Portrait de Hamdi Benani. L’ange blanc

Redaction

hbenani Les biographes le décrivent souvent comme étant un chanteur et musicien ayant appris chez feu Mohamed El Kourd mais Benani tient à souligner qu’il est issu de toute une famille d’artistes…

Une perle rare qui maîtrise à la perfection son métier d’artiste et tout spécialement la musique andalouse et le malouf annabi. Il est passé le maître de son œuvre et de son art sur consommé sur scène. Bien des mélomanes qui l’ont vu se produire devant leurs yeux en savent quelque chose.

Il est déroutant, imprévisible, et impulse de nouveaux rythmes aux récitals qu’ils donnent en soirée où le public présent en masse entre en communion avec lui, la gent féminine plus particulièrement. Un véritable régal pour les puristes qui en raffolent et en redemandent. Au cours de l’une de ses représentations à laquelle j’ai assisté ici même à Alger, il a même prolongé la soirée tellement il « ressentait ce que le public ressentait » pour lui. Il me confiait à l’époque ceci : « Quand je vois tout ce beau monde, les femmes surtout, je ne suis plus moi-même ! ». Et ce n’est pas fini, Benani se distingue aussi par deux touches exceptionnelles. La première est de ne pas respecter entièrement le programme qu’il s’est tracé au départ avec son orchestre chevronné.

Écoutons l’explication qu’il me donne lors de notre dernière entrevue chez lui à Annaba. « Quand on m’annonce, le rideau s’ouvre, je jette un coup d’œil sur le public, je déduis de suite que la première chanson programmée n’est pas faite pour lui. Après un istikhbar, ma troupe avec laquelle je travaille depuis fort longtemps a déjà compris le message »

La seconde à entonner une chanson qui rend hommage à la ville où il se produit. C’est le cas de Sidi Abderrahmane Houkmek Houkm El Bey pour Alger en arpentant la scène, le micro à la main ou encore Sellem Alla Nass Tlemcen. Vous cherchez la raison ? La voici de sa bouche même : «Je ne suis pas Annabi mais un chanteur Algérien donc un chanteur national. Ce n’est pas facile ce que je fais. Alors quand je chante Sellem alla Nass Tlemcen qui ne m’appartient pas sur un air flamenco donc différemment de l’original, cela plait aux public Tlemcenien qui apprécie ». No comment !

Le sobriquet de Kim Il Song

En faisant de multiples tournées qui l’ont amené à chanter aux quatre coins du globe, l’élégant Benani avait chanté devant Fidel Castro, le roi Hussein de Jordanie, Tito, Léopold Sedar Sanghor, Habib Bourguiba, Mao Tse Toung, Giap, et Bouteflika qui l’a, du reste, honoré à Oran en le décorant. Mais s’il y a un souvenir qui l’a marqué profondément et dont il porte, du reste, à nos jours, l’empreinte indélébile, c’est incontestablement sa production en Corée du Nord (1985) devant le président d’alors, Kim Il Song.

En effet au cours de la dernière représentation que le sieur Benani allait donner en soirée, le ministre de la culture venant le chercher à l’hôtel lui demanda d’enfiler le costume blanc aux lieu et place du noir qu’il portait ce soir là. Interloqué, notre digne ambassadeur lui fit remarquer que cela faisait des jours qu’il le portait d’où ce changement qui s’imposait à ses yeux. Et au ministre d’expliquer : « Justement, il y a une surprise qui vous attend ce soir !». Notre artiste s’est naturellement exécuté et alla chanter à cette soirée conformément aux vœux du président Coréen. « Au fait, le président m’avait vu à la télévision 20 jours auparavant avec ce costume blanc d’où cette injonction. Et quand j’ai chanté en sa présence, je constatais qu’il était très intéressé par ce que je faisais ». La surprise ? La voici telle qu’elle de la bouche même du Mæstro Benani : « Quand j’ai chanté en coréen : je souhaite un heureux anniversaire au président Kim Il Song bien aimé à l’occasion de ses 75 ans. Je l’ai vu se lever de son siège par devant 6000 personnes et me surnomma l’ange Blanc en raison de mon costume et violon blanc mais également pour mon cœur blanc ». Un surnom qui cadre que trop bien avec le personnage qu’il porte pour l’éternité, désormais !

Révolutionnaire du malouf, Benani dérange

Le charmeur Benani qui improvise énormément en coupant ses morceaux pour agrémenter les soirées et attirer l’attention du public, avait introduit en 1974 de nouveaux instruments tels que l’orge, la batterie, la basse, et la guitare électrique qui lui valurent les foudres du ciel de la part des mélomanes qui ne comprenaient pas sa démarche. Explication : « Ils croyaient que je touchais aux noubas, ce qui n’était pas le cas dans la mesure où je m’inscris dans le classique qui obéit à des règles qu’on n’a pas le droit de toucher ». Et d’ajouter : « Je leur ai dit que vous vous trompez Messieurs car un jour vous serez d’accord avec moi !». La suite lui donnera raison puisque bon nombre de chanteurs du Malouf introduiront ces instruments auxquels ils rajouteront même le Saxophone et la clarinette. A la bonne heure ! Mais…Car il ya toujours un mais, El Hadj Mohamed Tahar Fergani, l’autre géant du Malouf constantinois jeta, à son tour, un pavé dans la marre en déniant publiquement la référence au Malouf Annabi. En gentleman et toujours respectueux de l’espèce humaine à fortiori d’un maître du genre, Hamdi Benani laisse passer l’orage et expliquera, plus tard, à la télévision qu’il n’existe point d’écoles du Malouf nulle part. Ecoutons-le : « Avec tout le respect que je dois à ce Monsieur, j’ai démontré qu’il y a des styles et des genres. Le Malouf Constantinois et Annabi existent bel et bien. Tous les artistes du malouf sont des gens de la rue. Maintenant, on peut créer des écoles. Je signe et je persiste pour votre journal – et je n’ai peur de personne – en déclarant en toute connaissance de cause qu’il n’y a pas d’écoles. Il y a des styles et des genres : le Centre, l’Est, et l’Ouest » clame-t-il avec assurance.

Il a commencé à chanter en Français

L’enfant chéri de Annaba qui l’a vu naître un certain 01 Janvier de l’an 1943 fit ses premiers pas dans les années cinquante dans un style tout autre que le malouf. Amoureux du cinéma, il suivait régulièrement la série noire de Peter Cheney, notamment Lemmy Caution que Eddie Constantine interpréta dans la môme vert de gris. Le cinéphile Benani confesse qu’il a tellement adoré ses films qu’il a chanté « Je suis un sentimental » titre d’un autre film où Eddie interpréta le rôle de reporter Aux nouvelles de Paris. « Eddie Constantine a été lancé par Edith Piaf » lance-t-il.

Cette chanson lui permit de décrocher le premier prix à radio crochet en 1959 « devant un parterre de français et pieds noirs d’Algérie qui m’admiraient ». Il avait 16 ans. « Je chantais, poursuit-il, le malouf par la même occasion pour la révolution et les soirées de mariages ». Un malouf dont il apprit à fredonner quelques morceaux inspirés par feu Mohamed El Kourd et de bien d’autres figures emblématiques que nous verrons plus loin. L’année 1963 consacrait sa carrière de musicien et de chanteur à la faveur du récital donné au théâtre d’Annaba où il interpréta le classique « Ya bahi El Djamel ». Sa première apparition à la télévision Algérienne remonte à l’année 1966 dont il garde un souvenir plutôt loufoque dans l’émission « Constantine en scène » retransmise en direct. Explication : « En chantant Ya Rabi Feradj A la Youb , la chance n’était pas avec moi, j’ai cassé la corde de mon violon. Mais comme je jouais de l’oùd aussi, je l’ai échangé avec le musicien et j’ai poursuivi ». La suite, tout le monde ou presque la connaît. Benani signera des chefs d’œuvres connus et reconnus de tous mélomanes du malouf. Citons, pèle mêle : Y a Ahel lill Tahiya Bikoum, Abou El Ayoun, Min Chit Ferkitti, Achiyaton Kainaha, Achik El Mahboub Dar El Hiba , Ya Layli Layli Djani Djani, la légendaire Adala, etc.

Un riche répertoire qui dépasse la trentaine de chansons à succès et une carrière qui dure depuis plus d’un demi siècle. Une carrière couronnée par un énième hommage que lui a rendu, en Octobre 2008, la prestigieuse université de la Sorbonne. Excusez du peu !

Une famille d’artistes

Les biographes le décrivent souvent comme étant un chanteur et musicien ayant appris chez feu Mohamed El Kourd mais Benani tient à souligner qu’il est issu de toute une famille d’artistes. Ecoutons-le : « C’est vrai que j’écoutais à l’époque Mohamed El Kourd dans les phonographes manuels. Mais attention ! Je suis issu d’une famille d’artistes ». C’est ainsi qu’il révèle que son père Mustapha était un artiste peintre émérite, que son oncle Mohamed a été un géant du Malouf Annabi, et surtout que son arrière grand père de sa grand-mère, feu Si Athmane Saâd Benjaballah était « un grand Monsieur » du Malouf avec sa légendaire « El Boghi » que le maître du Malouf Constantinois, El Hadj Mohamed Tahar Fergani a repris. « Cette chanson est une histoire d’amour vécue par mon aïeul avec une Constantinoise dénommée Nedjma, beaucoup de gens ne le savent pas. A Constantine, on est au courant ».

Hamdi compte la rechanter à son tour comme l’ont fait d’autres avant lui à l’instar du père d’Enrico Macias. Et ce n’est pas fini ! Car le grand père à sa mère, feu Mohamed Béloucif était également « un grand musicien » tout comme son épouse qui est issue d’une famille d’artistes. Après ça, allez demander à Hamdi Benani de suivre une carrière autre que celle qu’il a si bien réussi. « Je suis né pour être artiste ». Et à son fils Kamel de mettre son grain de sel : « Un jour alors que je rentrais chez moi, je le captais entrain de jouer et je l’ai encouragé à poursuivre. Je l’ai intégré, par la suite, dans mon orchestre ». Et depuis, Kamel ne cesse de gravir des échelons. Il est même passé à la télévision où il a « accroché » selon le père qui ajoute que l’élève peut dépasser le maître. « Certes, j’ai mon style, mon genre, ma voix unique, mais il peut faire mieux grâce à sa jeunesse ». Comme quoi la relève est assurée pour porter aux nus le malouf annabi.

Rabah DOUIK