Lettre à un infirmier franco-algérien qui travaille au Val de Grâce

Redaction

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« … Il est chez vous mais on est chez lui. C’est un peu rigolo non mon cousin ? Je te donne des nouvelles du pays et tu me donnes des nouvelles de sa maladie. Tu n’en sais rien ? Autant que moi. Le pays est là où tu l’as laissé, dans la position où tu l’as laissé : affalé après une longue guerre, le ventre gros, la tête pleine de ses martyrs qui se poussent du coude et la main baladeuse dans les entrailles du sol pendant qu’on lui fait les poches et les dents. Il n’y a rien qui a changé sauf la façon de manger. Et toi ? C’est toujours ainsi : quand on veut vivre ou survivre, on va en France. Quand on veut bien mourir, on chasse la France. Quand on veut faire de la politique, on insulte la France. Et c’est réciproque, je crois, quand je lis ce qui se passe dans le pays qui te porte sur son dos mais qui te tourne le dos à la fois : l’Algérie, c’est une maladie de vieux qui veut la peau des jeunes. Chacun cerne l’autre : en France, ils voient l’Algérie à travers les banlieues et en Algérie le monde est vu à travers la France, ses vies et ses viols. Les deux sont myopes et croient qu’ils sont les seuls habitants de la planète qui tourne autour d’eux. Mais là je dérive : je voulais juste savoir ce que vous en pensez d’être pour quelques jours comme nous : voisin d’un Président malade et d’un hôpital qui ne dit rien. Nous, ici, on se sent ni mieux, ni pire : cela fait longtemps que Boumédiène est mort et depuis, la Présidence ne sert qu’à l’ENTV ou à recevoir les étrangers. Quand il tombe malade, cela ne fait pas de grosse différence entre lui et le pays. Entre la maladie et l’oisiveté. L’Etat, c’est personne ou tout le monde. Il faut voir aujourd’hui les Algériens : ils refont tous l’été 62. On tourne tous affolés autour de la même question qui n’a pas été tranchée après la fuite de la France : « A qui appartient quoi et selon quel droit ou loi? » Du coup, son cas à lui, c’est un peu celui du GPRA. C’est ce que pense le peuple : même si un jour l’Etat algérien va exister, les Algériens vont regarder qui est derrière. C’est une maladie qui ne se soigne pas à Val de Grâce : le soupçon. D’ailleurs, même lui, Bouteflika, nous soupçonne tous. C’est pourquoi il est en France pour se soigner : là-bas, il n’y a pas de rideau derrière le dos.

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Est-ce qu’on lui en veut ? Avec la bouche, oui. Mais cela ne change pas : en Algérie, c’est un Président dur et vieux. En France, c’est un Président mou et jeune. Peut-être qu’il faut échanger, cela sera bien pour les deux pays. Tous les décolonisateurs rêvent de ressembler à De Gaulle. Et tous les socialistes français rêvent de posséder l’Algérie. Tu vois ce que cela fait d’avoir l’indépendance et de ne pas apprendre un métier juste après ? Tu deviens analyste des cheveux et coupeur de routes. J’exagère. Je sais que l’on ne s’aime pas entre nous, mais il ne faut pas le dire. Bon, tout le monde va bien en gros. Sauf lui. Et les siens. Et nous tous. Je me demande, en fin, cela sert à quoi les Présidents, ces fils cadets des rois d’autrefois ? Je t’embrasse. Embrasses les tiens. C’est la mode : il écrit des lettres à son peuple, le peuple écrit des lettres à ses proches. La poste algérienne va très mal mais le courrier va bien. »