Kader Abderrahim est diplômé en Sciences-politiques. Il est également journaliste à TV5 où il est chef de service en charge du Monde arabe. Il a parallèlement exercé des fonctions de consultant sur l’Algérie auprès de l’International Crisis group et de l’International for Strategic Studies, et sur le Maghreb auprès du Centre d’Analyse et de Prévision au Ministère des Affaires étrangères. Il est par ailleurs l’auteur de nombreux articles sur le Maghreb et le Machrek. Dans l’entretien qui suit, Kader Abderrahim nous livre son analyse de la situation politique et sociale ne Algérie à la veille des présidentielles du 9 avril 2009.
Kader Abderrahim est notre invité dans le cadre du dossier consacré aux prochaines élections présidentielles en Algérie.
NB: Vous pouvez poser vos questions en bas de cette page
1- Avec son amendement de l’article de la Constitution qui limitait à deux les mandats présidentiels, et sa présentation pour sa succession à la tête de l’État, Bouteflika n’est-il pas simplement dans cette démarche absolutiste que l’on remarque chez les dirigeants arabes et que l’Algérie avait su dépasser un temps ?
La plupart des personnages politiques ont tendance à considérer qu’ils sont indispensables à leur pays. La difficulté est de parvenir à trouver un équilibre entre ce qui relève de la mise en application d’un programme politique et l’affirmation du pouvoir. En clair et dans un schéma idéal, il faudrait, pour un pays comme l’Algérie, que les institutions soient légitimes et non qu’elles soient un paillasson pour servir les ambitions des uns et des autres au gré des situations.
Les dernières consultations électorales n’ont pas brillé par des débats exceptionnels sur les enjeux économiques, les projets politiques ou la manière de revenir à une stabilité sociale, après plus de dix de violences.
2- Beaucoup accusent l’opposition au mieux de mollesse, au pis de complicité avec le gouvernement. Existe-t-il en Algérie une opposition politique à proprement parler? Si oui, quelles seraient alors ses marges de manœuvres dans un pays où le débat politique est quasi inexistant ?
On est toujours le produit d’une société. Les partis politiques en Algérie ont eu tendance à faire, à l’image du FLN, du populisme sans bénéficier d’une assise politique nationale. À l’exception du FFS, qui a une véritable résonance nationale et qui a toujours cherché à développer un discours rigoureux, la plupart des partis sont des créations de l’administration. Ils n’ont pas de relais dans la société et peu d’influence donc pas d’existence réelle.
Il faut également évoquer l’appareil de l’ex-FIS qui reste une force incontournable, dont il est difficile d’évaluer aujourd’hui l’impact et les capacités de mobilisation.
Par ailleurs, du point de vue des Algériens, les partis apparaissent comme « des aspirateurs à clientèle » et non comme des lieux de débat contradictoire capables de produire des idées et de relayer les préoccupations des citoyens.
3- Le boycott des élections est devenu le mot d’ordre de nombreux algériens issus de la scène politique comme de la société civile. Si cet appel à l’abstention est suivi massivement par les algériens, quel impact aura-il sur la suite des évènements ?
La question du boycott est devenue une sorte de réflexe Pavlovien qui occulte les véritables débats. On ne parle plus que du boycott sans en expliquer les raisons ou l’intérêt et on oublie le fond qui est de savoir quelles sont les différences entre les candidats. Là encore on a l’impression d’un pays qui marche sur la tête, les débats sont moins importants que les candidats. Et les questions de fond moins utiles que la démarche.
Pour les citoyens cette confusion, volontaire, provoque un rejet global du personnel politique perçu comme profitant d’un système taillé pour une caste et non de personnes engagées pour améliorer les conditions de vie de leur concitoyen.
Le risque est grand que le parti de l’abstention soit majoritaire au soir du 9 avril.
Dans ce cas-là, il ne manquera pas de détracteurs pour évoquer l’illégitimité d’un Président mal élu, voire très mal élu.
4- Une majorité d’algériens semble se désintéresser des prochaines élections. Pour les séduire Bouteflika promet une augmentation des salaires et la poursuite des grands chantiers lancés pendant ses deux précédents mandats et qui accusent du retard. Ces promesses changeront-elles quelque chose à la crise de confiance entre le peuple et le gouvernement ?
Tous les candidats en campagne font des promesses, dans toutes les élections et dans tous les pays. Bouteflika ne déroge pas à cette règle.
On préférerait connaître les moyens que l’Etat pourrait mobiliser pour amortir la crise économique mondiale ou pour faire face à la baisse des cours du pétrole.
Compte tenu du passif, il est peu probable que les promesses parviennent à convaincre les Algériens d’aller voter. Ils ont été trop échaudés pour croire aujourd’hui aux promesses qui n’ont pas été tenues hier.
5- Vous avez déclaré dans une interview, que l’une des raisons qui motivent la course au troisième mandat de Bouteflika est sa quête du prix Nobel de la paix. Pour vous, il peut y prétendre s’il réussit à mettre un terme au conflit algéro-marocain sur la question du Sahara Occidental. Au départ, Bouteflika comptait sur sa Charte pour la Paix et la Réconciliation Nationale afin de décrocher ce prestigieux prix, mais sans succès. Ne pensez-vous pas que le mieux pour Bouteflika, s’il souhaite obtenir ce prix, serait de pallier au plus urgent, à savoir la promotion de la démocratie et la lutte contre la corruption ?
Dans l’entretien auquel vous faites allusion, j’évoquais cette idée du Prix Nobel que Bouteflika lui-même caresse depuis quelques années.
Je ne crois pas que ce soit sa principale motivation, l’exercice du pouvoir nécessite beaucoup de sacrifices et comporte quelques satisfactions.
Je pense que cette quête de reconnaissance pourrait trouver une convergence avec les intérêts des populations du Maghreb si le Président sortant entreprend la réconciliation avec le Maroc. Il entrerait dans l’histoire comme l’homme qui a mis sur les rails l’édification de l’UMA et permettrait à cette région de devenir un pôle attractif pour les investisseurs occidentaux et donnerait aux Maghrébins une vision à long terme et, enfin, un projet collectif mobilisateur.
Les questions de la démocratie et de la corruption ne sont pas nécessairement liées. En Europe, dans de vieilles démocraties, on constate que la corruption a atteint des sommets hallucinants. La circulation des flux financiers et les énormes intérêts des Etats ou des entreprises sont les principales causes de cette corruption. A côté de cela il existe des contre-pouvoirs qui peuvent attirer l’attention sur ces dérives et les risques qu’elles comportent pour une démocratie.
Dans les pays du tiers-monde il n’y a pas de démocratie et la corruption est dans bien des cas un fléau.
C’est évident que la démocratie est le meilleur rempart contre les abus de toutes sortes, toutefois elle doit s’accompagner d’un exercice éclairé de la citoyenneté.
6- Quels sont, selon vous, les autres objectifs qui poussent Bouteflika à vouloir rester au pouvoir?
Dans la mesure où l’Algérie a traversé les dix dernières années sans qu’aucune personnalité ou parti ne puisse émerger, il n’avait aucune raison de se retirer. Ce qui ne signifie pas que l’on doive adapter la Constitution à ses propres intérêts.
La campagne électorale n’a pas révélé pour le moment de thème nouveau ou accouché d’idées qui permettraient de croire que le mandat qui s’annonce apportera des changements notables.
7- Votre dernier livre (*) est consacré à l’Algérie, pouvez-vous nous en dire un mot ?
Mon livre se veut un hommage aux joueurs de l’équipe de football du FLN, qui pendant la guerre d’Algérie ont fait le choix de rejoindre le FLN à Tunis pour défendre les couleurs d’une Nation sans Etat.
Ils ont renoncé aux carrières qu’ils menaient dans de grands clubs européens pour défendre leurs convictions et participer à la lutte pour l’indépendance.
La plupart d’entre eux n’ont pas eux le reconnaissance que leur devait l’Algérie indépendante et il me semblait important de témoigner de cet engagement dans une période où les jeunes algériens sont à la recherche d’identité et de modèle, ils pourraient s’inspirer de cette génération pour laquelle l’argent était moins important que la liberté.
Iterview réalisé par Fayçal Anseur
(*)« L’indépendance comme seul but », Paris Mediterranée, 160 pages, avril 2008.