La semaine politique de Kamel DAOUD
Un : la semaine de la rumeur. Bouteflika n’est finalement pas mort. Comme depuis longtemps. Le bonhomme passe son temps à prouver qu’il est vivant, plus qu’à prouver qu’il est efficace. C’est peut-être notre triste sort à nous les Algériens : chercher la vie à Alger, à El Mouradia, tandis que l’Occident la cherche sur Mars avec les yeux de curiosity, le dernier robot envoyé sur les traces de l’infini. Pendant une semaine donc, le pays s’est agité autour d’une tombe vide : le Président de cette république sous forme de trou est-il mort ou pas ? A la fin, non. Il est apparu à l’ENTV. Pourquoi ce mode plutôt que celui d’une bonne phrase en live ou d’un communiqué ? Parce qu’il s‘agissait de répondre « sans s’abaisser » au rang de la rumeur et du peuple.
La réponse a été claire donc : Bouteflika n’est pas mort. Pourtant, au-delà des analyses politiques, on semble avoir évité l’évidence psychologique : si cette rumeur est cyclique, tenace, si rapide à se répandre, c’est parce qu’il y a une attente. Celle d’un changement passif. Une rupture par le ciel et le sort. Les Algériens ne veulent pas faire une « révolution » car cela tue, fatigue, peut faire revenir le FIS ou la mort et mène vers l’impasse. Vaut mieux avoir une route et la couper que de n’avoir pas de route et se couper les gorges. Mais en même temps, les Algériens sentent l’urgence du changement, de la rupture. Ils savent qu’une époque est morte et que la suivante est carnivore. Ils veulent du neuf. Comment concilier l’espoir d’un changement et la peur d’une rupture ? Par la solution biologique. Bouteflika est le dernier cadet de cette génération qui possède le pays parce qu’elle croit l’avoir libéré. Quand il disparaîtra, disparaîtra alors un statu-quo ou, du moins, une façon de le justifier. Cela fait peur mais cela agite l’espoir. La rumeur cyclique sur la mort de Bouteflika est une attente indirecte, un espoir morbide, un calcul de gens assis. La rupture ne deviendra pas un choix risqué mais un sort subi. Les Algériens ne votent pas vivant comme ils le savent et donc espère que la mort votera à leur place.
Deux : Dans une île de plus en plus étroite, face à une mer de plus en plus inconnue, sous un ciel de plus en plus imprévisible, Robinson Crusoé, l’homme blanc qui a inventé la pioche et l’espoir sans Dieu, s’interroge : « que faire des arabes » ? Surtout après le meurtre de l’ambassadeur US à Benghazi. Si on les aide, ils croient au complot. Si on les ignore, ils crieront à l’inhumanité commerçante de l’Occident. Un moment on a cru qu’ils voulaient être libres, mais en fait ils voulaient juste se prosterner encore plus librement et s’écraser encore plus volontairement. On a cru qu’ils visaient la terre libre, mais ils ne voulaient que le ciel pour eux. On ne peut pas les jeter à la mer tous, comme Ben Laden. Ni les refouler dans le désert. Ni les associer à la conquête de la lune, ni les convaincre d’accepter la différence comme une religion et pas la religion comme une différence. Que faire ? s’écrie Robinson qui s’inquiète pour ses ressources mais aussi pour les sens de la vie et pour l’environnement et son confort et gaz, la mission de sa peau blanche et l’invasion des chinois ou la menace de la violence. Que faire d’un voisin qu’on ne peut ni faire déménager, ni tuer, ni déloger, ni ignorer? Que veulent les « arabes » à la fin ? Voter pour les islamistes. Et que veulent les islamistes ? Habiter dans l’au-delà. Donc impossibilité de parler entre un Robinson qui veut vivre et un islamiste qui se hâte de mourir pour prouver qu’il a raison.
Trois : quel est le film le plus horrible et les acteurs les plus nuls ? a crié un internaute. Le film « l’innocence des musulmans » produit par un anonyme et qui a coûté quelques millions de dollars et que personne n’a vu ? Ou le film des hystériques barbus qui filment un corps d’homme mort, le tue, le trimbale dans la rue dans le sang et la poussière et hurlent qu’ils sont musulmans ? Ce second film qui a coûté des vies d’hommes ? Quel est le film qui fait le plus mal ? Qui tue vraiment ? Qui touche à l’honneur de l’humanité et pas seulement à l’honneur d‘une religion ? Onze ans après, certains ont des doutes sur les auteurs du 11 septembre 2001. Cette fois-ci cependant, le second 11 septembre est signé, avec photo, son et film. De quoi « convaincre » le reste de l’humanité que le monde sauvage est le monde « arabe », que l’Islam tue, comme le cancer, que les « arabes » ne sont pas démocratisables, qu’ils ne servent à rien depuis l’invention de l’astrolabe il y a des siècles et qu’il ne faut pas les aider mais seulement les regarder ou les manger ou les tromper.
Quatre : il existe un troisième homme. Qui résume les trois : une rumeur le dit mort, il a été tué par des islamistes, il est diplomate comme l’américain, algérien comme Bouteflika. Qui ? On l’oublie déjà : le diplomate algérien au Mali, kidnappé, tué et enterré partout dans le pays sous un tapis d’oubli.