Les islamistes sont mortels, vont aux toilettes et Dieu ne leur a jamais parlé par Kamel DAOUD

Redaction

 Quel est le véritable ennemi de l’Islamiste ? D’abord lui-même, puis ceux qui ne sont pas d’accord avec lui et, enfin et surtout, le temps.

Le temps est l’ennemi de l’illusion et de l’utopisme. Il en démontre la futilité et l’impossibilité d’arrêter le temps, d’en finir avec la chronologie, l’usure et la relativité ou d’en remonter le cours. C’est le cas des islamistes nés, par hold-up du printemps « arabe » en Tunisie ou ailleurs. Après avoir bâti leur politique sur le fameux et creux slogan de « l’Islam est la solution », ils ont découvert le «politique», la gouvernance, la responsabilité collective et l’obligation du résultat avant le jugement dernier et le Paradis de Dieu. Bons en opposants, mauvais en gérants des affaires publiques, ils ont succombé au travers populistes de leurs mouvements et de ceux de leurs ennemis d’autrefois : autoritarisme, clandestinité des centres de décision (ce n’est pas Morsi qui commande mais le Guide de la secte et ce n’est pas Djabali qui décide mais Ghannouchi), manque de vision de relance économique, bipolarisation entre radicaux et modérés et inconstance dans la gestion des Djihadistes et salafistes durs et de la sécurité.

A la fin, c’est le désenchantement et la violence et la débâcle.

Les islamistes, dans ce monde « arabe » en crise  et en quête d’issues vers la modernité, perdent du terrain à une vitesse que personne n’avait prévu. On les disait vainqueurs pour longtemps, avocats du conservatisme des électeurs de base et résultat de l’échec des progressistes et démocrates et on les présentait comme une force première et incontournable. Et on les découvre idiots, naïfs, mauvais joueurs et faibles. Pire encore, on théorisait sur la défaite de leurs adversaires en prenant trop facilement exemple sur le fatalisme laïc des progressistes en Algérie, plongé dans le post-mortem depuis les années 90 et la guerre civile. Et on découvre le contraire d’une force moderniste qui ne se laisse pas faire et défaire.

En Egypte, face à un Morsi désormais vu et vécu comme un Moubarak barbu et mou, mené en ventriloque par le guide de sa secte et dont le but est la confrérisation de ce qui reste de l’Etat Egyptien, les modernistes ne cèdent pas et avance et font reculer la secte depuis des mois de luttes. Idem en Tunisie : c’est le frère Caen Djabali contre Abel Ghannouchi. Dans un éclatement public  et en live d’Ennahda après l’assassinat d’un leader de la gauche tunisienne la semaine dernière. Dans les deux cas, les résistances dites laïques ont été admirables, inattendues, massives et largement suivies. Démontrant que l’offre démocrate n’est pas minoritaire, que la vision et la gestion des islamistes sont désormais perçues comme une menace et pas seulement par les élites des classes moyennes hautes et qu’il y a une vie après les islamistes. Une vie à défendre et à vivre. Le vote pro-islamiste en Tunisie et en Egypte et au Maroc a été peut-être le cadeau empoisonné pour eux et le cadeau béni pour leur adversaires : il aura permis d’en finir, vite, avec l’utopisme de « l’islam est la solution » et de démontrer que les islamistes sont mortels, vont aux toilettes, mentent et tuent. L’affaire du salafiste député égyptien qui s’est fait refaire le nez en mentant sur une agression imaginaire est plus qu’un fait divers. Et la légèreté de Kandil, l’actuel premier ministre de ce pays qui, pendant que l’Egypte brûle, fait une conférence de presse sur la nécessité de laver le sein avant d’allaiter un bébé, est un autre exemple.

Les mouvements religieux au pouvoir, du Maroc à l’Egypte le savent et le perçoivent bien  désormais : ils devinent un effritement de l’électorat et surtout la naissance d’une résistance qui ne baisse pas le bras devant eux. Mouvements de  paradoxe : les partis islamistes subissent les tentations de l’éclatement et ceux des libéraux la tentation de l’union sacrée. Et le mouvement se précipite, se « solidifie » et prend du volume avec le temps. Le temps que perdent les islamistes, qu’ils ne savent pas gérer ni faire fructifier ni transformer en emplois et en richesses.

Car les tunisiens comme  les autres découvrent que les fatwas ne se mangent pas et que les islamistes sont uniquement des hommes… politiques, pas des envoyés de Dieu. Une sorte de sécularisation s’opère sous les yeux et à la vitesse grand V. Elle a mis des siècles en Occident, elle se fait à la vitesse d’un bon débit internet dans le monde dit « arabe ». Tout n’est pas gagné cependant et l’avenir est ouvert sur l’inconnu. Les islamistes ont pris le pouvoir dans certains pays : au nom de Dieu et pas des urnes. Pour eux la démocratie est une femme qu’ils peuvent remplacer par trois autres et le califat un but qui n’est pas négociable. Ils ne partiront pas, ne céderont pas le pouvoir, ne reconnaîtront jamais une défaite électorale. Ils veulent le califat, la fin des temps, le jugement dernier et donc la fin du monde. Quitte à la provoquer et détruire les pays.

Le Paradis étant promis pour l’au-delà, les islamistes voient la mort (donnée ou reçue) comme une formalité.

Et pour le moment, ils découvrent qu’ils perdent du terrain et cela les fait réagir mais sur les vieux modes : complot étranger, menaces et « ceux qui sont contre nous, sont contre l’Islam ». C’est ce qui se dit en Egypte et c’est ce qu’a tenté de faire passer Ennahda en Tunisie avec la marche « spontanée » (comme ceux des régimes bannis) à Tunis ville hier. A la fin ? Ce n’est pas gagné, mais ce n’est pas perdu.

L’exemple algérien est dans tous les esprits de ceux qui vivent leur épisode algérien, chez eux, dans leur pays.

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