Contribution. Quand Juppé voulait humilier Alger

Redaction

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Grand admirateur de Richelieu, le désormais ex-ministre français des Affaires étrangères sous la présidence de Nicolas Sarkozy (battu aux présidentielles par le socialiste François Hollande), s’est illustré par un alignement sans faille à une politique étrangère atlantiste et anti-gaulliste, marqué par la sous-traitance en matière d’intervention militaire comme ce fut le cas en Libye ou par un interventionnisme direct comme pour la Côte d’Ivoire. Ou encore un activisme débordant au Conseil de sécurité de l’ONU sur le dossier syrien. Mais ce que l’on sait moins est que cet homme politique originaire de Bordeaux a tenté de déstabiliser l’Algérie bien des années auparavant puisque des témoignages font allusion à de possibles liens entre Juppé et les attentats terroristes ayant ensanglanté l’Algérie des années 90.

Lors de la prise d’otage d’un Airbus d’Air France (vol 8969) par un commando des GIA (groupes islamiques armés) à l’aéroport d’Alger le 24 décembre 1994, une diatribe opposa Edouard Balladur, alors premier ministre au président algérien Liamine Zeroual. Ce dernier, un général des blindés nommé le le 30 janvier 1994 avant d’être élu président le 16 novembre 1995, opposa un refus catégorique à une demande française de faire intervenir sur place des forces spéciales en attente aux Baléares à moins de vingt minutes de vol d’Alger. Une telle intervention visant à libérer les otages « majoritairement des ressortissants français » de l’Airbus d’Air France aurait été très mal perçue non seulement par Alger mais surtout par une population qui, plus de quatre décennies plus tard, ne s’est encore pas totalement remise des profonds traumatismes de la guerre d’indépendance ou la guerre d’Algérie. Une guerre abominable selon les mots de l’Orientaliste français Vincent Monteil.

Le général Liamine Zeroual est connu au sein de l’armée pour sa droiture et son franc-parler. Pour lui, les choses étaient assez claires et simples : Il était hors de question de laisser intervenir à Alger un commando du GIGN (Groupement d’intervention de la Gendarmerie nationale) français. De son côté, Balladur maintient la pression en menaçant de porter l’affaire devant la communauté internationale en soulignant la responsabilité de l’Algérie dans la mort d’otages supplémentaires après l’exécution de deux otages (un diplomate vietnamien et un ressortissant français).

Dès lors, pour Allain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères depuis le 30 mars 1993, il fallait faire quelque chose. Les accointances d’Allain Juppé, ancien inspecteur des finances, avec une certaine « faction » de la DGSE dont les orientations idéologiques s’opposaient avec celles de la DST, étaient un secret de Polichinelle. Pour Juppé, il fallait à tout prix « humilier » cet obscur militaire algérien qui osa élever la voix.

L’intervention d’anciens réseaux activant entre les deux pays finit par payer : Alger laissera, non sans grincement de dents, les terroristes s’envoler pour Marseille. Une fois à Marseille, des commandos du GIGN soutenus par d’autres unités spéciales neutralisent le groupe et libèrent les otages. L’affaire est close. Cependant, elle ne fait que commencer.

D’après des sources activant dans les inextricables réseaux souterrains liant les deux pays, Allain Juppé s’est juré alors de se débarrasser du général Liamine Zeroual. le 30 janvier 1995, Alger est frappé d’un attentat terroriste kamikaze  au camion piégé. Le bilan est très lourd: 42 morts et des dizaines de blessés. L’ensemble des médias algériens, aussi bien étatiques que privés, condamnent fermement cet attentat qualifié de lâche et barbare. On pointe du doigt les GIA ou d’autres organisations terroristes dont le FIDA (Front islamique du Djihad armé-une obscure organisation terroriste limitée territorialement à Alger et sa périphérie immédiate) et l’AIS (Armée islamiques du Salut-bras armé du FIS).

Allain Juppé est promu Premier ministre le 17 mai 1995 et le restera jusqu’au 02 juin 1997. La pression monte en Algérie et Les attentats se succèdent à un rythme infernal. le 24 mai 1995, une bombe explose dans le sous-sol de l’hôtel Al-Aurassi, où s’étaient réuni les Walis (Préfets) avec le ministre de l’intérieur; le 31 août 1995, une voiture piégée vise le siège de la Direction générale de la sûreté nationale à Bab el Oued causant une douzaine de morts; les Mairies de Ben-Aknoun et de Birkhadem sont également visées par des attentats à la voiture piégée; le 31 janvier 1996, c’est au tour de Baraki dans la banlieue sud d’Alger qui est durement frappé par plusieurs attentats à la bombe; le 11 février 1996, un véhicule piégé explose devant la mairie de Bab El-Oued, suivi d’un autre devant la maison de la presse en plein Alger faisant 20 morts. Le 4 septembre 1996, une voiture piégée détruit l’hôtel d’Angleterre. Le 24 octobre, des bombes visent le trafic ferrovier. Le 02 janvier 1997, Belcourt est frappé à la voiture piégé: 23 morts et plus d’une centaine de blessés; Le 08 janvier, la faculté centrale d’Alger est visée par un attentat à la voiture piégée; le 12 mai 1997, quatre véhicules piégés explosent à Bordj el Bahri et Ben-Aknoun. Et la liste est loin d’être exhaustive. Les autorités parent au plus pressé et sont un peu dépassées par un rythme d’attentats à la cadence élevée qu’elles n’ont pas connu depuis la furie terroriste de l’OAS (Organisation de l’Armée secrète) au cours des derniers mois précédant l’indépendance du pays.

Les procédés utilisés sont de plus en plus sophistiqués et les quantités d’explosifs utilisés laissent perplexes le moins averti des observateurs. Des explosifs militaires de type Semtex et Pentex. D’où viennent-ils ? Nul ne le sait pas plus que ne fut découvert l’origine des pistolets-mitrailleurs de type UZI dont se servait des groupes terroristes. Des journaux focalisent sur l’hydre islamiste et tentent tant bien que mal d’établir des liens entre les vols de quantités de dynamite destinés aux mines et les attentats à la voiture piégée qui ensanglantent la capitale. En vain. Les plus avisés des experts n’osent plus avancer la moindre hypothèse.

Ces opérations de déstabilisation atteignent leur apogée le lorsque l’ENTV (télévision publique algérienne) se livre à un étrange travail de sape de l’image du président Liamine Zeroual. Ce dernier est montré au chevet d’une victime blessée d’un attentat à la voiture piégée. Dans une séquence diffusée en plein 20 heures, l’on entend la victime s’adresser assez clairement au président. « Faites quelque chose M. le président » le suppliait-elle. La caméra de l’ENTV, prompte à censurer le moindre écart, filme la scène surréaliste jusqu’au bout. Le général Zeroual murmure un « que faire »…La tentative d’atteindre l’image du président s’est faite par le biais de la télévision publique. Cette dernière ne bouge jamais sans ordres. Qui a été derrière cette machination demeure à ce jour un mystère.

es attentats se succèdent. Mais les plans d’urgence des services de sécurité finiront par juguler tant bien que mal la folie destructrice dans Alger intra-muros. Apparaissent alors en milieu rural les premiers escadrons de la mort, semant la mort dans les villages et hameaux environnant suivant un style rappelant le très controversé massacre de Melouza durant la guerre d’Algérie (1954-1962) Un phénomène que le pays n’a jamais connu.

En l’espace de quelques semaines, des centaines de civils sont assassinés dans d’atroces conditions par des groupes de tueurs agissant en cercles concentriques suivant un axe périphérique contournant le grand Alger. Ces scènes d’horreur suscitent stupéfaction et incompréhension en Tunisie, en Libye ou en Égypte. C’est à ce moment précis qu’une nouvelle chaîne d’information par satellite ayant à peine une année d’existence lance un fameux débat sur « qui tue qui ? » reprenant une formule usitée pour la première fois pas des sionistes français. Cette chaîne s’appelait Al Jazeera. Des thèses impliquant les services de renseignement ou l’armée algérienne comme responsables de certains massacres font florès et se propagent d’une manière virale. Des médias étrangers, plus particulièrement ceux de France, d’Allemagne et des pays du Golfe arabo-persique tentent de faire accréditer cette thèse. Sur Al-Jazeera, un commentateur est allé jusqu’à dire  » surprenant, un gouvernement qui tue son propre peuple! ». Dans la rue algérienne, c’est le doute.

On admet qu’il y a eu des dépassements de tous bords mais pas au point que l’on organise des tueries affectant très durement l’image du pays à l’étranger. Toutefois, certains savaient que les groupes armés étaient manipulés et/ou instrumentalisés par les services de renseignements étrangers de plusieurs pays « amis » ou « frères ». C’est dans ce contexte que survint la malheureuse affaire des moines de Tibehrine où sept moines furent exécutés par un commando des GIA qui était en contact avec l’ambassade de France à Alger.

A Paris, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure suivait attentivement et très minutieusement ce qui se passait à l’intérieur d’Alger. On surveillait tout particulièrement les dispositifs mis en place par les différents services de sécurité intra-muros. Depuis longtemps, la DGSE a fini par devenir le creuset d’anciens ultras de l’OAS et de la Main Rouge, deux organisations terroristes au sinistre record en Afrique du Nord, notamment en Algérie et en Tunisie. En 1996-97, on y était surtout persuadé que la pression « militaire » exercée contre le général Zeroual était quasiment insoutenable et que son départ n’était qu’une simple question de temps. Le président Zeroual mit fin à son mandat le 27 avril 1999.

Tous les présidents algériens ont subi des pressions plus ou moins diplomatiques de l’ancienne puissance tutélaire ; tous y ont réagi différemment. Mais seul le général Zeroual et dans une moindre mesure, le président Chadli Benjedid ont eu à résister à des plans de déstabilisation incluant des moyens d’action de type militaire et mettant en œuvre des insurrections de basse intensité. Une méthode qui sera testée avec succès plus d’une décennie plus tard en la combinant avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication dans certains pays arabes à régime autoritaire ou autocratique. Ce sera le « Printemps arabe ».

Wissem Chekkat

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