La manifestation historique des policiers à Ghardaïa et à Alger a le mérite d’avoir mis à nu les limites de la politique sécuritaire adoptée jusque-là par les autorités algériennes. Elle relance aussi le débat sur la liberté de manifester dans les rues en Algérie. Si les policiers ont bravé l’interdit sans que personne n’ose venir les réprimer, pourquoi les autres citoyens algériens ne jouissent-ils pas du même droit consacré par la Constitution ?
Plusieurs centaines de policiers ont manifesté à Ghardaïa lundi. Mardi, ils étaient plusieurs dizaines à manifester à Alger-centre et à marcher depuis Bab Ezzouar jusqu’au Palais du Gouvernement à Alger. Une première dans l’histoire de la Police algérienne. Les policiers ont manifesté pacifiquement et sans aucun dérapage pour l’instant. Ils n’ont été victimes d’aucune répression contrairement aux militants de la démocratie, des syndicats autonomes et partisans du changement politique en Algérie.
Et pourtant, leur action est jugée « illégale » si l’on se réfère à la réglementation en vigueur où toute manifestation publique est interdite à Alger, la capitale. Les autorités algériennes pour justifier la répression de manifestations de rue initiées par des militants, des personnalités, des organisations, des syndicats, des mouvements ou des collectifs issus de différents bords, ont toujours juré agir pour appliquer cette loi restrictive. Et ben, aujourd’hui, il n’y avait personne dans les rues d’Alger pour stopper la marche des policiers.
L’arroseur non arrosé
Prompts à lever très haut leurs bastonnades, tirer des bombes lacrymogènes, malmener et embarquer dans des camions de police les manifestants, obéissant ainsi aux instructions de leur tutelle, ces répresseurs zélés et acharnés contre leurs concitoyens protestataires sont enfin sortis dans la rue pour jouer le rôle de « manifestants non autorisés ». Sauf que « les matraqueurs» n’ont pas été matraqués. N’ayant essuyé aucun coup de matraque, «les casques bleus » sont donc rentrés sans la moindre égratignure sur une partie de leur corps, contrairement à leur concitoyens civils qu’ils rouaient férocement de coups de bâton pour être sortis dans la rue revendiquer des droits aussi légitimes que les leurs.
Deux poids, deux mesures
Cette expérience e des forces antiémeute, une première, contraste parfaitement avec les marches des éléments de la Garde communale, un corps de sécurité également sous tutelle du ministère de l’Intérieur à l’époque, réprimées à la nord-coréenne par des unités de ces mêmes URS. Elle a donc le mérite d’avoir dévoilé, encore une fois, la politique de deux poids deux mesures des pouvoirs publics en termes d’encadrement et de gestion des actions de protestation pacifiques.
Bastonnés hier, soutiens aujourd’hui
Les manifestations de ce lundi devraient service de leçon aux forces de maintien de l’ordre dans leur comportement futur envers les autres manifestants pour la simple raison que les policiers ont reçu le soutien de leur concitoyens. Ils ont effectivement été acclamés par les habitants de la ville de Berriane tout au long du parcours de leur marche. La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), dont des militants ont été à maintes reprises bastonnés aussi par les policier, a affirmé, elle aussi, son soutien à « l’ouverture de l’activité syndicale pour les corps de la sûreté comme il est d’usage dans plusieurs pays ». « Continuer à refuser cela exprime la volonté de persister dans l’utilisation de ces corps comme remparts contre la société et approfondir encore plus le déficit, entre les autorités et la société ainsi qu’entre les différents corps de la société », lit-on dans un communiqué de la LADDH, rendu public lundi soir.
Echec de la politique sécuritaire
La LADDH estime aussi que cette action de protestation met à nu l’échec de la politique du tout répressif menée jusque-là par les pouvoirs publics. Une politique sécuritaire à revoir d’autant que ce sont des éléments d’un corps de sécurité qui ont manifesté à Ghardaïa et Alger, devant le siège locale de la sûreté de wilaya locale à Ghardaïa pour justement dénoncer « l’insécurité ». Préoccupée par les limites de cette politique sécuritaire, la LADDH tire, encore une fois, la sonnette d’alarme : « La gestion sécuritaire du pays, seule politique pratiquée en l’absence de tout dialogue réel avec les habitants de cette région (le M’zab) ou celle des autres régions, telle que conçue jusqu’à présent ne fait-elle pas qu’envenimer la situation, aggraver les conflits et mener au chaos que le discours officiel utilise comme prétexte pour instrumentaliser les forces de sécurité et l’appareil de justice ». A partir de ce constat, la LADDH interpelle les pouvoirs publics et « demande l’abandon de la gestion sécuritaire ». Elle propose comme alternative « une démarche démocratique dans le but de construire des consensus en répondant aux attentes et besoins des Algériens et Algériennes », ajoute-t-on enfin dans le même communiqué.
Yacine Omar