Quel est le but de l’Algérie ?

Redaction

Updated on:

La semaine politique de Kamel Daoud

Quel est le but de l’Algérie ? La question apparaît comme légèrement futile, sinon absurde et pourtant c’est le cas : il faut revenir sur ce choix de base du pays pour mieux vivre et pas seulement dans le périmètre de la mastication. A l’époque des euphories des premières décolonisations, le but de l’Afrique et de ses pays leaders comme l’Algérie, était d’être l’Espagne du continent, le Dragon du Maghreb, le Japon noir.

Le but doctrinal était le développement, traduit par le socialisme réparateur du colonialisme et de l’égalitarisme, destructeur des hiérarchies racistes et sociales. Le développement était presque une religion, sans barbes mais avec des pioches, des statistiques et des usines clefs en main. Depuis, les temps ont changé, et les pouvoirs en Afrique aussi : aujourd’hui la question se repose brutalement : quel est le but d’un régime dans un pays africain par exemple? Globalement se maintenir, durer, gagner des sursis ou s’imposer et vaincre. Les oppositions les plus dures au Pouvoir sont paradoxalement à l’intérieur du Pouvoir, pas dans les familles des oppositions formelles, celles des sigles et des partis de la fiction pluraliste. En Algérie, on craint plus la guerre des clans que la guerre des partis. La première peut engager le pays entier dans la ruine, la seconde se solde avec à peine quelques communiqués de presse.

C’est dire que le but d’un régime, cinquante ans après la décolonisation n’est plus de faire du pays une Espagne africaine (Quoique le mythe de ce pays ait pris un coup depuis sa crise), mais de maintenir un étrange statut quo alimentaire : donner au peuple à manger suffisamment pour qu’il ne se révolte pas, et manger soi-même suffisamment pour justifier et rendre épique la course mortelle au Pouvoir. C’est ce qui se passe en Algérie : une course folle contre la révolte, par les moyens du rassasiement et de la distribution de la rente. Du coup, revenons aux idéologies : celle de l’Algérie actuelle est celle du pragmatisme genre « alimentation générale » comme vision économique en haut, doublé d’un conservatisme immobilisateur en bas. Le but du régime est d’acheter la paix, pas de développer le pays et le but du peuple est placé dans l’au-delà : gagner le paradis ou des augmentations. La religion favorite des premières années, celle du «Développement est des statistiques » a réduit ses ambitions pour devenir une religion tout court, ou simplement un cycle de virements et d’inflation.

La question ne procède pas de la philosophie mais de l’évidence : ailleurs, dans les livres, on appelle cela « le roman national ». C’est l’histoire qu’une nation se raconte, un mythe global, une explication, un sens collectif. A l’époque, c’était « libérer le pays du joug de la colonisation ». Ensuite c’était « plus jamais d’enfants cireurs de chaussures », une puissance de l’Afrique, un toit, un travail, de la santé et du travail pour chaque algérien. Ce fut le boumediénisme. Mais, depuis, le mythe a été vidé de son sens. Le but de l’Algérien aujourd’hui n’est pas de fabriquer l’Espagne chez lui, mais d’y aller directement. Par chaloupe ou en y envoyant ses enfants si l’on est ministre ou dignitaire du régime. Le mythe de l’utopie locale s’est effondré depuis des décennies et la meilleure preuve est qu’aujourd’hui, le Régime n’a plus d’intellectuels organiques mais seulement des rabatteurs d’électeurs, des indicateurs et des importateurs. Il ne cherche plus à s’expliquer mais seulement à payer, suffisamment.

De ce mythe du « développement », il n’en reste qu’une version appauvrie qui est celle de la sécurité alimentaire celle de l’approvisionnement. C’est ce que poursuit l’Algérien chez lui. Le but est « comment prendre le plus gros morceau du bien-vacant, du pouvoir-vacant, du puits-vacant » et de se replier vers son propre territoire individuel. Cela s’appelle la stratégie de la débrouillardise, si bien analysée d’ailleurs en Algérie. L’impact de ce démantèlement du « roman national » se retrouve partout : dans la vie quotidienne et au plus haut sommet du Pouvoir. C’est la question de fond : que faire de l’Algérien et de l’Algérie ? Que faire puisque l’équation socialiste d’un logement, d’une paire de chaussures, d’un salaire gratuit pour chacun est impossible ? Face au dilemme, le régime essaye de gagner du temps et réfléchis a des solutions alternatives. Pas alternative à lui-même mais au sein de lui-même. En bas de l’échelle alimentaire, l’algérien est confronté brutalement à la question du sens collective manquant : après la guerre de libération c’est l’ennui national. Après l’amour, l’animal est triste. Du coup, on déplace le centre de gravité de ses fantasme vers d’autres territoires : l’au-delà, l’Europe, l’écran LED, le DVD, le Real Madrid ou autres. La question du sens collectif revient à chaque maladie de Bouteflika, à chaque vacance du pouvoir, à chaque licenciement ou retard de salaire. Brusquement l’Algérie, chaque dix ans, chaque jour, se retrouve au point Zéro de l’année 62. Comme si malgré les hôpitaux, les routes et les écoles, rien n’a encore été réglé après le départ du colon. « Que faire de l’Algérie ? » est une question vitale, importante, fatale, urgente et à laquelle il faut répondre si on veut vivre ensemble : définir le but du pays et le sien propre. Faire comme Rome et conquérir le reste du monde, faire comme le Japon, les USA ou faire comme le Rwanda. Il faut trancher et vite. Le cout de ce manque de but national se paye à l’échelle du pays et à l’échelle de l’errance individuelle et du mal être. Ce n’est pas de la philosophie mais de la logique de survie et du destin. De l’ordre du vital. Le chiffre des bilans administratifs et le culte des réalisations, des Injazates, ne peuvent suffire à remplir la tête de l’algérien et lui donner un sens.

Il est mort le temps de la pierre inaugurale face à celui de la pierre jetée. Il faut faire vite et répondre à la seule question qui vaille après 62 : Quel est le but de l’Algérie après avoir chassé le dernier colon en date ? Selon l’islamiste, le but est de transformer le pays en une mosquée. Selon le pseudo-nationaliste, c’est d’en faire un souvenir de guerre sans fin. Selon le jeune, c’est de le fuir. Selon les plus rusés, c’est de le manger à défaut de pouvoir le revendre. Et selon tout ceux qui sont entre ces quatre là ?