Le Sahara est depuis toujours au cœur de nombreuses questions économiques et politiques majeures, et fut tout récemment remis au centre de l’actualité avec l’anniversaire du début de la colonisation du Sahara occidental par le Maroc en 1975. L’occupation marocaine rappelle la diversité des enjeux se jouant dans la région, et nous amène à nous interroger sur les multiples intérêts que l’Algérie a à investir dans le potentiel de ce gigantesque désert, et à y développer une vision ambitieuse et à long terme.
Le Sahara est un intermédiaire entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord, puis entre l’Afrique du Nord et l’Europe, et est dans cette perspective généralement traité sous deux angles : à travers la question migratoire, et à travers le prisme du trafic de drogues, majoritairement importées d’Amérique latine vers l’Afrique de l’Ouest.
Dans les luttes géopolitiques actuelles, ces deux enjeux se mêlent à d’autres questions politiques et économiques. Le Sahara est devenu la source d’un problème sécuritaire avec l’avènement d’une « guerre contre le terrorisme ». Il est resté le centre d’un vaste espace migratoire, mais peu à peu les pays du Sahel et d’Afrique du Nord semblent réaliser le potentiel économique de cet immense territoire, au-delà de la question des hydrocarbures. Ce potentiel économique doit être plus et mieux exploité car il peut permettre une meilleure intégration politique de la région, enrayer l’isolement de nombreuses populations locales et soutenir des politiques écologiques durables.
Un enjeu politique et sécuritaire
Dans la « guerre contre le terrorisme », le Sahara est en effet un enjeu majeur. En effet, comme le montre le géographe Yves Lacoste, dans un article publié en 2011 dans la revue Hérodote, « Le Sahara, perspectives et illusions géopolitiques », le jihad, pour les Islamistes, manifeste aussi la volonté de reconstituer l’unité du monde musulman, et dans cette perspective, le grand désert saharien pourrait constituer une base géographique idéale pour le lancement d’un tel projet.
Le chercheur français explique d’ailleurs l’histoire d’un Sahara qui fut constamment l’objet de désirs politiques et impérialistes, et prend l’exemple libyen. Kadhafi avait un regard tourné vers l’ouest, avec l’idée de constituer « les Etats-Unis du Sahara », et ces ambitions avaient échoué face à l’opposition algérienne. L’anthropologue Evans-Pritchard, dans les années 1950, avait d’ailleurs montré comment les structures de la confrérie des Senoussi , au 19ème siècle, avaient permis l’extension de leurs réseaux dans tout le Sahara. La multiplication des zaouïas dans la région avait favorisé ce gigantesque réseau, et, comme le soutient Lacoste, a favorisé à terme les ambitions libyennes contemporaines dans cet espace.
Aujourd’hui, la chute de l’Etat libyen et l’absence d’une véritable politique algérienne dans la région favorisent l’expansion des réseaux djihadistes. Il ne suffit certainement pas, de s’impliquer simplement dans « la lutte contre le terrorisme et la contrebande au Sahel », pour reprendre les mots de Salim Chena, politologue et auteur de la « portée et limites de l’hégémonie algérienne dans l’aire sahélo-maghrébine », parue dans la revue Hérodote en 2011, mais de développer une véritable vision économique à long terme qui puisse favoriser l’intégration politique des pays de la région.
La question migratoire
De plus, la région constitue un enjeu migratoire, mais cet enjeu doit évidemment être abordé sous l’angle économique et le potentiel de puissance que possède le Sahara.
Yves Lacoste cite le travail de Robert Kaplan, qui « évoque le Sahara comme une barrière qui pourrait être opposée à d’énormes migrations vers le Nord », alors que la croissance démographique de l’Afrique subasaharienne (un milliard aujourd’hui, deux milliards en 2050) et les inégalités de développement dans cette région va poser de sérieuse questions migratoires à nos experts européens.
Un potentiel économique immense
Mais l’espace saharien pourrait en effet jouer ce rôle que si « le vide humain qui le caractérise » se transforme en le « pôle de puissance » qu’il pourrait être en raison de ses riches ressources naturelles. Le Maroc s’intéresse depuis quelques temps à son immense potentiel en construisant une gigantesque centrale d’énergie, avec des centrales solaires géantes et des éoliennes, qui pourraient alimenter plus de la moitié des besoins énergétiques de la population marocaine d’ici 2020. C’est ce que nous révèle la tribune du Pr Chems Eddine Chitour dans le Quotidien d’Oran, qui évoque aussi le projet de gazoduc entre le Nigeria et l’Algérie, qui passerait par le Niger et qui aurait d’importantes conséquences, non seulement écologiques, mais économiques et politiques.
L’objectif à terme serait de limiter peu à peu l’enclavement de populations isolées du sud de l’Algérie, et c’est aussi l’opportunité de renforcer la stabilisation de la région sahélienne grâce à la dimension transafricaine de tels projets.
L’Afrique et la guerre économique
Parallèlement à toutes ces questions, il faut aussi comprendre que se joue une guerre économique entre puissances non-africaines. L’anthropologue Jeremy Keenan, dans un livre paru en 2009, « The Dark Sahara. America’s War on Terror in Africa », évoque les quelques analystes qui considèrent que la politique algérienne dans le Sahel sert de porte d’entrée à l’implantation américaine dans la région, et souligne par le même biais l’intérêt de la Chine et de la France pour cet espace riche en ressources naturelles.
Dans un autre article, « Algeria : current issues », paru en 2011, l’analyste Alexis Arieff montre en revanche les avantages que possède la France dans la région. Paris reste dans une relation historique particulière avec Alger et les autres capitales d’Afrique du Nord et du Sahel, et à ce titre Salim Chena considère que la France est bien souvent « la mieux placée pour mener un bloc contre-hégémonique ».
Cette guerre économique invisible qui prend place en Afrique du Nord et dans les pays du Sahel est révélatrice de l’importance de tous les enjeux évoqués dans cet article. Les rivalités nationales et régionales, entre l’Algérie et la Maroc, entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, ne doivent pas faire oublier à ces pays que la réussite de nombreux projets économiques passe par des coopérations transnationales. Encore une fois, cela nous rappelle que l’avenir en Afrique se doit d’être, avant toute autre chose, africain.
Tahar S.