La conférence pour la transition démocratique organisée plusieurs partis d’opposition a réuni près de 500 personnes. Malgré quelques difficultés et entraves pour se réunir, les cadres et leaders de partis ont réussi le pari de parler d’une seule voix, celle de l’opposition. Mais cette conférence permettra-t-elle d’apporter un réel rapport de force et une opposition soudée ? L’Algérie est-elle prête à laisser sa place à des opposants politiques ?
« Laissez-nous prendre des photos, nous sommes la presse ! » à l’entrée du chapiteau de l’hôtel Mazafran à Zeralda où les journalistes se battent pour immortaliser la grande famille d’opposition recomposée. « Depuis 62, nous n’avons jamais vu autant de partis d’opposition réunis à la même table. C’est historique!», lance l’un des conseillers d’Ali Benflis, l’ex-candidat à la présidentielle d’avril 2014. Réunir un tel casting relevait de l’impossible, et pourtant tous les grands noms de l’opposition politique sont là Mohcène Belabbes pour le RCD, ainsi Saïd Sadi, l’ancien leader du même mouvement, le Front pour la justice et le développement représenté par Abdallah Djaballah, Ahmed Betatache du FFS, ou encore Sofiane Djilali dont le parti avait commencé à rédiger la plateforme présentée par l’opposition, en avril dernier.
On trouvait également des anciens chefs de gouvernement dont Ali Benflis et Ahmed Benbitour qui présidait cette réunion, ou encore des grandes figures de l’histoire algérienne comme Ali Yahia Abdenour ou Mouloud Hamrouche.
Tous assis autour d’une même table, ceux qu’on appelle les opposants du régime ont décidé de faire front commun et de mettre de côté leur idéologies politiques pour penser à l’avenir de l’Algérie. Image utopique ou réalité ?
L’union fait la force
La plupart des militants sur place estiment que ce tableau de famille est la première réussite de la conférence. La preuve que l’ « opposition n’a jamais été aussi forte », estime Dr Aissa Belmekki, chercheur en anthropologie politique, membre du groupe d’Ahmed Benbitour. « Le pouvoir n’a jamais dû faire face à autant d’acteurs de l’opposition, et à une telle organisation liée par la nécessité de mettre en place une transition démocratique », ajoute-t-il.
Il est vrai que sous le chapiteau de l’hôtel l’ambiance est surprenante. Les mains se serrent, les sourires se succèdent et les accolades devant les photographes sont nombreuses. Saïd Sadi arrive main dans la main avec Ali Yahia Abdenour, les partis islamistes côtoient le RCD et le FFS. Quant aux rivalités d’antan entre acteurs politiques, elles sont effacées le temps d’une journée. Lorsque Mouloud Hamrouche explique qu’il rêve depuis longtemps « de cette rencontre avec des partis politiques aux idéologies différentes », la salle applaudit avec ferveur l’homme politique. Dans la salle l’heure est à l’entente, tous s’accordent à dire que « nous n’avons plus le choix », et qu’être opposant passe par cette union. « Il faut dépasser la querelle politique afin d’aller vers une synergie politique » explique de son côté le Dr Belmekki.
Des idéologies libres mais un projet en commun
Cette alliance historique peut-elle réellement accoucher d’un projet concret ? Dans la salle personne n’avait réellement la réponse. Pour la plupart l’important est d’entamer un processus et donner une visibilité à une opposition sclérosée qui jusqu’à présent ne faisait que lutter de manière satellite. « Ce n’est pas l’alliance pour des élections mais une alliance pour sortir l’Algérie de la crise, et ça change tout », estime Ghiles Amokrane, secrétaire national exécutif chargé du mouvement associatif et syndical chez Jil Jadid. D’après lui cette rencontre qui intervient en dehors de tout opportunisme politique mais qui pourrait déboucher sur l’obtention « d’un Etat de droit ». Du côté du RCD, on estime que cette union pourra impulser une bataille pour avoir un « SMIG » républicain » explique Réda Boudrâa secrétaire national à la formation au sein du RCD. « Aujourd’hui, c’est la naissance d’un véritable front politique. Il y a un programme, il y a un projet », estime un militant du parti Ennahda. Alors que dans le cercle d’Ali Benflis on veut « redonner la légitimité au peuple algérien » à travers cette alliance.
Toutefois si les opposants veulent ériger un front commun, ils tiennent à leur multiplicité politique. Le multipartisme existe mais il est prêt à se ranger sous une seule bannière. Celle de lutter contre le clanisme au pouvoir et l’alternance politique. Cette nuance, tous l’ont bien en tête, une fois ce projet réussi, chacun reprendra son combat et proposera son propre programme politique en cas d’élections. Être ensemble n’est pas être un. Et si les leaders politiques se sont assis à la même table, les sympathisants restent quant à eux chacun avec leurs camarades du même parti, la discussion reste encore fermée.
Envie de réussir, peur d’échouer
Si de nombreux sympathisants et leaders politiques estiment que le 10 juin marque la naissance d’un vaste mouvement d’opposition, leur tâche ne sera pas moins difficile. La seule organisation de cette conférence a demandé des mois de préparation, et de travail pour convaincre tous les partis de se joindre à cette initiative. Jusqu’au dernier moment certains partis à l’image du FFS hésitaient encore à s’associer à cette démarche plutôt que de se joindre au projet de révision de la Constitution mené par l’équipe d’Abdelaziz Bouteflika. « Ils ont essayé de casser les partis politiques de les faire exploser en invitant certains acteurs à participer aux consultations politiques avec Ahmed Ouyahia », estime Younes Sabeur Chérif secrétaire national chargé de l’animation politique à Jil Jadid.
D’autres contraintes sont venues interférer dans la préparation de ce sommet de l’opposition. Difficulté à trouver une salle, à obtenir les autorisations de la wilaya. Les militants heureux d’une telle union, étaient toutefois tendus à cause de la présence de policiers des renseignements généraux lors de la conférence nationale ou encore persuadés que l’embouteillage géant sur l’autoroute menant à Zéralda n’était pas fortuit.
« Etre opposant c’est la croix et la bannière. L’Algérie ne réunit pas les conditions idoines pour que l’on puisse réellement être opposant politique », estime de son côté Reda Boudraâ. Pourtant les sympathisants et leaders politiques semblaient satisfaits d’un tel engagement de la part de forces politiques différentes et parfois divergentes. Des rencontres sont à prévoir entre tous ces acteurs. Il faudra enfin que ce projet que porte cette opposition qui vient de fonder une nouvelle force atteigne le cœur de la société civile.