Ils ont leur métier dans la peau, mais il leur coûte bien cher. Les tailleurs de pierre de la ville de T’kout, située dans les Aurès à l’est de l’Algérie, ont une passion qui leur coûtent leur santé. Leur travail est de plus en plus dangereux et provoque une maladie respiratoire qui les handicape à vie : la silicose. Ils demandent depuis des années une prise en charge par l’Etat algérien, en vain.
Les tailleurs de pierre n’ont plus envie de croire à la fatalité. Surtout qu’elle est terriblement douloureuse pour eux. Ces artisans qui façonnent la pierre afin qu’elle serve de matériau dans les maisons algériennes risquent leur vie pour leur métier. Dans la région de Batna, tailler la pierre est une tradition qui se perpétue de père en fils. Leurs outils taillent à la perfection des pierres blanches vendues à un prix élevé aux entreprises de construction. Elles s’en servent comme d’un matériau noble pour construire des villas de luxe situées dans les beaux quartiers de Batna, ou les hauteurs d’Alger. Mais derrière ces pierres, les Algériens qui les utilisent ignorent que des milliers d’artisans perdent leur santé, et d’autres leur vie, pour tailler ces cailloux.
S.O.S tailleurs en détresse
Tailler la pierre comporte d’importants risques sanitaires. Le premier est cette maladie insidieuse dont souffre les ouvriers : la silicose. Une maladie pulmonaire provoquée par l’inhalation de particules de poussières de silice. Elle touche essentiellement les ouvriers travaillant dans les mines, ou des carrières de pierre. Cette maladie ronge petit à petit les poumons jusqu’à les endommager et perturber tout le système respiratoire des artisans. Ces derniers sont dans l’obligation de vivre accroché à une bouteille d’oxygène, et dépendant d’un traitement et d’un suivi médical très onéreux. Or, tous ne disposent pas de moyens financiers suffisants, ou n’ont pas toujours d’assurance maladie, car ils exercent leur métier en tant qu’artisan indépendant. Quant à ceux qui auraient les moyens de se soigner, encore faut-il qu’il y ait les services nécessaires. La plupart des tailleurs de pierre atteints de cette maladie doivent se déplacer jusqu’à Batna, située à 91 km de la ville de T’kout, où se situe l’hôpital le plus proche pour faire des analyses ou des radios, ou encore se procurer des bouteilles d’oxygène leur permettant de respirer correctement. Pour ceux qui n’ont pas de moyens de transport, le trajet est très compliqué.
La détresse des tailleurs de pierre n’est pas récente. Depuis les années 2000, ils ont tenté de faire reconnaître leur métier comme une activité à risque qui nécessite une couverture santé bien spécifique. Toutefois aucun dispositif spécial n’a été réellement mis en place, les autorités algériennes, ou représentants locaux apportent des solutions à court terme : quelques stocks de médicaments, des visites ponctuelles chez des médecins spécialistes.
Quelques habitants de la ville ont décidé de s’organiser en comité pour représenter leurs concitoyens qui souffrent en silence. « Nous avons envoyé des documents au Wali de Batna, et déposé un rapport détaillé auprès du ministère de la santé. Nous avons même eu l’occasion de rencontrer le ministre qui a promis de nous aider », explique Idriss Hadrani, porte-parole des tailleurs de pierre de la ville de T’kout. L’homme multiplie les allers-retours entre sa ville et la Capitale pour alerter les autorités. Il a récemment élaboré un rapport expliquant la situation catastrophique à T’kout, les besoins des tailleurs de pierre et enfin les solutions qui doivent être apportées. « Nos demandes précédentes introduites auprès du wali n’ont pas été entendues. Il nous alors envoyé un représentant de la D.S.P (direction santé publique). Ce dernier a osé nous dire faites une collecte entre vous pour vous payer une ambulance », déplore Idriss.
« C’est désormais urgent, nous comptons 116 décès depuis 2006 à cause de cette maladie. Sans compter ceux qui sont morts de maladies qui découlaient de la silicose ou encore ceux qui sont morts sans avoir eu le temps de faire des analyses », précise Idriss. Et d’ajouter, « tous les tailleurs de pierre finissent par souffrir de cette maladie, il y a aujourd’hui des milliers d’artisans malades », s’inquiète Idriss. Suite à leur rapport déposé auprès des services concernés au sein du Ministère de la santé, la structure a envoyé un émissaire pour prendre en compte leurs problèmes. Quelques semaines plus tard, la ville de T’kout disposait d’une ambulance, et d’un pneumologue à l’hôpital de Batna pour recevoir les patients. Or, ce n’est pas suffisant pour les représentants des tailleurs de pierre. « Ils nous ont envoyé une vieille ambulance qui n’est même pas médicalisée, quant à la spécialiste elle est là une fois par semaine, et n’a pas le temps de recevoir tout le monde. Les patients se déplacent parfois jusqu’à Batna pour rater ses permanences. On leur demande alors de revenir la semaine d’après. La situation reste invivable », explique Idriss Hadrani.
Familles esseulées
La liste d’attente est encore longue pour se faire soigner à T’kout. Peu ou prou de spécialiste, ou de laboratoires d’analyse, des bouteilles d’oxygène insuffisantes… Les maux des artisans des Aurès ont du mal à être soignés. « Il y a des personnes qui sont mortes avant même d’obtenir leurs résultats d’analyse », explique le frère d’un tailleur de pierre décédé de la silicose il y a deux ans. Ce dernier a le cœur brisé de voir tous ces artisans souffrir sous les yeux de leur famille. « A l’époque c’est moi qui emmenait mon frère à l’hôpital je faisais les allers retours à Batna avec ma voiture, heureusement que j’étais là. Mais je venais seulement pendant les vacances, car j’habite en France. Le reste de l’année il devait se débrouiller », se rappelle-t-il.
La silicose décime silencieusement de nombreuses familles chaque année. Des foyers qui voient leurs proches mourir à petit feu à cause d’une maladie qui peut durer jusqu’à 15, voire 20 ans. Dans la région c’est la débrouille, et l’entraide qui permet de tenir, certains prêtent leur véhicule, d’autres tentent de récolter de l’argent pour aider les familles endeuillées. Ce métier essentiellement masculin décime des familles, « dans une même maison deux frères sont morts. Les familles restent seules après la mort de leur père parfois des veuves doivent ensuite se débrouiller seules après la perte de leur mari », explique Idriss Hadrani.
Equiper, soigner, surveiller
Les tailleurs de pierre n’échappent fatalement pas à cette maladie, qui pourrait être soignée ou même être prévenue avec un suivi régulier. Ce métier à risque exige de fréquentes radios ou de limiter l’exposition à ces particules en régulant le temps de travail. Or ils ne sont pas informés des risques qu’ils encourent, et découvrent trop tardivement cette maladie pour se soigner. Certains vont jusqu’à poursuivre le taillage de pierre alors qu’ils souffrent de silicose. Les travailleurs persistent dans ce métier périlleux, qui est l’une des seules opportunités de travail dans la région. Pourtant ce problème est connu des services sanitaires depuis des années et la situation ne change pas. En 2010 déjà, la LADDH avait tenté d’interpeller l’Etat afin que les proches des tailleurs de pierre décédés obtiennent le droit au capital-décès ainsi que la prise en charge sociale des orphelins et veuves des victimes de la silicose. En 2008 lors d’une rencontre nationale sur la silicose regroupant des médecins du monde entier, il avait été préconisé d’informer les tailleurs de pierre sur les risques encourus. Il avait été conclu que d’ici 2010 tous les ouvriers devaient disposer d’un équipement adéquat et protégeant les travailleurs de toute inhalation de ces particules, qui attaquent directement les poumons. Que reste-t-il de ces conclusions ?
L’urgence selon les représentants des tailleurs de pierre est de mettre en place une ambulance médicalisée, une permanence effectuée par un pneumologue et radiologue plus régulière, et des laboratoires d’analyse plus efficaces. Certes la maladie est incurable, mais il est encore possible de protéger les nouvelles générations de tailleurs de pierre et leur éviter un douloureux destin.