Djamel Ghanem : « mon dessin n’offensait pas Bouteflika.

Redaction

Djamel Ghanem

C’est une affaire qui ne cesse de faire couler beaucoup d’encre. Le jeune caricaturiste algérien Djamel Ghanem risque jusqu’à 18 mois de prison pour une caricature jugée offensante à l’égard du Président de la République, Abdelaziz Bouteflika. 18 mois de prison pour un dessin qui porte sur le 4e mandat et où Bouteflika n’est même pas représenté. Pis encore, cette caricature n’a jamais été publiée. 

Et comble de l’incroyable, ce n’est pas la Présidence de la République qui poursuit ce jeune caricaturiste oranais pour « outrage au président de la République ». C’est son ancien employeur et directeur de publication du quotidien la Voix de l’Oranie qui a trainé son caricaturiste devant les tribunaux.

Qui l’eut cru ? Un patron de presse qui dépose plainte et poursuit en justice son caricaturiste pour « outrage au Président de la République » alors que ce même Président ne lui a absolument rien demandé et n’a aucunement réagi à cette caricature. Une caricature, rappellons-le, qui n’a jamais été publiée. L’histoire de Djamel Ghanem est donc digne d’une pièce de théâtre absurde.

Son patron de presse s’est présenté lui-même à la justice pour dénoncer une caricature où l’on voit deux citoyens algériens qui parlent du ridicule du 4e mandat qu’Abdelaziz Bouteflika envisage de briguer.

« Il s’agit d’un algérien lambda qui s’est présenté devant un pharmacien pour acheter des couches bébé. Et sur un ton ironique, le pharmacien lui demande des couches de quel mandat. Le client réclame alors des couches d’un 4e mandat. Abdelaziz Bouteflika n’est nullement présent dans mon dessin. Je voulais juste parler de son 4e mandat et de ses conséquences sur les Algériens.

Mon idée était claire : si Bouteflika brigue son 4e mandat, les Algériens deviendront comme ces enfants qui continuent à porter des couches bébés. Il n’y a aucune offense à l’égard du Chef de l’Etat », explique le jeune caricaturiste Djamel Ghanem dans une déclaration à Algérie-Focus. Joint par téléphone, notre interlocuteur avoue qu’il se sent vraiment mal depuis que la justice le pourchasse pour un simple dessin non publié. « On m’a brisé.

Aujourd’hui, j’ai perdu toute inspiration car on s’acharne contre moi. Je n’arrive même pas à retrouver du travail dans la presse car on m’a exclu de toutes les rédactions. Un directeur d’un quotidien public à Oran m’a confié qu’il a été insruit par le DRS pour ne pas m’embaucher », confie encore ce jeune oranais qui subit des pressions de toutes parts alors qu’il n’avait voulu qu’exercer sa liberté d’expression en tant que caricaturiste.

Mais le pire dans tout cela, c’est sans doute la réaction de la direction du quotidien La Voix d’Oranie qui a voulu se débarrasser de son caricaturiste en l’inculpant d’«outrage au président de la République», «abus de confiance» et «accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données».

En effet, à entendre les responsables de ce quotidien, c’est Djamel Ghanem qui s’est introduit dans les archives de son journal pour y enregistrer un dessin qui « touche aux intérêts moraux » de l’entreprise médiatique pour laquelle il travaille. Ainsi, on nous indique clairement que la Voix d’Oranie, un quotidien régional, ne tolère aucunement un tel dessin parce qu’il lui aurait couté tout simplement son existence dans le paysage médiatique algérien.

Mais comment peut-on craindre une telle menace alors que le dessin n’a même pas été publié et n’aurait, d’ailleurs, jamais pu l’être puisqu’il ne correspond pas à la ligne éditoriale de la Voix d’Oranie ? Pour Djamel Ghanem, son dessin n’est qu’un prêtexte utilisé par son ancien employeur pour se venger contre lui. « Ils me doivent des arriérés  de salaires qui s’étalent sur une période de 7 ans. Ce qui est l’équivalent de 300 millions de centimes. Ils ont monté toute cette affaire contre moi dans le seul but de me priver de mes droits », s’indigne notre interlocuteur.

Pour Youcef Dilem, avocat de Djamel Ghanem, il est temps qu’on arrête cette affaire ridicule. « C’est une première dans le monde  : un caricaturiste poursuivi  pour un dessin qui n’a jamais été publié et, en plus, c’est la direction d’un journal qui le poursuit en justice ! Où a-t-on déjà vu ça ? », s’interroge cet avocat qui dénonce au passage les obstructions faites à la défense lors du déroulement du procès il y a de cela trois jours. « Le magistrat a rejeté toutes mes questions relatives à la nature de ce dessin. On a passé tout notre temps à demander à Djamel comment il a fait pour s’introduire dans le système informatique alors qu’il n’est qu’un simple dessinateur.

C’est un procès ridicule où le fond du problème a été évité parce que nos juges sacralisent l’image du Président de la République », explique à Algérie-Focus Youcef Dilem qui craint le pour l’avenir des libertés publiques à cause de l’article 144 bis du code pénal punissant les outrages au président de la République. « Le problème est que cet article s’applique sur toute expression qualifiée d’outrageuse au Chef de l’Etat. Cela ne nécessite pas forcément la publication d’un article, photo ou dessin.

On peut vous poursuivre en justice rien que pour un avis entendu à propos de Bouteflika dans un cafétéria. Et les juges refusent de débattre de cet article et de ses détails. Ils ont peur d’offusquer les autorités politiques », déplore encore cet avocat d’après lequel si la situation perdure ainsi en Algérie, il faudra envisager des tribunaux spécifiques aux affaires « d’outrage au Président de la République » !

En attendant, Djamel Ghanem connaîtra son jugement le 4 mars prochain, qui risque de l’envoyer en prison. Mais son avocat promet de ne jamais lâcher l’affaire est d’aller jusqu’au bout pour obtenir gain de cause.

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