Etrange situation : la Présidence algérienne devient un centre politique par sa vacance, pas par son « plein ». Un président prend toute son importance politique, le poids d’un destin, quand il est malade, va mourir, est tué ou va démissionner. Presque jamais durant son mandat. Ce qui est « politique » en Algérie, c’est la fin d’un mandat, pas le mandat en lui-même. Ce qui est important, c’est « qui peut être président ? » pas celui qui l’est déjà.
Aujourd’hui, Bouteflika devient le centre du pouvoir, de la décision, de la discussion parce que justement il n’est pas là. Le débat algérien est toujours lié à deux grands concepts alimentaires : le butin (d’une guerre), ou la succession d’un puissant. Le reste est ennui, bavardage ou législation ou ce qu’on appelle longue transition. Ce qui est fascinant c’est « comment va-t-il finir ? » pas le « par quoi il va commencer ? ». Aujourd’hui donc, comme depuis toujours, Bouteflika est devenu le centre du pays parce qu’il n’est pas au pays. Son cas permet d’occulter le reste et de ne parler que de santé d’un homme et pas de santé d’une nation. Il focalise les médias, mais cristallise aussi l’angoisse et rouvre le fameux débat de 62 et ses morts : qui va gouverner ce pays ? Qui va le manger ? Pourra-t-on y manger demain ?
Chez Bouteflika, le fantasme du père Boumediene est toujours puissant : il voulait en incarner le retour au premier mandat déjà en 1999 : par les gestes, le propos, la harangue, l’effet de foule et l’oraison. Cela a fait illusion avant que cela ne fatigue et ne s’use comme effet de scène. Sauf qu’on y est encore une autre fois : Bouteflika aujourd’hui joue presque le rôle de Boumediene de 1978 malgré lui et laisse le même vide probable après lui, finement monté, concocté, subit. Comme en 78, le pays sombre dans une sorte de remake inattendu : rumeurs, déclarations, contradictions, évacuations et expectatives des apparatchiks. Ce n’est pas l’URSS, mais c’est Val de Grâce. Le reste est en l’état de l’Etat : pas de transparence et mauvais gout de succession. Choisir le plus vieux dans le grade le plus a servit une fois. Pas deux : l’armée n’est plus la même et Chadli est mort et les généraux partent en retraite ou deviennent méfiants. Donc qui ? Le civil le plus mou dans le grade le plus insignifiant ? On verra. On subira.