Sur le net, c’est l’homme le plus recherché d’Algérie : l’homme qui a embrassé, en baisemain, la main de François Hollande lors de sa visite en Algérie. Qui est-il ? Que veut-il ? Qui a pris cette photo ? En face, en contrepoids, certains publient la photo d’un jeune algérien qui escalade un lampadaire pour arracher un drapeau français, planté sur la route du cortège officiel : « le digne fils des martyrs » commente-t-on. Sauf que le jeune homme voulait juste profiter de l’occasion pour posséder un drapeau français à agiter dans les stades.
Loin de la guerre, de son souvenir ou de ses sens et ossements. Le tout illustrant bien la semaine politique algérienne écoulée : nationalisme de réflexe, schizophrénie de fond. La France reste un sujet ambigu en Algérie : on s’y soigne mais on y crache. On refuse son retour mais on veut y aller. Elle signifie à la fois le plus grand souvenir d’oppression et le sens de la libération et de la liberté de l’homme qui y a fuit. On va lyncher l’homme qui a embrassé la main mais le lendemain on y demande le visa au Consulat, dans la bousculade du boat-people terrestre. On dresse le bon peuple contre la France mais c’est en France que l’on va chercher le ok pour sa réélection. La raison ? On est piégé entre le désir et l’histoire. Entre ce que l’on nous enseigne dans les écoles et ceux qu’on voit à la télé ? Entre l’envie de la vie et la mémoire des morts. Entre l’idée du salut individuel et le conditionnement du nationalisme collectif. Donc à la fin, on y va, un par un. Mais on la refuse, collectivement.
La France est la maîtresse pas la femme. On s’y installe en famille puis on revient en Algérie y faire la conférence de presse y lancer un « il n’y pas plus rien à faire en France » comme le fera un écrivain algérien. On y déclare l’hyper nationalisme affectif mais on y reste pour juger du pays comme un échec invivable, mais entre « intimes ». Du coup, quand un Président Français décide de faire son pèlerinage algérien (obligatoire pour donner un arrière-plan d’histoire à tout mandat présidentiel français), c’est cette ambiguïté qui est ravivée jusqu’à l’impasse. Du plus haut sommet de l’Etat, au trottoir de l’humble passant. Bouteflika était plus heureux par le plébiscite international que lui assure Hollande que par une usine Renault à Oran.
A chaque fois, à chaque visite, on y parle de refondation, de contrats et de relance, mais le fond reste le vrai : il s’agit de reconnaissances à rafraîchir. On a souvent parlé de complexe de néo-colonisé, mais on oublie de parler des complexes du dé-colonisateur : celui qui a besoin de faire la guerre, de parler à l’adversaire, de revivre sa jeunesse, de montrer son « indépendance » et ses routes, son œuvre « positive » de décolonisation et qui ne peut pas vivre et avoir du sens hors du couple fondateur de son histoire. Donc, on se rencontre, on parle, on se heurte, on admet, on reconnait, on dit, puis on se repose. Le cycle long de la reproduction et du repos biologiques des disputes algéro-françaises est de huit ans. Après, il y a toujours un moment de pause et d’amitié des mots nouveaux pour la même vieille histoire ; puis on recommence.
Et les meilleures analyses pour déchiffrer l’hypocrisie de ces rapports entre ex-colonisateurs et ex-dé-colonisateurs, c’est chez les voisins qu’on peut les retrouver : voyez ce que peut penser la presse marocaine de la visite de Hollande en Algérie ou ce que peut penser la presse algérienne si Hollande avait visité le Royaume. C’est là que la psychologie du Harem se révèle mieux que celle du drapeau. Donc la semaine algérienne a été consacrée à la visite de Hollande en Algérie. L’homme qui n’a pas cessé de parler et que Bouteflika n’a cessé de montrer et d’exhiber comme un bulletin de vote d’élection régionale.
L’homme du baisemain, Hollande, Bouteflika. Reste donc un dernier homme de la semaine : Aï-Ahmed. Lui, il vient d’annoncer qu’il ne sera pas Président. Ni de son parti, ni de l’Algérie. C’est une époque qui vient de finir et d’être close. Étrangement en Algérie, les Présidents finissent comme les opposants ailleurs (morts, tués dans le dos, en prison, meurent jeunes ou sont mis en résidence surveillée mais discrète). Les opposants (réels ou de fiction) finissent comme des Présidents : en exil médical, en transmettant les pouvoirs au suivant (Saïd Sadi et Aït Ahmed), en retraite au Qatar (Abassi Madani), en paisibles retraités (Boukhrouh), en raconteurs d’histoires (Ghozali), en bons époux (Djaballah), en frustrés ambulants (Solatani). A vous de compléter la liste..