, une expérience dans la gestion du terrorisme. « L’Algérie a l’expérience des années 90, mais il y a eu un relâchement depuis le début du processus de réconciliation nationale. En particulier, beaucoup d’experts et d’hommes de terrain ont été marginalisés », explique Ayachi.
Ainsi, comme l’explique Sekrhi, « un travail énorme a été fait dans les domaines de la sécurité et du renseignement, mais il faut aussi faire un travail politique, créer un régime écouté par le peuple et respecté par les autres pays ».
Car la coordination avec d’autres nations est elle aussi essentielle pour garantir la sécurité de l’Algérie. « Depuis le 11 septembre 2001, l’Algérie travaille avec de nombreux partenaires arabes et occidentaux dans le domaine de la lutte antiterroriste », explique Sekhri. Une coopération qui devra être renforcée si l’Algérie veut endiguer la menace et protéger ses frontières. « Mais il y a une chose sur laquelle je veux insister : il ne faut pas que les actions de groupes terroristes mènent notre pays à intervenir militairement à l’étranger. La politique extérieure de l’Algérie doit respecter le principe qui est à son fondement : pas d’intervention au-delà des frontières », martèle Sekrhi, rappelant que les interventions répétées des puissances occidentales ont fait d’elles les cibles privilégiées des terroristes. « L’Algérie doit être le « watchdog » [chien de garde] de la région, mais elle doit s’en tenir à l’action diplomatique », affirme encore notre interlocuteur.