A l’occasion de la visite d’une délégation de quinze ministres menée par Abdelmalek Sellal à Paris ces 4 et 5 décembre, nous avons demandé au politologue et spécialiste du monde arabe, Hasni Abidi, également directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) à Genève, de nous éclairer sur les enjeux de ces rendez-vous réguliers entre les deux pays. Interview.
Inauguration de l’usine Renault à Oran par les ministres français Laurent Fabius et Emmanuel Macron, délégation de 15 ministres algériens en France actuellement : comment interpréter ces différents rendez-vous dans la chronique des relations franco-algériennes, d’ordinaire si tumultueuses ?
Ces visites récentes répondent à un impératif d’échange économique commencé avec la visite de François Hollande à Alger en 2012. Contrairement à la dimension politique qui pose problème, la dimension économique va donner l’impression que les relations entre les deux pays sont sur la bonne voie. En même temps, on sait que la France a besoin de renforcer sa position avec l’Algérie, car elle a plus que jamais besoin de son soutien, notamment sur le plan diplomatique et militaire dans les conflits au Mali et en Libye. Paris a déjà fait l’expérience d’essayer avec d’autres partenaires africains mais elle s’est vite rendue compte que le soutien d’Alger était indispensable sur ces dossiers.
Assiste-t-on au renouveau du partenariat économique entre l’Algérie et la France ? Pourquoi une telle amélioration arrive-t-elle maintenant ?
En effet, il y a une volonté de part et d’autre d’accélérer et de tenir le calendrier. Cette rigueur dans les rendez-vous entre les deux pays est un signe de progrès. Alger était conscient de l’opportunité à saisir avec François Hollande qui a commencé son mandat en disant qu’il fallait rééquilibrer les relations entre Alger et Rabat, ce puissant voisin avec qui la France a tissé des liens de plus en plus forts ces dernières années. Pour François Hollande, l’Algérie est un partenaire important avec lequel il faut retourner à une relation privilégiée, contrairement à Nicolas Sarkozy qui n’a pas fait d’effort de ce côté-là. Sous son mandat, les relations Alger-Paris étaient mauvaises pour des raisons politiques : l’Algérie n’a jamais accepté que Bernard Kouchner visite Alger par exemple.
Quel intérêt l’Algérie a-t-elle de renforcer ses relations économiques avec la France ? Des deux pays, qui va en tirer le plus profit ?
Le mot d’ordre des deux capitales, c’est une visite « gagnant- gagnant ». Et dans la réalité, c’est vrai, les deux pays ne peuvent se passer l’un de l’autre. Pour la France, il y a le contexte régional dont on a parlé, auquel s’ajoute un contexte économique. Avec sa croissance en berne, la France cherche de nouveaux marchés : elle cherche donc à augmenter son volume d’échange avec une Algérie qui possède un tapis de devise très important. Dans l’autre sens, Alger sait qu’il est très difficile d’envisager ces relations avec l’Union Européenne sans Paris qui, pour des raisons historiques, reste un interlocuteur privilégié. La France garde le monopole du dossier algérien au Parlement et dans d’autres institutions européennes. C’est un couple où le divorce est impossible.
Evidemment, il y a toujours cet esprit pragmatique qui reste une obsession chez les décideurs pour éviter à tout prix des tempêtes politiques qui nuisent bien souvent à l’économie. Mais entre Paris et Alger, ce pragmatisme est difficile à tenir : il est encore dur d’imaginer une relation purement économique tant le passé vient peser dans les relations actuelles.
On parle d’une vingtaine d’accords qui pourraient être signé entre les deux pays. Dans quels domaines les deux pays pourraient-ils s’accorder ?
Dans l’absolu, l’Algérie a besoin de beaucoup choses : infrastructures, produits finis. Le pays a des besoins de tous les secteurs mais elle affiche aussi la volonté de se diversifier pour entamer son autonomie vis-à-vis des revenus des hydrocarbures. Avec la crise ukrainienne, Paris a besoin plus que jamais des ressources minières de l’Algérie. L’hexagone cherche aussi à agrandir son marché avec l’Algérie, comme on l’a vu avec la nouvelle usine Renault. Mais une question se pose : que peut proposer l’Algérie en dehors du pétrole et du gaz ? L’Algérie est encore à la traîne en matière de diversification, de gouvernance économique et de législation. On est encore loin d’un environnement favorable aux investissements.