661 amendes ont été dressées depuis la loi de 2011 interdisant le port du voile intégral dans l’espace public. Rachid Nekkaz en a payé 653. La dernière, c’était celle de Liala, mardi 23 juillet. Il s’est déplacé en personne, pour aller déposer un chèque de 119 € à la trésorerie d’Evry. « Chez Manuel Valls », nous dit-il au téléphone, d’une voix souriante.
Trois jours après les émeutes de Trappes, « l’homme qui paie les amendes des femmes en niqab » n’est pas mécontent de son nouveau pied de nez. Liala a contacté Rachid Nekkaz, directement, « en passant par le site de mon association Touche pas à ma constitution », assure-t-il.
Pour qu’il sorte le carnet de chèques, la jeune femme a dû lui envoyer « un petit courrier, s’engageant à ne pas faire preuve de violence envers des policiers ».
Une majorité de converties
Rachid Nekkaz, qui paie aussi pour les femmes belges – seul pays avec la France et la Turquie à interdire le port du niqab –, a dit non une seule fois. A une convertie de Bruxelles, verbalisée quatre fois d’affilée, et affiliée au groupe extrémiste Sharia for Belgium. Un cas loin d’être représentatif selon lui :
« Les femmes qui portent le niqab sont des femmes normales, aux parcours de vie très différents. »
Un tiers de celles qu’il a rencontrées sont des célibataires et la majorité sont des converties. « Il y a même une Linda Le Pen qui a fait appel à moi », rigole t-il.
« Je m’oppose au niqab »
Sa femme à lui est une américaine, et catholique. Il le répète partout, histoire de bien mettre les choses au clair :
« Je suis un musulman laïc, opposé au niqab. Ce que je défends, c’est la liberté pour les femmes de le porter ou non. »
Pour lui, il s’agit de défendre une liberté fondamentale : pouvoir se déplacer dans la rue. C’est sur ce principe qu’il s’est appuyé pour déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, afin de faire invalider la loi de 2011.
Pour ce militant PS, qui assure être membre de la fédération du XVIe arrondissement (le PS, interrogé par Rue89 dit que non), ce serait plus simple si le gouvernement avait le « courage » d’amender la loi :
« Il faut annuler l’interdiction de porter le niqab dans les espaces publics ouverts. Sinon, dans les mois à venir on va être confrontés aux mêmes débordements qu’à Trappes. »
En attendant, il est persuadé qu’en payant les amendes, il « neutralise sur le terrain » la loi de 2011.
De gros airs de BHL
Ça lui a coûté 119 000 euros, frais d’avocat compris. Mais Rachid Nekkaz ne serait pas à ça près. On le dit millionnaire. Il esquive :
« J’ai suffisamment de biens immobiliers pour pouvoir payer des amendes pendant des années. »
A la sortie des trésories publiques, il pose souvent avec une jeune femme en niqab, le récépissé de la contravention en main. Sourire assuré, crinière grise, costume noir et chemise blanche ouverte, on croit voir le sosie de BHL.
Comme lui, Rachid Nekkaz, est prêt à s’engager pour toutes « les atteintes faîtes à la liberté et aux droits de l’homme ». En Chine par exemple, où il est allé rendre visite à des prisonniers politiques ouïghours, la minorité musulmane persécutée.
Rachid Nekkaz partage aussi ce souci de s’engager pour les causes qui sont au centre des débats médiatiques. En 2010, alors que Brice Hortefeux expulse massivement de leur campements les Roms, Rachid Nekkaz déclare vouloir acheter en Auvergne, sur les terres de l’ex-ministre de l’Identité nationale, un terrain de seize hectares.
Il avait prévu de louer cette « République des Roms » un euro symbolique. Mais « ça n’a rien donné concrètement », explique Saimir Mile, le président de l’association « La voix des Roms » :
« Je ne sais pas s’il était vraiment prêt à signer le chèque, mais quand nous nous sommes rencontrés, je lui ai expliqué que cette proposition était irréalisable.
Les Roms sont en France pour gagner leur vie, pas pour prendre des vacances. Personne n’avait envie d’aller s’installer loin de tout, au fin fond des montagnes d’Auvergne. »
« Il aurait pu avoir une carrière à la Tapie »
Depuis, Saimir Mile n’a plus revu Rachid Nekkaz. Pour lui, c’est un « homme moderne, qui a très bien compris l’importance des coups médiatiques ».
« Son fond de commerce, c’est l’image et la communication », confirme son ami Moussa Khedimellah, sociologue de l’islam et des quartiers populaires :
« Nekkaz est un lanceur d’alerte. Il aurait put avoir une carrière politique à la Tapie, mais il a préféré utiliser son argent pour éveiller les consciences. »
Il ajoute :
« C’est un amoureux de la France, engagé depuis plus de vingt ans du côté des pauvres. Sa démarche est à la croisée de celles de Coluche et de Stéphane Hessel. »
Marchand de sommeil ou bienfaiteur ?
Rachid Nekkaz est né en 1972 à Choisy-Le-Roy. Neuf frères et soeurs, des parents immigrés algériens et analphabètes. Leur fils fait de la philo à la Sorbonne, avant de s’engouffrer dans la bulle Internet, en créant une start-up à la fin des années 90.
Il la revend « bien » en 2000, et investit sa fortune dans l’immobilier. Depuis, le riche propriétaire est soupçonné d’être un marchand de sommeil.
Rachid Nekkaz porte plainte pour diffamation, expliquant loger ceux qui n’ont pas accès aux logements sociaux :
« Vous croyez qu’ayant vécu 25 ans dans une cité de transit totalement délabrée, je vais profiter de la misère des gens ? J’essaie d’aider ceux qui en ont besoin.
Mais de toutes façons en France, dès que vous faites quelque chose de bien on essaie de vous bloquer. Surtout, si vous avez de l’argent et que vous vous appelez Rachid ou Mamadou, vous êtes tout de suite suspect. »
C’est aussi comme ça qu’il interprète ses échecs politiques. Les 500 parrainages pour être candidat à la présidentielle de 2007 jamais obtenus par exemple. Une histoire « bizarre », qui n’a jamais été éclaircie, raconte Moussa Khedimellah :
« A quelques mois du dépôt des signatures, sa maison a été cambriolée et son ordinateur où toutes les promesses de parrainages étaient enregistrées a disparu. »
« Nous n’avons pas de lien avec ce monsieur »
Rachid Nekkaz essaie ensuite, sans succès, de se présenter aux primaires PS de 2011. Candidat à l’élection législative partielle de Villeneuve-sur-Lot, chez Cahuzac, en juin 2013, il finit dernier avec 0% des voix.
Même dans les quartiers, les scores de celui qui s’était auto-proclamé « candidat des banlieues » sont catastrophiques. Candidat dans la septième circonscription de Seine-Saint-Denis aux législatives de 2007, il obtient 156 voix (0,56% des voix exprimées).
Les collectifs qui contestent la loi de 2011 sur le niqab ne veulent pas non plus entendre parler de lui. A l’évocation de son nom, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) coupe court :
« Nous n’avons pas de lien avec ce monsieur. »
Abdellatiz Chaambi, le président de la Coordination contre l’islamophobie (CRI) préférerait qu’il rejoigne les initiatives existantes :
« Son combat serait plus crédible et plus efficace. C’est bien de jeter l’argent par les fenêtres, ça permet de se faire sa pub, mais ce n’est pas suffisant. »
Le 14 juillet, il demande à ne plus être français
Mohamed Mechmache, le président de l’Association collectif liberté égalité fraternité ensemble unis (ACLEFEU), est du même avis :
« On ne peut pas arriver sur des terrains où des gens luttent depuis 20-, 30 ans juste parce qu’on a de l’argent. Nous on se bat contre les amalgames et les exclusions avec les outils de la citoyenneté, on a pas les moyens de payer des amendes. »
Moussa Khedimellah propose une autre interprétation :
« Rachid a toujours voulu faire différemment, mais quand on est iconoclaste on en paie le prix. »
Il en fait un symbole de cette génération « extra-européenne qui a du potentiel mais à qui la France n’a pas fait de place ». L’intéressé est en tout cas bien décidé à la quitter.
Le 14 juillet il a demandé la déchéance de sa nationalité. Cela devrait aussi lui permettre de mener à bien son prochain combat : il est candidat à l’élection présidentielle algérienne de 2014. Sa première promesse de campagne : réserver le poste de vice-président à une femme.
Tiphaine Le Liboux – Article publié initialement par notre partenaire Rue89