C’est le fait marquant de ces dernières semaines en Algérie : dans tous les procès touchant aux scandales de corruption, aucun ministre n’a été convoqué pour être entendu. Que ce soit dans le procès de l’affaire de l’autoroute Est-Ouest ou dans celui de l’affaire Khalifa, les ministres ont été uniquement interrogés par écrit. Est-ce normal ? Il faut dire que la législation algérienne empêche presque toute poursuite judiciaire contre un ministre en fonction. Une législation taillée sur mesure pour protéger les puissants. Explications.
« En Algérie, un juge ordinaire ne peut convoquer un ministre pour être entendu en tant que témoin. C’est aux seuls juges de la Cour Suprême que revient ce droit. Le juge se contente ainsi de l’interroger uniquement par écrit. Et la procédure devient encore plus compliquée lorsqu’une plainte est directement déposée contre un ministre », assure à ce propos Me Noureddine Benissad, célèbre avocat et président de La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH).
Comme l’a si bien souligné notre interlocuteur, même en 2015, il demeure très difficile de poursuivre en justice un ministre. Et pour cause, lorsqu’un simple citoyen dépose plainte dans un tribunal ordinaire, celui-ci n’a aucune prérogative pour la traiter. Il doit la transférer à la Cour Suprême. « Cela s’appelle un privilège de juridiction », explique Me Benissad. Ainsi, le ministre algérien ne peut être entendu, convoqué ou poursuivi que par la Cour Suprême. Cependant, avant que la plainte contre le ministre n’atterrisse à la Cour Suprême, il faut, d’abord, l’autorisation du ministre de la Justice. Si ce dernier oppose une fin de non-recevoir, aucune procédure ne peut être enclenchée. Et le ministre s’en sort sans la moindre inquiétude. C’est aussi simple que cela en Algérie.
Il existe aussi un autre dispositif juridique qui protège nos puissants ministres. Il s’agit de ce qu’on appelle « l’opportunité de poursuite ». « Lorsqu’une plainte est déposée par un citoyen ordinaire contre un ministre, le procureur de la République doit vérifier le bien-fondé de cette plainte au nom de cette opportunité de poursuite. En Algérie, le procureur de la République est placé sous la tutelle direct du ministère de la Justice. Ce dernier peut facilement lui interdire de valider une plainte et peut lui exiger de la rejeter », indique Me Noureddine Benissad.
La justice est donc clairement mise sous la tutelle du politique. Preuve en est, le Conseil supérieur de la magistrature qui désigne les juges des cours, les permute, les sanctionne ou les contrôle, est présidé par le président de la République. De plus, cette instance judiciaire compte également un vice-président, qui n’est autre que…le ministre de la Justice. Comment peut-on alors poursuivre un ministre comme Amar Ghoul ?
Plus, mêmes d’anciens ministres jouissent toujours de la même protection. Pour preuve, les anciens ministres des Finances, Mourad Medelci et Mohamed Terbache ainsi que l’ex directeur général du Trésor, Karim Djoudi, qui fut aussi ,ministre des Finances, ne sont pas présentés, hier mercredi, devant le juge, en tant que témoins, dans l’affaire du procès Khalifa, qui est à son 20ème jour au tribunal criminel près la cour de Blida. Une impunité totale!