L’Algérie est l’un des rares pays au monde qui ne dispose d’aucun système de régulation des prix du médicament. Non, ce n’est pas une blague. C’est bel et bien la triste réalité. Depuis de nombreuses années, les fabricants de médicaments et les laboratoires pharmaceutiques internationaux vendent leurs produits dans notre pays en fixant les prix comme bon leur semble. Sans aucun contrôle de l’Etat.
Il aura fallu attendre le 26 janvier 2015 pour que ministère de la Santé algérien adresse enfin une note aux laboratoires internationaux établis en Algérie, à l’instar de Novartis, Sanofi-Aventis, Roche, Pfizer etc, pour leur exiger « de baisser les prix » conformément aux cours sur les marchés internationaux, révèlent à Algérie-Focus des représentants et managers de plusieurs de ces grands laboratoires internationaux. Pourquoi avoir attendu 2015 pour exiger une telle mesure ? Parce que l’Algérie ne dispose toujours pas d’une loi régulant les prix des médicaments. Pis encore, la mise en place de l’Agence nationale du médicament, annoncée en grande pompe, joue encore à l’arlésienne ! Cette instance stratégique, puisqu’il lui combe de contrôler la disponibilité du médicament, sa qualité thérapeutique et la conformité de son prix avec les standards internationaux, n’existe que dans les textes et ce, depuis 2008. Un décret présidentiel, promulgué en juillet 2011, a officialisé son existence et lui a attribue comme mission de se charger de « l’enregistrement, de l’homologation des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux, de la délivrance des visas pour l’importation de médicaments ainsi que de la détermination des prix à la production et à l’importation ».
Sur le terrain, rien de cela n’est appliqué. Et comme depuis toujours, les laboratoires et fabricants internationaux viennent en Algérie et déterminent les prix en s’offrant des marges phénoménales, évaluées de 38 à 60 % sur certains médicaments innovants comme les produits de biotechnologie. A titre d’exemple, le Humira, fabriqué par le laboratoire AbbVie et qui permet de diminuer certains processus inflammatoires, notamment l’inflammation des articulations et de la peau, a été longtemps vendu en Algérie 38 % plus cher qu’en Turquie, où les autorités disposent d’un système de régulation des prix digne de ce nom. C’est ce qui a permis ce pays d’obtenir, chaque année, des baisses conséquents des prix du médicament de la part des grands fabricants mondiaux.
D’ailleurs, plusieurs sources proches du ministère de la Santé le confirment : au début de l’année 2015, Abdelmalek Boudiaf avait demandé aux autorités turques de lui fournir les prix des médicaments vendus chez eux. Il a constaté, de visu, l’immense écart des prix dans les deux pays. Il a décidé alors de passer à l’action et réclamer des baisses aux laboratoires. Cette action aurait pu être menée depuis plusieurs années car les grosses marges accumulées par les laboratoires internationaux en Algérie se chiffrent en milliards. « Le marché du médicament est estimé à 5 milliards de dollars par an en Algérie. Les médicaments surfacturés à travers des prix très élevés par rapport à la norme internationale et les prix des autres marchés mondiaux représentent jusqu’à 30, voire 50 % de notre marché », certifie un opérateur algérien indigné par la passivité des autorités et leur manque cruel de vision. Des cadres algériens des laboratoires les plus prestigieux dans le monde ont confirmé à Algérie-Focus ces données. Au final, la facture est salée : au cours des dix dernières années, au moins 10 milliards de dollars se sont volatilisés à cause de cette arnaque.
Une somme colossale perdue par l’Etat algérien et qui aurait pu servir à développer une industrie pharmaceutique nationale. Et pendant ce temps, l’Algérie patauge dans la dépendance vis-à-vis des fabricants étrangers et importateurs de médicaments. Pour éviter ce gâchis financier, il suffit tout simplement de s’inspirer des pays comme le Danemark, la Suisse et la France où, pour les produits les plus innovants, les prix sont fixés par référence aux prix d’autres pays. La Turquie a réussi à le faire. Pourquoi pas l’Algérie ? La balle est dans le camp de nos gouvernants. Ils doivent consolider leur réveil après tant d’année de léthargie.