Portrait de Karim Tahar. Un tempérament de feu

Redaction

tahar Sur les 45 meilleurs arbitres mondiaux, c’est sur ses épaules qu’a échu l’insigne honneur d’arbitrer cette finale qu’il avait mené d’une main de maître.

Ils s’y trouvent, parfois, des hommes qui passent presque inaperçus aux yeux de leurs concitoyens. D’abord, parce que nous cultivons cette manie de rendre hommage aux morts plutôt qu’aux vivants.

A croire que nous les jalousons ou je ne sais trop quoi ! Ensuite, la réalité algérienne d’aujourd’hui qui ne s’embarrasse guère d’expédients est marquée par cette fâcheuse tendance à reléguer aux oubliettes les services rendus à la nation par un des siens quelque soit le ou les secteurs dont lequel il s’est distingué.

Enfin, et cela coule de source, l’amnésie collective ainsi entretenue débouche, de facto, sur l’inconnue aux yeux de la nouvelle génération dont le lien à son passé a été rompu. C’est le cas présent de Karim Tahar, chanteur de charme mais également boxeur à la gauche foudroyante. Ce qui va suivre va, peut-être, vous couper le souffle à propos de cet auguste personnage pour qui, ce terme lui est étranger, et vous comprendrez vite pourquoi. C’est que ce boxeur redoutable et redouté en son époque n’a pas changé d’un iota son rythme de vie malgré le poids de l’âge et l’ambiance « malsaine » qui prévaut à son goût. Natif de Bejaia un certain 17 octobre de l’an 1931, Si Tahar a eu l’opportunité de vivre, dés l’âge de six ans, dans le quartier européen d’Alger, Bab El-Oued, en l’occurrence.

Un faubourg qui lui a servi de tremplin à une carrière aussi riche que diversifiée. Riche en ce qu’elle a forgé le jeune bambin, qu’il était, à se frotter aux méchants de tout acabit :« il fallait que je m’en sorte au milieu de cette jungle sinon on me bouffe ! ». Et à se transformer, chemin faisant, en boxeur amateur puis professionnel : « J’adorais la bagarre qui agissait sur moi comme une drogue. Chaque jour à 16 h, un rabatteur m’emmenait un pied noir contre lequel je me mesurais…». Diversifiée du fait même qu’il s’est initié du soir au lendemain à la chanson, et ce, en réponse directe aux sarcastiques provocations des pieds noirs qui le narguaient en ces termes :« laisses tomber vous n’avez pas de musique rien du tout ! ». Doté d’un tempérament de feu, Si Tahar ne pouvant contenir sa colère, il en fera une affaire de principe et/ou de « Redjla » suivant l’adage populaire. C

’est ainsi que notre boxeur se mettra à l’heure musicale derrière le stade Saint Eugène (actuel Bologhine) où admirant « le beau clair de la lune et ses reflets venant éclairer les vagues qui allait mourir sur les sables en ondulant », cela a suffi pour provoquer en lui l’inspiration tant souhaitée. Ecoutons-le : « C’est tout de suite le rythme rumba boléro, déjà moderne ! J’ai alors griffonné à l’aide du crayon Itidj Mi Idyechrak (quand le soleil se lève) sur mon petit carnet ». Pourquoi pas la lune ? « Je ne sais pas ! Allez savoir ! Et comme je suis pieu, pas un mot d’amour dans la chanson ». Et c’est à partir de là que Karim est né en lieu et place de son vrai nom Khali, car c’est « un tabou que de chanter à cette époque là ».

Cette chanson a vite fait d’éveiller des soupçons auprès des hommes politiques d’alors. « C’est ridicule ! Le soleil illumine les gens, la vie…. Contrairement à l’homme politique, je suis aussi direct dans mes chanson que dans la boxe ». Tout comme, elle lui vaudra une inimitié de la part de Cheikh Nourredine quand, répétant au studio de la rue de Berthezene, situés en contre bas du palais du gouvernement, s’est frayé un chemin au milieu d’un dispositif sécuritaire pour lui crier : « c’est quoi ce moderne ?! ». Karim Tahar lui rétorqua : « Avec tout le respect que je vous dois, vous avez fait votre temps, laissez- nous montrer de quoi nous sommes capables ». Et à Cheikh Nourredine de récrier : « Moderne ce n’est pas chez nous ! ».

La suite ? Là voici en intégrale : « J’ai regardé ma montre et je me suis mis déjà dans la peau du boxeur. Hé cheikh ! Laisses-moi travailler, sors ! ». Sacré Tahar ! Cette chanson qui a fait le tour du monde a été suivie par bien d’autres aussi bien en Kabyle, qu’en Arabe, et en Français. « De 1948 à 1962, je suis le premier algérien à chanter dans les trois langues » s’esclaffe l’artiste hors du commun. Et de souligner : « J’ai introduit le bandolero argentin, clarinette, guitare, et saxophone ».

Quand bien même, il sait chanter, Karim Tahar ne maîtrise aucun instrument musical. Explication : «Chanteloux m’apprenait le solfège en bas des trois horloges chaque jour. Malheureusement pour moi, dés que je termine, tout de suite la boxe, j’oublis tout ! ».

La star égyptienne

En 1963, le directeur de la 2e chaîne égyptienne Hamada Abdelouahab débarque à Alger pour prospecter un acteur à même de camper le rôle principal dans le film « N’oubliez pas la Palestine ». Son choix s’est, de suite, sur le chanteur de charme que fut Si Tahar. Sa carrure : 1, 88 et 80 kg , rôle de tueur dans un long métrage policier « Aventures à Alger » parlent pour lui. Le voici embarquant avec lui au Caire. Face aux cameras de la télé égyptienne, notre artiste fera bientôt de devenir une star égyptienne. « Les Algériens » passant pour être des « Français » aux yeux des habitants du Nil, une « téléspeakerine ressemblant » étrangement à « Anne Saint Clair » a été convoquée pour assister au direct que donna si Tahar.

Elle maîtrisait plusieurs langues. Après qu’il eut chanté Itidj Mid Yechrak, un incident qui n’en finissait pas entre lui et la téléspeakerine s’est transformé en une rixe ne ressemblant en rien aux combats de boxe que si Tahar aurait aimé mener. Tout avait commencé quand elle l’encensait et lui demanda « Bass Loughtek ih ? » ( C’est quoi ta langue ?). Il répond naturellement que c’est du kabyle. Mais comme dans l’esprit de « Anne Saint Clair », il s’agissait des « tribus » du Yémen, Si Tahar exhiba alors son passeport tout en donnant une leçon de géographie à l’Algérienne.

Là, les choses deviennent plus sérieuses car elle traita « les kabyles d’anti-arabe et anti Ben Bella ». De quoi rendre totalement hors de lui Karim Tahar. « Vous avez de la chance d’être une femme, allez ramener votre homme… ». Et de souligner : « Ma main gauche me démangeait, il fallait que je gifle, j’ai insulté et frappé sur la table devant les cameras qui ont tout filmé en direct… ».

Au fait, l’explication de cette mésentente impromptue vient de « l’allusion au FFS qui est sorti au maquis à cette époque » que si Tahar « ignorait totalement ». Il demeurera au pays du Nil trois années durant où il chanta dans les trois langues. C’est dire l’aura dont si Tahar jouissait réellement. D’ailleurs sa rentrée au pays résulte de l’insistance du colonel Boubnider qui l’a nommé, dés 1966, au poste de Directeur artistique au ministère du tourisme. Il occupera d’autres postes comme celui de directeur sportif et de la culture à la DNC ou encore conseiller de ministres.

Meilleur arbitre au monde

Revenant à ses premiers amours, le noble art en l’occurrence, Karim Tahar deviendra, arbitre et expert de renommée mondiale. Il a atteint le summum de sa célébrité dans ce domaine qu’il ne maîtrise que trop bien à l’occasion du titre mondial que se disputait, en 1974, les états unis d’Amérique et l’URSS. Sur les 45 meilleurs arbitres mondiaux, c’est sur ses épaules qu’a échu l’insigne honneur d’arbitrer cette finale qu’il avait mené d’une main de maître. Et quand on vous dira qu’on a tenté de le soudoyer de part et d’autre vainement, vous aurez saisi l’impartialité qui caractérise cet homme aux principes inaliénables. La seule fois où il s’est montré « partial » et il ne le cache pas, bien au contraire, il s’en réjouit, c’est au moment où il avait fait « pression sur les membres de l’AIBA pour changer certaines décisions » au profit de « l’Algérie ». Et de poursuivre : « cela est monnaie courante chez tous les membres de l’AIBA».

Personnalité attachante et aussi vraie que nature, Karim Tahar déteste le mensonge et l’hypocrisie en vogue de nos jours. « Je n’ai rien contre personne y compris un juif à la seule condition d’être honnête. Je respecte autrui sans regarder sa couleur ou sa profession. C’est le langage sincère qu’il dégage qui m’intéresse » conclue celui qui m’a abordé en exhibant fièrement son carnet et/ou fascicule de commissaire de bord obtenue, en 1971, du temps où il était chargé de mission auprès de la Cnan par le ministre des transports d’alors, Rabah Bitat. L’Algérie ayant décidé d’affréter un car ferry, il avait, du même coup, bénéficié d’une formation qui lui avait permis de devenir le premier commissaire Algérien avec 3 barattes.

Rabah DOUIK

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