Quand la corruption et la lutte contre la corruption ont les mêmes idées Par Kamel Daoud

Redaction

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Les raisons qui font douter les Algériens de la lutte contre la corruption :
Un – plein de pétrole : c’est un argent flou, qui vient du sol et pas des mains. Que personne ne peut contrôler. Dont tout le monde en mange un produit dérivé ou un autre. Un argent qui ne dépend pas de l’Indépendance. Le pétrole permet au Pouvoir d’être indépendant du peuple et donc il permet la corruption, la surfacturation, la rente, le vol, l’achat et le hold-up. Quand il y a trop de pétrole, on peut se passer du contribuable qui n’est plus, du coup, citoyen et donc pas surveillant et gardien des dépenses et des recettes. Le pétrole encourage la corruption car il permet de se passer des lois et des peuples.
Deux – Trop peu de démocratie. La démocratie, contrairement à l’idée admise en Algérie, n’est pas de la « politique », mais le droit de surveiller l’argent collectif, le pays collectif, l’histoire collective. Quand il n’y pas de démocratie et qu’il y a du pétrole, il y a du vol. L’or noir circule au « noir ». En Algérie, le manque de démocratie empêche de lutter contre la corruption, car la corruption est la loi qui fabrique les lois. Les corrompus sont plus forts que la justice qui est aussi faible que le peuple qu’elle incarne.
Trois – La nature du Pouvoir. Pouvoir apparent/Pouvoir réel. Cela permet la fameuse schizophrénie connue : celui qui est responsable n’est pas celui qui commande. Celui qui commande, n’est pas responsable devant vous. Le premier en devient impuissant. Le second, impuni. La corruption est le nerf de la guerre des régimes bicéphales. On n’y a pas des citoyens électeurs, mais des sujets clients. Puisque le pouvoir est double, il y a deux lois, deux prix, deux tarifs.
Quatre – Allah est grand, le peuple est petit : on ne peut pas lutter contre la corruption parce qu’on ne sait pas « par qui commencer », pensent les Algériens. La corruption est vaste, grande, partout. On y est tous coupables, les uns par les centimes, les autres par les milliards. Cela a commencé avant la naissance et continuera après notre mort, pense-t-on. Qui jugera qui ? Qui le premier ? Qui le dernier ? L’amplitude du phénomène fait penser aux Algériens que cela ne sert à rien puisqu’on est tous corrompus, ou presque tous.
Cinq – On ne lutte pas contre soi-même. A Pouvoir illégitime, les Algériens opposent le verdict du « tous corrompus ». Le gouvernement, son régime, l’Etat, ne peuvent pas lutter contre leur essence, leur « cause » première, leur ciment, la branche sur laquelle tous sont assis. D’où ce scepticisme automatique à chaque annonce de campagne anti-corruption. Le Pouvoir est Un et pour la lutte contre la corruption, il faut plusieurs pouvoirs qui se surveillent mutuellement.
Six –  « Qui n’a pas payé qui ? ». C’est la conviction quasi collective que les luttes contre la corruption sont des règlements de comptes entre anciens affidés. Selon cette vision, la justice est un instrument et le verdict est une disgrâce. Toutes les campagnes de lutte contre la corruption sont frappées de suspicion à cause de l’illégitimité politique fondamentale. Quand un homme « tombe », ce n’est parce qu’il a enfreint la loi, mais parce qu’il n’a pas suffisamment payé, parce qu’il est inutile désormais ou parce qu’on veut punir son clan. La lutte contre la corruption est une lutte entre intestins, selon les Algériens assis dans les cafés.
Sept – La corruption c’est quoi au juste ? C’est le manque de définition qui rend la lutte impossible. Une complaisance religieuse fait passer la « tchipa » pour une obligation quand on ne peut pas y échapper face à une puissance malsaine. C’est une idée consacrée en Algérie : la corruption est un mal que l’on subit quand on est honnête et pas un mal contre lequel on lutte quand on est bon. C’est donc une fatalité. A cela s’ajoute le flou du sens : « je ne paye pas un douanier pour avoir ce qui ne m’appartient pas, mais pour préserver ce qui m’appartient ». Cela conduit à la complaisance.
Huit – L’erreur médiatique : la lutte contre la corruption en Algérie est bâtie exclusivement sur l’appel au précepte moral. Pas sur l’explication sur le coût économique de la corruption. On dit « payer un douanier véreux est mal », là où il faut expliquer que si j’importe un micro-ordinateur et que je dois payer des pots de vins partout, cela se traduira par un surcoût au bout de la chaîne. La corruption coûte en amont et en aval. Tant qu’on lutte « contre » avec la mentalité d’un imam, on la subira dans le climat des coupeurs de route.
Neuf – Les idées générales : « je suis mal payé donc je suis obligé de devenir un corrompu ».  « Je gagne du temps si je paye des gens ». « La corruption est hallal si elle vise le bien ». « Tous sont corrompus, pourquoi je dois être honnête ? ». « Le monde fonctionne ainsi ». « Ils prennent plus en haut, que moi en bas ». « Demandez des comptes aux autres, pas à moi ». « Tous pourris ».