Ils s’appellent Walid, Habib, Adel et Fayçal. Ils ont moins de 30 ans. Ils sont Algériens et vivent dans la capitale. A l’heure où la jeunesse algérienne est plus que jamais démobilisée, ces militants se lancent à corps perdu dans la campagne électorale. Aux côtés d’un candidat à l’élection présidentielle ou pour dénoncer le scrutin du 17 avril, ces jeunes animent, chacun à leur façon, la campagne en cours. Algérie-Focus a décidé de suivre quatre jeunes militants de couleurs politiques variées. Découvrez le deuxième épisode de notre feuilleton de l’élection présidentielle 2014 : La campagne comme les jeunes la vivent. Episode 2 : Le coup d’envoi de la campagne
Samedi 22 mars, veille du lancement officiel de la campagne
Adel semble détendu à la sortie d’une dernière réunion de son parti, rassemblant les cadres du RND de la wilaya d’Alger, avant le coup d’envoi officiel des hostilités. La polémique du départ de certains jeunes militants du parti, qui se sont ralliés à Ali Benflis, l’adversaire le plus sérieux d’Abdelaziz Bouteflika, est derrière lui. « Ma crédibilité en tant que responsable des jeunes à Alger était en question », dit Adel, qui raconte s’être introduit incognito le 16 mars dans le QG d’Ali Benflis à Ben Aknoun, à Alger, pour vérifier par lui-même si « une trahison pareille » avait bien eu lieu. « J’ai assisté à une réunion de ceux qu’ils présentent comme des ex-RND. Ils étaient une vingtaine. Personne ne m’a reconnu et je n’ai reconnu personne », affirme-t-il vidéo à l’appui, « comme je suis coordinateur des jeunes du RND à Alger depuis des années, j’aurai dû trouver des visages familiers ».
Le favori d’Adel, le Président-candidat, ne sera certainement pas sur le terrain de toute la campagne. A ce jour, son staff de campagne n’a prévu aucun déplacement en région. « Qu’il parle ou pas cela n’a pas d’impact sur mon travail », se défend Adel, agacé que ses contradicteurs évoquent l’état de santé d’Abdelaziz Bouteflia. « C’est hors sujet. On ne vote pas pour un homme parce qu’il a une forme olympique. Le véritable sujet, ce sont les programmes. Mais nos adversaires n’ont pas de programme. Ils se sont présentés juste parce qu’ils pensent que le Président est malade », soutient Adel.
Il était dans la foule le 15 mars dernier lors du premier meeting du FLN pour la campagne d’Abdelaziz Bouteflika à la Coupole d’Alger. « J’ai fait passer le mot auprès des militants jeunes du RND pour qui se mobilisent en masse », raconte Adel. Pari réussi, ils étaient plus de 15.000 pro-Bouteflika a manifesté leur soutien au Président-candidat.
Pour Adel, depuis dimanche, la campagne se déroule essentiellement dans le QG du RND dans le quartier de Hydra. « Je briefe les militants sur ce qu’il faut dire aux médias et aux électeurs », dit-il, avouant avoir hâte d’aller à la rencontre des Algériens. « Je préfère sortir que rester au QG. La semaine prochaine on va commencer à tract dans les marchés », se réjouit-il.
23 mars, jour officiel du lancement de la campagne
Habib, le chef de cabinet de Soufiane Djilali, président du parti Jil Jadid, aborde un regard dépité ce matin-là. « Ils me surprennent chaque jour. Je crois toujours qu’ils ont touché le fond mais ils creusent toujours plus profond », lance-t-il d’emblée, à propos de la lettre du Président Abdelaziz Bouteflika à l’attention du peuple algérien parue samedi soir. « Ils ont osé faire ça à quelques heures du lancement de la campagne », s’étonne-t-il, l’air abasourdi. Il poursuit, consterné par ce qu’il considère être un ultimatum lancé par le pouvoir : « Ils menacent les électeurs algériens : soit vous voter pour nous, soit vous retournerez aux années 1990 ». « Même l’ancien Président Lamine Zeroual, qui connait la fonction, a avoué que Bouteflika n’a pas la force nécessaire pour assurer un autre mandat », lâche-t-il encore.
Malgré cet « affront » du Président-candidat et les « insultes » d’Abdelmalek Sellal, directeur de campagne d’Abdelaziz Bouteflika, et d’Amara Benyounès, président du MPA et soutien du Président-candidat, envers la communauté chaouie et toute la population algérienne, Habib n’est pas résigné. « Ça m’encourage à continuer à militer pour le boycott de cette élection truquée », affirme-t-il.
La répression du premier sit-in des boycotteurs, qui devait symboliquement se tenir sur l’esplanade de Makam el Chahid, le 12 mars, n’a pas non plus entamé son moral. « C’est la première fois que l’esplanade du Monument du martyr était fermé », raconte Habib, se souvenant avoir été impressionné par le lourd dispositif policier et sécuritaire mis en place, « alors que seul les représentants des partis appelant au boycott de l’élection présidentielle et 10 cadres de chaque parti assistaient au sit-in ». Ce matin-là, le jeune secrétaire adjoint de Jil Jadid avait lui-même rencontré des difficultés à accéder au Monument. « A un kilomètre de là, il y a avait déjà des fourgons de police », dit-il, avant d’ajouter : la réponse des autorités algériennes « nous a montré qu’elles ont peur qu’on parle parce qu’on dit est la vérité ».
Non au coup d’État !! #DZ2014 #Algérie pic.twitter.com/fSFfRpa3iN
— Soufiane Djilali (@SoufianeDjilali) March 12, 2014
Leur message anti-4è mandat, les boycotteurs l’ont martelé une nouvelle fois le 21 mars, au cours d’un meeting autorisé organisé à la salle Harcha à Alger. Cette fois, ils avaient obtenu une autorisation. « Je ne m’y attendais pas. Le ministre de l’Intérieur avait formellement déclaré que tout rassemblement pour le boycott serait interdit », confie Habib, persuadé que la pression populaire a pesé sur la décision des autorités. Dans une salle quasi comble, d’une capacité de plus de 8.000 sièges, le jeune apprenti se tenait aux côtés de son mentor Soufiane Djilali, veillant au bon déroulement du protocole.
Depuis plus de deux semaines, les réunions en interne au QG de Jil Jadid à Zéralda ou entre représentants des forces politiques membres de la coalition du boycott s’enchaînent. Mais Habib, qui participe à presque toutes ces rencontres, avertit : « Il ne s’agit en aucun cas d’une union nationale. C’est une entente sur un minimum syndical : l’établissement d’une démocratie et d’un Etat de droit en Algérie. Mais nous gardons chacun nos programmes, qui sont relativement différents ».
Mardi 25 mars, 3è jour de campagne
Après une courte nuit et un un réveil difficile, Walid affiche une petite mine à son arrivée au QG de Ben Aknoun. La veille, jusqu’à 2 H du matin, Walid A. A. et ses camarades ont sillonné Alger, comme chaque soir depuis dimanche, pour coller des affiches à l’effigie de leur candidat. « On démarre à 22 H parce qu’au moins le soir la circulation ne nous ralentie pas », explique ce jeune sympathisant d’Ali Benflis.
Dimanche, il a vu une bonne partie du staff de campagne prendre la route, direction l’Ouest puis le Sud. Lui compte parmi ceux qui sont restés « garder la maison », dit-il, un trousseau de clef en main. En plus de servir de relais pour l’équipe de campagne sur le terrain, les éléments qui restent à Alger se distribuent les interventions médiatiques, raconte Walid. « C’est une chance pour les jeunes d’avoir autant des responsabilités. Les autres candidats sont représentés dans les médias par des personnes qui ont au moins 35 ans », observe-t-il. Mais les jeunes inexpérimentés sont parfois rattrapés par le stress. La veille, Walid, pourtant habitué à parler aux journalistes, a perdu ses moyens sur un plateau télévisé lors d’une émission politique enregistrée. « C’était le trou noir, j’étais paralysé. Incapable de me souvenir du programme électoral de Benflis », confie-t-il, encore surpris d’avoir été pris par le tract. « La prochaine fois je ne me laisserai pas démonté », assure celui qui a dû se faire suppléer.
Jeudi, cet étudiant en gestion profite de son week-end pour suivre son candidat. Direction Tlemcen puis Ghardaïa. « Je veux voir l’engouement en région de mes propres yeux », dit-il. « A Alger, la présidentielle emballe très peu de gens mais à l’intérieur du pays l’enthousiasme est palpable« , estime celui qui rêve d’une campagne à l’américaine avec une forte mobilisation.
Pour lui, les pouvoirs publics sont coupables du peu d’intérêt que les Algériens prêtent à l’élection présidentielle. « Ils ont brisé le lien de confiance qui existe entre le peuple et l’Etat algérien. L’urgence est de le rétablir en rédigeant une nouvelle Constitution qui fera consensus entre les différents acteurs politiques et sociaux et d’instaurer une IIè République », affirme Walid.
A mesure que la date du 17 avril se rapproche, à côté du stress et de l’excitation, la peur de se voir victime de magouilles augmente. « On connait l’expérience du pouvoir en place dans le domaine. Il y a déjà eu fraude puisque Sellal [ndlr l’ancien Premier ministre et directeur de campagne du Président-candidat Abdelaziz Bouteflika] a déclaré que Bouteflika ne peut pas être candidat à cause de sa maladie. Or la Constitution exige que tout candidat présente un certificat médical. Celui de Bouteflika a donc certainement était falsifié », déplore Walid.
Mais en cas de fraude, le clan Benflis promet d’agir. « On ne se taira pas, on réclamera nos voix », avertit Walid. Pour l’heure, il veut encore croire que le dispositif de contrôle des urnes, qui sera mis en place par son candidat, sera suffisant pour contrer toute tentative de triche électorale. « Il sera plus important qu’en 2004 », assure le jeune homme, qui garde l’espoir qu’une alternance politique est possible en Algérie : « Le changement est arrivé pacifiquement en Tunisie par les urnes. Quand je vois les queues interminables devant les bureaux de vote en Tunisie, je me dit pourquoi par nous ».
Jeudi 27 mars, 5è jour de campagne
Fayçal, 27 ans, en a gros sur le cœur. Ce jeune militant du FNA se dit fatigué de voir le clan présidentiel mettre des bâtons dans les roues du parti de Moussa Touati. Depuis 2009 et la première candidature de Touati à la présidentielle, les formations politiques, qui composent la coalition gouvernementale, à savoir le FLN, le MPA et le TAJ, tentent d’épuiser le réservoir de militants du parti de Moussa Touati, en « achetant » les adhérents à coup de « postes dans la fonction publique », dénonce le jeune administrateur à l’Office national du tourisme algérien (ONAT). Et les opérations de débauchage fonctionnent puisque « beaucoup de militants du FNA ont rejoint les partis au pouvoir », reconnaît Fayçal, plein de ressentiment à l’égard de ses anciens camarades. « On se croise temps en temps, on se salue mais on ne se parle plus », lâche-t-il.
L’hémorragie de militants, entre autres, explique pourquoi Moussa Touati, qui se déplace de wilaya en wilaya depuis dimanche, peine à remplir ses salles de meetings. Pour Fayçal, le problème est toutefois plus profond. Comme Walid A. A., le militant pro-Benflis, Fayçal remet la faute au pouvoir en place. « Ils n’ont rien fait en 15 ans à part dégoûter les Algériens de la politique », accuse-t-il. Retenu par son travail, il suit de loin ce début de campagne mais il n’exclut pas une sortie dans les environs d’Alger le week-end. « J’assisterai sûrement au meeting à Tablat, dans la wilaya de Médéa », précise-t-il.
Outre l’hémorragie de militants au FNA provoquée par les caciques du pouvoir, ce militant de 27 ans déplore que les moyens de l’Etat soient illégalement utilisés par les soutiens du Président-candidat. « Ils ont organisé un meeting à la Coupole alors que la campagne n’avait pas officiellement et que nous nous avions eu des difficultés à trouver une salle pour notre congrès national. On avait dû s’exiler à Tipasa », attaque Fayçal, qui dénonce également l’affichage sauvage des portraits du Président, sur les murs de bâtiments officiels, notamment les frontons des APC.
Fayçal, membre du FNA depuis 2005, garde un mauvais souvenir de la campagne de 2009. « Nous n’avions pas beaucoup de moyens face à Bouteflika. C’était joué d’avance », se souvient-il. Mais en 2014, la donne a changé et l’espoir est de nouveau permis, estime-t-il. « Aujourd’hui on a une chance parce que les Algériens ne vont sûrement pas voter pour un malade qui ne fait même pas campagne lui-même », pense ce jeune employé de l’ONAT. Il enfonce le clou : « Ouyahia, Sellal et les autres disent que bien que Bouteflika ne puisse pas marcher, son cerveau fonctionne encore. Jusqu’à preuve du contraire, on n’a pas entendu son médecin le confirmer ».