Naoufel Brahimi El Mili : « l’inviolabilité des sites pétroliers et gaziers est réduite à néant » en Algérie

Redaction

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Naoufel Brahimi El Mili est docteur en sciences politiques, professeur à Sciences-Po Paris et spécialiste du Maghreb. Il revient sur l’attaque terroriste d’In Amenas et aborde l’avenir de la sécurité algérienne, remis en question depuis cette prise d’otages. L’instabilité en Libye et dans toute la région du Sahel a été un facteur important dans l’organisation de cette attaque par le groupe terroriste. Pour comprendre la situation dans cette région et  déterminer les enjeux qu’elle représente, Naoufel Brahimi El Mili nous donne quelques clés de compréhension.

L’intervention française est-elle liée à cette attaque en Algérie ?

Même s’il est difficile d’établir un lien mécanique direct entre l’intervention militaire française au Nord Mali et l’attaque terroriste contre le site gazier d’In Amenas, les deux événements découlent de la même matrice : la chute de Tripoli en septembre 2011. En effet, il est établi qu’à cette occasion des colonnes de miliciens fortement armés qui étaient aux côtés de Kadhafi, fuyaient la Libye en direction du Nord Mali. Ces hommes militairement bien équipés, endoctrinés se sont établis dans cette région, plus que jamais propice à tous les trafics. Privés des avantages que procurent une proximité avec le régime d’Al-Jamahiriya, ces hommes, sur un vieux contentieux identitaire de la question des Touaregs, prennent le contrôle de cette région. Pour asseoir leur pouvoir, il est devenu nécessaire pour cette nébuleuse non seulement de se parer d’une doctrine islamiste mais aussi d’affaiblir la seule puissance régionale : l’Algérie. L’attaque du consulat algérien de Gao et le kidnapping de ses six diplomates par le MUJAO (mouvement d’unicité du Jihad  en Afrique de l’Ouest), était un premier pas.

De votre côté comment voyez-vous l’avenir de l’Algérie après cette attaque ?

A court terme, malgré certaines critiques venant de l’étranger (mais qui se sont très vite tues), le pouvoir algérien est doublement renforcé. Sur le plan interne, par la mobilisation des Algériens en faveur de leur armée et internationalement, par la reconnaissance (parfois tardive) de l’Occident de la pertinence de l’action des troupes d’élite pour neutraliser les terroristes d’In Amenas. Cependant, ce conflit destiné à s’installer dans la durée, ne peut qu’affecter l’Algérie. D’abord l’image d’un pays où la paix restaurée (notamment par la réconciliation nationale) est écornée, ensuite l’idée de l’inviolabilité des sites pétroliers et gaziers (poumons économiques du pays) est réduite à néant. Des réactions des pétroliers étrangers sont encore inconnues mais inévitables.

L’Algérie saura-t-elle apporter les réponses idoines ?

De par son soutien, fût-il passif, de l’intervention armée française (fermeture des frontières avec le Mali et autorisation donnée aux Français de survoler l’espace aérien), il est à espérer que l’Algérie ait préalablement eue des garanties, voire des contreparties afin de ne pas perdre son influence sur cette région. Il est désormais clair qu’une forme d’autonomie interne sera accordée à l’Azawad comme issue de ce conflit. D’autant plus que les outils juridiques établis par l’ONU en 1992, cadrent les conditions de protection des minorités nationales. Comment va réagir l’Algérie si un président français, dans un avenir plus ou moins lointain, déclare de Gao ou de Tombouctou : « Vive l’Azawad libre » ? Aussi, le principe de l’intangibilité des frontières est désormais trop vacillant pour esquisser une quelque stabilité: création de l’Erythrée en 1993 et l’Etat du sud Soudan en juillet 2011. Les conflits les plus violents et durables apparaissent toujours dans des zones chargées d’enjeux économiques, ce qui est le cas du « territoire Touareg » : pétrole, or uranium…autant de produits stratégiques pour l’économie mondiale. De ce fait une réponse idoine de l’Algérie face à ce foyer de menaces et de troubles, ne peut se construire que sur un double registre : national et international. Une bonne gouvernance qui ne peut être que le résultat d’un véritable processus démocratique (toujours attendu), consoliderai une nécessaire cohésion nationale. Vis-à-vis de l’étranger, forte d’une légitimité véritablement démocratique et accompagnée d’une cohérence économique, l’Algérie peut consolider sa centralité régionale. Espérons…

Le Premier Ministre algérien a révélé que les terroristes sont passés par la Libye pour atteindre le Sud algérien. Faut-il s’attendre à une détérioration des relations de l’Algérie avec la Libye après attaque ?

Dans ce conflit, la Libye en pleine déconstruction n’est pas pour le moment un sujet hautement stratégique, d’une part. D’autre part, des relations détériorées aggravent le problème. Que peut-on reprocher à cette Libye ? Qu’elle ne contrôle pas ses frontières, facile à dire. La première puissance mondiale, les Etats-Unis, a encore du mal à endiguer le flux des Mexicains à la recherche du travail et des femmes enceintes désireuses d’accoucher au Texas ou autre état limitrophe. Que dire de la Libye et même de l’Algérie aux grandes frontières désertiques donc nécessairement poreuses, pour contenir des terroristes entrainés et déterminés ?

La Libye va-t-elle continuer à représenter une certaine instabilité au sein du Maghreb ?

La Libye n’est pas la seule source d’instabilité régionale. Le Mali dont l’Etat et l’armée sont décomposés, y participe. Sans oublier la Mauritanie dont les fragilités sont multiples : défaillance des institutions, tensions ethniques… Faut-il élargir la réflexion au Sahara Occidental ? Bien sûr, les raisons d’une forte inquiétude sur l’avenir de cette région sont trop nombreuses pour autoriser une perspective optimiste.