Lutte conte le terrorisme/ Les liaisons dangereuses entre le DRS et la CIA

Redaction

Depuis une quinzaine d’années, l’anthropologue britannique Jeremy Keenan, professeur à l’université de Londres, soutient une thèse originale : l’Algérie serait le principal allié de la puissance américaine sur le continent africain, et cette relation privilégiée servirait les intérêts énergétiques de Washington dans la région, en légitimant la présence militaire US sur le sol africain, dans les régions riches en ressources naturelles notamment, et en mettant sans cesse en avant le prétexte de la lutte contre la menace terroriste.

Un impérialisme américain soutenu par Alger ?

Ce ne sont évidemment pas les accusations portées à l’encontre de l’impérialisme américain qui font l’originalité de la thèse. Il est en effet bien difficile de nier la dimension impérialiste du pouvoir militaire américain. Le chercheur Lutz, dans un article intitulé « The bases of empire : the global struggle against US military posts », paru en 2009, montre la vaste étendue de la présence militaire américaine dans le monde : d’après les chiffres, minimisés de surcroît, du département américain de la Défense, ce sont 190,000 hommes et 115,000 militaires qui étaient déployées dans 909 bases, et ce dans 46 pays différents en 2007.

Ce n’est pas non plus le lien entre cette forte présence militaire, associée à la « guerre contre le terrorisme », et les intérêts énergétiques américains, qui peut étonner le lecteur assidu d’Algérie-Focus, tant l’on sait depuis des années que la politique militaire américaine sert bien plus les positions stratégiques de Washington qu’elle ne cherche à régler les problèmes économiques ou humanitaires des régions au sein desquelles elle a une influence. En ce qui concerne l’Afrique, c’est le rapport Cheney, établi en 2001 par le vice-président de Georges W. Bush, qui révélait l’importance future de l’Afrique pour son offre de pétrole, notamment dans les régions du golfe de Guinée, alors que le fils Bush avait fait de la sécurité énergétique l’une des priorités principales des américains lors de son élection en 2000.

Mais, en réalité ce sont les fortes suspicions qui pèsent à l’égard de la politique sécuritaire d’Alger qui sont surprenantes. Non seulement celle-ci est accusée par Keenan d’être fortement associée à celle mise en œuvre par Washington, ce qui pourrait être légitime, après tout chacun choisit ses alliés, même si ces choix sont en contradiction avec la tradition anti-impérialiste algérienne et toute l’histoire d’un pays qui s’est forgé sur l’honneur de son non-alignement et de sa guerre d’indépendance. Mais, de plus, ce sont les basses manœuvres de cette politique ‘sécuritaire’ qui sont montrées du doigt par l’anthropologue britannique, qui cherche à prouver que, dans bien des cas, la ‘menace terroriste’ a été fabriquée de toutes pièces par les services de sécurité algériens.

La politique du DRS remise en cause

La thèse de Jeremy Keenan prend évidemment des allures complotistes, tant elle suspecte le DRS algérien d’avoir une implication directe dans certains des attentats terroristes ayant eu lieu ces dernières années en Afrique du Nord.

Son argument suit une certaine logique. L’administration Bush avait besoin de justifier la mise en place d’un front au Sahara et au Sahel, dans une région qui est maintenant connue comme le second front dans la guerre contre le terrorisme en Afrique, avant que les diverses interventions militaire au Moyen-Orient en Afrique du Nord ne soulève encore un peu plus la poussière. Seulement, à cette époque, la plupart des incidents terroristes en Afrique s’étaient concentrés en Somalie, en Afrique de l’Est et au nord du Maghreb, « bien loin des pays africains riches en pétrole, dans les pays d’Afrique de l’Ouest qui jouxtent le golf de Guinée ».

La thèse de Keenan cherche donc à démontrer que la menace terroriste dans la région sahélo-saharienne fut créée et soutenue par une alliance entre l’administration américaine et les services de sécurité algériens. Pour cela, il prend l’exemple de l’attentat contre 32 touristes européens dans le Sahara algérien en Février-Mars 2003. D’après ses sources, le leader des islamistes radicaux ayant entrepris cette attaque terroriste était un agent de la DRS, ‘El Para’, aussi connu sous son véritable nom, Saifi Amari.

D’après le journaliste d’investigation américain Seymour Hersh, dans un article paru en 2005, « The Coming Wars : What the Pentagon can now do in secret », cet attentat constituerait l’opération pilote d’un plus vaste programme du Pentagone, celui du « Proactive, Preemptive Operations Group », organisation dont le but serait de mettre en place des missions secrètes cherchant à ‘stimuler des réactions’ de la part des groupes terroristes, actions qui légitimeraient dans un second temps la contre-attaque de forces américaines.

Pour Keenan, il n’y avait pas de terrorisme (au sens conventionnel du terme) dans cette région du Sahel, avant cet attentat, et celui-ci à dés lors permis aux haut dignitaires militaires américains, à partir de 2003, de parler de « larges espaces africains sans gouvernance », politiquement instables et sous constante menace d’attentats terroristes de large ampleur.

L’anthropologue soutient d’ailleurs que c’est avec cette opération que l’administration Bush a pu véritablement désigner le Sahara comme un nouveau front d’importance capitale pour la lutte contre le terrorisme mondial. La militarisation de la région fut alors légitimée par ce discours idéologique, et un premier débarquement de 500 hommes de troupe américains, ‘anti-terroristes’, prit place dès janvier 2004 à Nouakchott, la capitale de la Mauritanie. Pour Keenan, l’apogée de cette politique se manifestât dans la signature du « Trans-Saharan Counter-Terrorism Initiative », qui permit à Washington de faire le lien entre l’Algérie et le Nigeria, deux des plus gros producteurs de pétrole d’Afrique, et d’inclure dans cet arrangement militaire nombre de nouveaux Etats voisins du Sahara et de la région sahélienne.

Ces manœuvres politiques soulèvent un certain nombre de questions politiques et morales, mais c’est la position de l’Algérie dans ces affaires qui suscite des  interrogations. La question n’est pas tant de savoir si les thèses d’implication du DRS dans ces attentats sont vraies ou non, mais elle est plutôt de comprendre les intérêts réels de l’Etat algérien à tant favoriser la militarisation de ses régions voisines par une puissance étrangère, alors même que celui-ci cherche sans cesse à mettre en avant l’indépendance de sa politique étrangère. L’importance des partenariats économiques liant Washington à Alger légitime-t-elle  la déroute des principes moraux constituant l’essence de la souveraineté algérienne ?

Tarek S.W.

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