Un scrutin à l’issue prévisible ?
Abdelmadjid Tebboune, président sortant de l’Algérie, a été réélu pour un second mandat avec une majorité qui défie toute concurrence. Le 7 septembre 2024, après un vote qui s’est déroulé sous le regard méfiant de certains observateurs, l’Autorité nationale indépendante électorale (Anie) a annoncé des résultats qui laissent peu de place à la surprise : Tebboune s’impose avec un écrasant 94,65 % des voix.
Le résultat est tombé le dimanche 8 septembre, mettant fin à une élection qui n’aura jamais véritablement semblé en suspens. Dans un pays où la défiance envers les institutions est profonde, beaucoup s’attendaient à une réélection de l’homme fort du pouvoir. Mais une telle ampleur ? Cela soulève forcément des questions. Alors, qu’est-ce qui se cache derrière ces chiffres spectaculaires ? Et que signifie cette élection pour l’avenir de l’Algérie ?
Un président omniprésent
Dès les premières heures de la campagne, tout laissait penser que Tebboune était en route pour un second mandat sans grande opposition. Ancien Premier ministre de Bouteflika, élu président en 2019 après la chute de ce dernier, Tebboune a su, en un mandat, se placer en figure incontournable du paysage politique algérien. Sa victoire en 2019, avec 58,13 % des suffrages exprimés, avait déjà été un succès décisif. Mais cette fois, avec 94,65 % des voix, il pulvérise son propre record.
Sur les 5 630 196 suffrages exprimés, Tebboune en a capté 5 329 253, réduisant ses adversaires à de simples figurants dans la course. Abdelali Hassani Chérif, candidat du Mouvement de la société pour la paix (MSP), un parti islamiste modéré, et Youcef Aouchiche, du Front des forces socialistes (FFS), n’ont recueilli que 3,17 % et 2,16 % des voix respectivement.
Le scrutin a eu lieu dans une Algérie marquée par des défis multiples : une économie vacillante, des jeunes toujours en quête de meilleures opportunités, et une société civile fragmentée. Face à ce tableau, Tebboune a mis en avant ses réformes économiques, son plan de relance, et une certaine stabilité politique acquise au fil des années.
Une participation en demi-teinte
Si la victoire de Tebboune est éclatante, le taux de participation soulève quelques interrogations. Annoncé à 48,03 % au niveau national, il montre une relative désaffection de la population pour cette élection. À l’étranger, la participation est encore plus faible, avec seulement 19,57 % des électeurs algériens établis hors du pays qui se sont déplacés aux urnes.
La faible mobilisation des électeurs, notamment parmi les jeunes et la diaspora, soulève des doutes sur l’adhésion réelle à ce scrutin. Certains analystes estiment que ce désintérêt reflète une profonde méfiance envers le système électoral et les promesses politiques qui, pour beaucoup, n’ont pas été tenues depuis des années.
« Je n’ai pas voté cette fois-ci, comme beaucoup de mes amis. Nous avons le sentiment que notre voix ne change rien », confie Ahmed, un étudiant de 24 ans à Alger. « Tebboune était le seul candidat sérieux. Ce n’est pas une élection, c’est une formalité ».
Pour d’autres, le taux de participation en dessous des 50 % est révélateur de la fracture sociale qui traverse le pays. Une population qui se détourne de la politique, jugeant qu’aucun des candidats en lice ne représente véritablement leurs aspirations. « Les élections en Algérie, c’est du théâtre. On sait déjà qui va gagner avant même que les urnes ne s’ouvrent », déclare Samira, une femme de 38 ans résidant en France.
Des adversaires symboliques
Face à Tebboune, les deux autres candidats ont joué des rôles marginaux. Abdelali Hassani Chérif, figure de l’islamisme modéré avec son parti le MSP, n’a pas réussi à mobiliser au-delà de sa base traditionnelle. Le parti islamiste n’a pas su capitaliser sur le mécontentement social ou économique et n’a pu proposer une alternative crédible face à Tebboune.
Quant à Youcef Aouchiche, représentant du FFS, son score de 2,16 % montre à quel point la gauche algérienne peine à fédérer. En l’absence d’un programme novateur et face à une campagne largement dominée par Tebboune, Aouchiche n’a pas su convaincre. Le FFS, parti historique de la gauche algérienne, a perdu de sa superbe au fil des ans, affaibli par des luttes internes et une incapacité à se renouveler.
Mohamed Charfi, président de l’Anie, a toutefois tenu à féliciter l’ensemble des candidats pour le climat de sérénité dans lequel s’est déroulée la campagne. « Le scrutin a été honnête et transparent », a-t-il déclaré, ajoutant que les résultats reflètent fidèlement le choix des électeurs.
Des promesses de stabilité, mais à quel prix ?
Ce qui distingue cette élection de celle de 2019, c’est l’ampleur de la domination de Tebboune sur la scène politique. Sa campagne s’est construite autour d’un message clair : stabilité, continuité, et relance économique. Les défis ne manquent pas pour son nouveau mandat. L’économie algérienne, largement dépendante des hydrocarbures, peine à se diversifier, et la crise de l’emploi touche particulièrement les jeunes, dont beaucoup cherchent à émigrer faute de perspectives dans leur pays.
Sur le plan international, Tebboune devra également naviguer dans un contexte géopolitique complexe. Les relations avec la France, mises à l’épreuve ces dernières années, ainsi que les tensions régionales, notamment avec le Maroc autour de la question du Sahara occidental, seront des dossiers cruciaux pour ce second mandat.
Cependant, cette élection laisse aussi transparaître une réalité plus sombre : celle d’un système politique verrouillé, où l’opposition peine à se faire entendre et où la société civile reste largement marginalisée. « Nous vivons dans une illusion démocratique », estime Sofiane, un activiste algérien. « Le pouvoir en place organise des élections pour se légitimer, mais en réalité, rien ne change ».
L’éternel débat sur la transparence électorale
Si l’Anie a vanté la transparence du processus électoral, les critiques n’ont pas manqué de fuser, notamment de la part de l’opposition. Pour Abdelali Hassani Chérif, « ces élections ne représentent pas la volonté du peuple ». Selon lui, « une large part de la population s’est abstenue parce qu’elle ne croit plus en ce système ». Youcef Aouchiche a également exprimé des réserves quant à la légitimité du scrutin, bien qu’il n’ait pas formulé d’accusation directe de fraude.
Le manque de transparence dans la communication des chiffres, notamment l’absence de divulgation du nombre de bulletins nuls, a alimenté les suspicions. Mohamed Charfi n’a pas donné de détails sur ce point lors de l’annonce des résultats, ce qui a été perçu par certains comme une tentative d’occulter des irrégularités.
Ce scrutin s’inscrit dans une longue tradition électorale algérienne où les marges de victoire sont souvent exagérées, et où la participation réelle est difficile à évaluer. La faible mobilisation des électeurs à l’étranger, avec moins de 20 % de participation, démontre également un décalage entre le discours officiel et la réalité du terrain.
Tebboune, une victoire éclatante mais un avenir incertain
Avec cette réélection triomphale, Abdelmadjid Tebboune se place comme l’homme fort de l’Algérie pour les années à venir. Toutefois, cette victoire pourrait aussi être un fardeau, car les attentes sont élevées. L’économie reste le défi principal de son second mandat, tout comme la question de la transparence politique. Les Algériens, en particulier les jeunes, attendent des réformes concrètes pour moderniser le pays et offrir des opportunités à une population en quête de renouveau.
Tebboune aura-t-il la capacité de répondre à ces attentes ? Pour l’instant, il semble avoir les rênes du pouvoir bien en main, mais la défiance envers les institutions et la faible participation aux urnes montrent que la stabilité politique en Algérie pourrait être plus fragile qu’il n’y paraît.