Présidentielle en Algérie : Les candidats dénoncent l’Anie, la crédibilité du scrutin en jeu

Redaction

Présidentielle en Algérie : Les candidats dénoncent l'Anie, la crédibilité du scrutin en jeu

Une élection contestée dès les premiers résultats

La réélection d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence de l’Algérie pour un second mandat semblait acquise d’avance. Avec un score écrasant de 94,65 % des suffrages exprimés, Tebboune, président sortant, semblait réaffirmer sa mainmise sur le pouvoir. Pourtant, à peine les résultats provisoires annoncés par l’Autorité nationale indépendante électorale (Anie), la contestation a rapidement éclaté. Les trois candidats à cette présidentielle, Abdelmadjid Tebboune, Youcef Aouchiche, et Abdelaali Hassani, ont publié un communiqué commun le dimanche soir, remettant en cause la crédibilité du scrutin et dénonçant des « imprécisions » et des « incohérences » dans les chiffres communiqués.

Les critiques unanimes des trois candidats

Dans un rare moment d’unité politique, les trois candidats ont pointé du doigt des « contradictions flagrantes » dans les résultats annoncés par l’Anie. Mohamed Charfi, président de l’Autorité électorale, avait précisé lors de l’annonce des résultats que Tebboune avait obtenu 94,65 % des suffrages exprimés, avec un total de 5 630 196 voix sur un corps électoral de plus de 24 millions d’électeurs. Les candidats Abdelaali Hassani et Youcef Aouchiche sont arrivés loin derrière avec respectivement 3,17 % et 2,16 % des voix.

Cependant, les trois camps, bien que divisés politiquement, se sont accordés à critiquer ce qu’ils considèrent comme un processus biaisé. Le communiqué publié conjointement par les directions de campagne des trois candidats a notamment soulevé plusieurs points problématiques :

  • Des imprécisions et contradictions dans les chiffres des taux de participation annoncés.
  • Des contradictions entre les chiffres de l’Anie et les procès-verbaux de dépouillement remis par les commissions électorales communales et de wilaya.
  • Un manque de transparence dans le communiqué d’annonce des résultats, qui ne comportait pas les données essentielles habituellement attendues dans de telles annonces.
  • Une incohérence dans les pourcentages attribués à chaque candidat, selon les critiques.

Cette contestation est survenue alors que le taux de participation n’a même pas été divulgué lors de l’annonce officielle des résultats, ce qui a alimenté davantage les suspicions. En 2019, lors de la première élection de Tebboune, la participation avait été un sujet brûlant, avec seulement 40 % des Algériens ayant pris part au scrutin. Ce chiffre, cette fois-ci, est resté dans l’ombre.

Une transparence mise en doute

Ce qui frappe dans ce communiqué commun, c’est l’accusation directe d’un manque de transparence. Habituellement, les résultats d’une élection présidentielle en Algérie sont accompagnés de détails précis sur la participation, le nombre de bulletins nuls, et la ventilation des voix par wilaya. Cette fois-ci, rien de tout cela n’a été communiqué, laissant place à une vaste zone d’ombre.

Dans ce contexte, les directeurs de campagne des trois candidats ont pris à témoin « l’opinion publique nationale » pour dénoncer ce qu’ils estiment être un manque de clarté dans la gestion du scrutin. « Le peuple algérien mérite mieux qu’une élection aux résultats flous et aux chiffres invérifiables », peut-on lire dans le communiqué. Le choix de publier une critique commune est un acte rare dans l’histoire politique algérienne, où les candidats sont traditionnellement isolés les uns des autres une fois les urnes fermées.

Cette unité de façade cache cependant des motivations différentes. Abdelaali Hassani, leader du Mouvement de la société pour la paix (MSP), un parti islamiste modéré, espérait mobiliser une base électorale conservatrice contre Tebboune, mais ses résultats se sont révélés décevants. Quant à Youcef Aouchiche, représentant du Front des forces socialistes (FFS), la lutte pour les valeurs démocratiques et sociales a visiblement peu pesé face à l’hégémonie du président sortant.

La réponse de l’Anie : défendre la légitimité du scrutin

Face à ces accusations, l’Anie n’a pas tardé à réagir. Dans un communiqué publié dans la soirée de dimanche, elle a tenté de défendre la légitimité du processus électoral, affirmant que le dépouillement des votes se poursuivait et que les résultats complets seraient transmis à la Cour constitutionnelle. L’Anie a souligné son engagement pour la transparence, tout en promettant de « tenir au courant l’opinion publique des résultats finaux une fois les procès-verbaux reçus ».

Cette réponse, bien que rapide, ne dissipe pas tous les doutes. « Nous continuons de recevoir les originaux des procès-verbaux de dépouillement », a indiqué l’Anie, rappelant que l’opération électorale s’est déroulée « dans les meilleures conditions ». Cependant, sans divulgation immédiate des détails de la participation, l’opinion publique reste dans l’expectative.

Cette situation reflète une des principales faiblesses du système électoral algérien : la difficulté à convaincre une population désillusionnée de la sincérité des scrutins. Depuis des années, la confiance dans les institutions électorales est érodée par des accusations de fraude, des taux de participation historiquement bas et une opposition souvent muselée.

Un contexte tendu, des enjeux majeurs

Cette élection présidentielle, bien que marquée par l’apparente victoire éclatante de Tebboune, n’a pas échappé à la controverse. En 2019, lors de sa première élection, Tebboune avait fait campagne en promettant une refonte du système politique et une lutte acharnée contre la corruption. Son mandat a été marqué par des réformes, mais aussi par la persistance des difficultés économiques et sociales. Le Hirak, mouvement populaire de contestation né en 2019, avait également ébranlé la scène politique et mis en lumière les aspirations d’un large pan de la population pour une véritable démocratie.

Si Tebboune se félicite de ses réformes économiques, son premier mandat a également été marqué par des critiques sur la gestion de la pandémie de Covid-19, une inflation galopante, et une jeunesse toujours en quête de meilleures opportunités. De plus, les relations avec des partenaires internationaux, notamment la France, ont été fluctuantes, créant un climat d’incertitude.

Cette élection devait marquer le renouveau de la légitimité politique de Tebboune. Pourtant, les accusations des candidats rivaux viennent ternir cette image de stabilité retrouvée. « Si le président veut réellement reconstruire la confiance du peuple, il doit commencer par garantir des élections libres et transparentes », déclare Fouad Rabia, politologue et expert en systèmes électoraux en Algérie.

Le défi de la crédibilité électorale en Algérie

Les défis auxquels le système électoral algérien est confronté sont nombreux. Si la réélection de Tebboune semble inévitable, elle n’élimine pas les doutes persistants autour de la capacité du pays à organiser des élections véritablement représentatives. Les critiques exprimées par les trois candidats traduisent un malaise plus profond : celui d’une population désillusionnée par des années de promesses non tenues et un système jugé immuable.

La question centrale reste celle de la crédibilité. La gestion opaque des élections et le manque de transparence dans les résultats ne feront que renforcer les divisions. « Les Algériens ont besoin de croire en leurs institutions, et cela commence par des élections honnêtes », insiste Karim Boudjellal, analyste politique basé à Alger.

quel avenir pour le système électoral algérien ?

Cette élection présidentielle, malgré une victoire écrasante pour Abdelmadjid Tebboune, soulève des questions essentielles sur l’avenir démocratique de l’Algérie. Si l’Anie maintient la légitimité du scrutin, les accusations portées par les trois candidats pourraient miner davantage la confiance du public dans le système électoral. Sans transparence, la fracture entre le pouvoir et la société algérienne risque de se creuser, accentuant une crise de confiance déjà palpable.

Alors que l’Algérie se prépare à affronter des défis économiques et sociaux majeurs, cette élection aurait pu être l’occasion de renforcer la démocratie. Mais à l’inverse, elle illustre les failles d’un système qui peine à se renouveler.