Par Docteur Abderrahmane MEBTOUL Professeur d’Université Expert International
Stefan Füle, commissaire à l’Elargissement et la Politique européenne de voisinage, vient d’effecteur les 16/17 mai 2011 une visite de travail à Alger, préparant la réunion du Conseil d’Association prévue en juin 2011, du fait des tensions de plus en plus vives entre l’Algérie et l’Union européenne. L’objet de cette contribution est l’analyse sans passion de l’Accord qui lie l’Algérie à l’Europe pour une zone de libre échange signé le 01 septembre 2005 avant l’élargissement de l’Europe aux 27.
L’Accord d’Association avec l’Europe est un Accord régional concernant plusieurs volets à la fois économiques, politiques et culturels alors que l’Accord avec l’organisation mondiale du commerce(OMC) est un Accord mondial axé essentiellement sur le volet économique et financier. Les fondements de l’Accord avec l’Europe outre les volets politiques, (respect du droit, de l’homme, engagement d’aller vers la démocratie, la promotion de la liberté la presse, ect) reposent sur les articles 32, 37, 39 et 54.
1- Fondements de l’Accord d’Association et litiges Algérie/ Europe
L’article 32 stipule que l’Algérie réserve a l’établissement de sociétés communautaires sur son territoire un traitement non moins favorable que celui accordé aux sociétés de pays tiers ; qu’elle réserve aux filiales et succursales de sociétés communautaires établies sur son territoire, conformément à sa législation, un traitement non moins favorable, en ce qui concerne leur exploitation que celui accordé a ses propres sociétés ou succursales ou à des filiales ou succursales algériennes de sociétés de pays tiers, si celui-ci est meilleur.
Quant à l’article 37,il stipule que les parties évitent de prendre des mesures ou d’engager des actions rendant les conditions d’établissement et d’exploitation de leurs sociétés plus restrictives qu’elles ne l’étaient le jour précédant la date de signature du présent accord. Les parties s’engagent à envisager le développement du présent titre dans le sens de la conclusion d’un accord d’intégration économique au sens de l’article V de l’AGCS. Pour formuler ses recommandations, le Conseil d’association tient compte de l’expérience acquise dans la mise en œuvre du traitement de la nation la plus favorisée et des obligations de chaque partie dans le cadre de l’AGCS, et notamment de son article V.
Quant à l’article 39 il met en relief que la Communauté et l’Algérie assurent, à partir de l’entrée en vigueur du présent accord, la libre circulation des capitaux concernant les investissements directs en Algérie, effectués dans des sociétés constituées selon la législation en vigueur à la législation ainsi que la liquidation et le rapatriement du produit de ces investissements et de tout bénéfice en découlant. Les parties se consultent et coopèrent pour la mise en place des conditions nécessaires en vue de faciliter la circulation des capitaux entre la Communauté et l’Algérie et d’aboutir à sa libéralisation complète. Pour l’article 54 lié à la promotion et protection des investissements il met en relief que la coopération vise la création d’un climat favorable aux flux d’investissements et se réalise notamment à travers l’établissement de procédures harmonisées et simplifiées des mécanismes de co-investissement ainsi que des dispositifs d’identification et d’information sur les opportunités d’investissements, favorables aux flux d’investissements ainsi que l’établissement d’un cadre juridique favorisant l’investissement le cas échéant, par la conclusion entre I ‘Algérie et les États membres, des accords de protection des investissements et d’accords destinés a éviter la double imposition.
Les malentendus entre l’Europe et l’Algérie ont commencé suite aux décisions du gouvernement algérien courant 2009 de postuler 51 pour cent aux algériens dans tout projet d’investissement et 30 pour cent des parts algériennes dans les sociétés d’import étrangères avec un effet rétroactif , ce qui serait selon la partie européenne contraire au droit international , qui explique la réaction européenne qui a demandé l’annulation de ces directives dans une correspondance officielle adressée au gouvernement algérien. Pour la partie algérienne les importations algériennes en provenance de l’Europe représentent environ 60% c’est l’Europe qui n’a pas respecté les engagements contenus dans l’Accord.
Elle se pose indirectement la question s’il est utile que l’Algérie reste attachée à cet Accord par la faiblesse de l’investissement utile d’autant plus que le dégrèvement tarifaire ferait à perdre à l’Algérie 2 milliards de dollars en 2010 et qu’en 2017,il et prévu une perte de 7 milliards de dollars Dialogue de sourd : l’Algérie reproche à l’Europe le manque d’enthousiasme dans l’investissement et l’Europe pour qui à travers Galsi et Medgaz l’Europe achète une grande partie du gaz algérien sans compter le pétrole , les équilibres commerciaux étant presque en équilibre, reproche à l’Algérie le manque de visibilité dans les réformes micro-économiques et institutionnelles qui expliqueraient que l’Algérie n’a rien à exporter en dehors des hydrocarbures , devant avoir des couts compétitif et surtout respecter la norme du label qualité contenu dans l’Accord.
2- Bien poser le problème du différent
Aucun pays n’a obligé l’Algérie à signer cet Accord, comme personne ne l’oblige à adhérer à l’OMC, Accord signé en toute souveraineté par le gouvernement et ayant des implications fondamentales, comme les produits industriels qui subiront progressivement un dégrèvement tarifaire allant vers zéro (O) horizon 2017. Il en est de même du problème de la dualité du prix du gaz surtout pour l’entrée à l’OMC. Avant de se lancer dans des unités pétrochimiques ou unités fonctionnant au gaz destinées à l’exportation, nécessitant des dizaines de milliards de dollars d’investissement sur fonds publics , si l’on veut éviter des problèmes avec les structures européennes et américaines à la concurrence qui peuvent interdire l’entrée de ces produits au sein de leur espace, l’argument du Ministère de l‘Energie postulant la couverture des frais du gaz plus un profit moyen n’ayant pas convaincu nos partenaires.
La facilité et la fuite en avant est de vouloir imputer les causes du blocage seulement à l’extérieur (ce discours anti-impérialiste chauviniste pour faire oublier les problèmes intérieurs, ce chat noir dans un tunnel sombre que l’on ne voit jamais) alors que le mal essentiel est en nous. L’extérieur est-il responsable de la montée en puissance de la bureaucratie destructrice et de la corruption dominante ; l’extérieur est-il responsable de notre mauvaise gestion et du gaspillage de nos ressources. Enfin l’extérieur peut-il engager à notre place les réformes structurelles dont l’Etat de droit, conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale évitant cette concentration excessive du revenu national au profit de rentes spéculatives, assistant dans les réformes à un pas en avant et deux en arrière.
Certes, les inquiétudes étant légitimes. Mais invoquer tant l’extérieur que la situation mono exportatrice de l’Algérie, ne tient pas la route, la majorité des pays de l’OPEP étant membres de l’OMC dont le dernier en date étant l’Arabie Saoudite. Aussi, il est peu vraisemblable que l’Algérie ait un statut spécifique, les clauses fondamentales avec l’Europe étant non négociables, ni d’ailleurs de spécificité pour l’adhésion à l’OMC, peut être, une prolongation de délais selon le même. Accord, contrairement à ce qui a été avancé par certains officiels algériens. Il est utile de rappeler que les États-Unis d’Amérique et l’Europe principaux partenaires commerciaux de l’Algérie font obstacles à son adhésion à l’Organisation mondiale du Commerce, l’Algérie négociant depuis 1986, sous prétexte fondamentalement qu’elle reste encore une économie administrée.
3- Pourquoi le blocage de l’investissement utile en Algérie
Après analyse je pense fermement que pour bénéficier des effets positifs de l’Accord avec l’Europe que d’une éventuelle adhésion à l’OMC,( sinon les effets pervers l’emporteront) qu’il faille faire d’abord le ménage au sein de l’économie algérienne et que ce sont les freins à la réforme globale du fait de déplacements des segments de pouvoir (les gagnants de demain n’étant pas ceux d’aujourd’hui) qui explique le dépérissement du tissu productif . Toute analyse opérationnelle devra relier l’avancée ou le frein aux réformes en analysant les stratégies des différentes forces sociales en présence, la politique gouvernementale se trouvant ballottée entre deux forces sociales antagoniques : la logique rentière épaulé par les tenants de l’import (13.000 mais en réalité seulement 100 contrôlant plus de 80% du total) et de la sphère informelle malheureusement dominante et la logique entrepreneuriale minoritaire.
Cela explique que l’Algérie est dans cette interminable transition depuis 1986, ni économie de marché, ni économie administrée, expliquant les difficultés de la régulation, l’avancée des réformes étant inversement proportionnelle au cours du pétrole et du cours du dollar, les réformes depuis 1986 étant bloquées ou timidement faites avec incohérence lorsque que le cours s’élève. Cela explique également que malgré des assainissements répétées des entreprises publiques (plus de 50 milliards de dollars entre 1991/2010 et encore 16milliards de dollars pour 2011) des dévaluations successives, il a été impossible de dynamiser les exportations hors hydrocarbures (2% du total).
La part des entreprises autonomes créatrices de richesses soumises à des blocages d’environnement participent pour moins de 20% à la valeur ajoutée globale(PIB), plus de 80% des segments hors hydrocarbures étant eux mêmes tirés par la dépense publique via les hydrocarbures, le blocage étant d’ordre systémique. La baisse de la salarisation depuis plus de trois décennies au profit des emplois rentes traduit la prédominance de l’économie rentière et la faiblesse de la dynamique de l’entreprise créatrice de valeur ajoutée. Les infrastructures qui ont abordé plus de 70% de la dépense publique (200 milliards de dollars entre 2004/2009) qu’en serait-il des 286 milliards de dollars entre 2010/2014 dont 130 milliards de dollars de restes à réaliser montrent un impact mitigé tant économique et social. La diminution de la dette extérieure, de la dette intérieure n’est pas du au génie créateur, c’est à dire la valeur travail et l’intelligence.
Les taux de croissance, de taux d’inflation et de taux de chômage invoqués officiellement sont étant des taux artificiels devant réorienter la politique socio-économique vers l’entreprise et le savoir. Les infrastructures ne sont qu’un moyen et l’expérience récente malheureuse au vu de la crise mondiale d’octobre 2008 des pays ayant misés sur ce segment comme l’Espagne doit être méditée attentivement par les autorités algériennes comme en témoigne l’important et inquiétant déficit budgétaire prévu par la loi de finances complémentaire 2011. C’est que le projet de la LFC pour 2011 prévoit un déficit de 4.693 milliards DA (mds DA), soit un ratio par rapport au PIB de 33,9%, contre 3.355 mds DA dans la loi de finances initiale. La loi de finances 2011 tablait sur un déficit budgétaire de 3.355 mds DA, soit 28% du PIB.
Le creusement du déficit, projeté pour 2011, survient sous l’effet de la dépense de fonctionnement qui s’accroît de 857 mds DA et sous l’effet de la dépense d’équipement qui s’accroît de 797 mds DA pour faire face à un programme additionnel de logements sociaux et ruraux et au renforcement de l’action économique de l’Etat. L’Algérie ne risque t- elle pas à cette allure d’épuiser le fonds de régulation des recettes vers 2014/2015 estimées en avril 2011 à environ 4800 milliards de dinars et d’aller vers une inflation vertigineuse que l’on comprime artificiellement actuellement par des subventions mal ciblés ce qui rendrait à terme nécessaire l’élévation des taux d’intérêts pour éviter la faillite bancaire ou alors des recapitalisations via toujours les hydrocarbures. En cas d’un repli du cours du pétrole, cela serait dramatique dans la mesure, où selon le projet de LFC 2011, les équilibres budgétaires seront tendus en 2011 et la résorption nécessiterait un prix du baril de pétrole à plus de 135 dollars sous réserve d’une stabilisation du cours du dollar.
4- Une production hors hydrocarbures liée à un État de droit et à plus de réformes
Il y a urgence d’un changement de la mentalité bureaucratique des dirigeants algériens et donc d’un changement culturel. En ce XXIème siècle ce ne sont pas les États qui investissent, jouant le rôle de régulateur, mais les opérateurs qui sont mus par la logique du profit. L’important est d’avoir tant pour l’Europe que l’Algérie une autre vision des relations internationales impliquant les opérateurs et la société civile dont l’élite et d’établir de nouveaux réseaux pour une prospérité partagée loin de tout esprit de domination, tenant compte des nouvelles mutations dans le monde arabe comme j’ai eu à le démontrer récemment dans une contribution à l’Institut français des relations internationales le 28 avril 2011 sur le thème la coopération Europe Maghreb face aux enjeux géostratégique.
La mise en place de mécanismes transparents dans la gestion des affaires, l’implication de l’ensemble des segments pour une société plus participative et citoyenne, la valorisation du savoir, une bonne gouvernance, sont les conditions fondamentales pour d’éviter que la puissance publique soit utilisé à des fins d’enrichissement privés. Aussi, pour pouvoir attirer les investissements porteurs, le gouvernement algérien devrait donc mettre en place des mécanismes de régulation évitant des changements périodiques de cadres juridiques, des actions administratives bureaucratiques non transparentes source de démobilisation et qui risquent de faire fuir les investisseurs sérieux qu’ils soient locaux ou étrangers. L’essence du blocage réside en Algérie au système bureaucratique que je qualifie de terrorisme bureaucratique, qui produit d’ailleurs la sphère informelle fonctionnant dans un État de non droit qui accapare 40% de la masse monétaire en circulation, de la sclérose du système financier lieu de distribution de la rente, de la faiblesse d’un marché foncier libre et enfin d’un système socio-éducatif inadapté, les universités actuellement étant une usine à produire des chômeurs. Tout cela renvoie au manque de cohérence et de visibilité dans la démarche de la politique socio-économique qui freine pas seulement les investisseurs étrangers mais également les investisseurs locaux sérieux qui peuvent accroître la valeur ajoutée interne et pas seulement se focaliser dans des investissements spéculatifs à court terme comme actuellement qui ne contribue pas à une croissance durable. En bref, il faut reconnaître que l’objectif stratégique de l’Algérie est de diversifier son économie. Et ce dans le cadre d’une politique de substitution à l’importation, la dynamisation de l’agriculture, du tourisme, des PMI/PME afin de densifier le tissu industriel algérien sans oublier les services qui ont un caractère de plus en plus marchands, mais en étant réaliste en tenant compte des avantages comparatifs mondiaux car nous sommes à l’ère de la mondialisation. D’où d’ailleurs l’importance de l’intégration maghrébine pour un marché fiable au moment de la consolidation des grands ensembles, notre espace naturel étant l’espace euro magrébin, euro méditerranéen tout en n’oubliant pas le continent d’avenir l’Afrique, étant suicidaire pour chaque pays du Maghreb de faire cavalier seul. L’aspect sécuritaire s’étant nettement amélioré, l’Algérie doit créer des conditions favorables au développement en levant les contraintes d‘environnement devant favoriser l’épanouissement de l’entreprise seule source de création de richesses permanentes et son fondement la valorisation du savoir. Cela renvoie à l’urgence d’une gouvernance rénovée donc à la refonte de l’Etat dont les fonctions nouvelles tenant compte d’une économie ouverte ne peuvent être celles d’un État jacobin (centralisation bureaucratique), impliquant une réelle décentralisation avec une participation plus citoyenne au sein d’un État de droit. En fait il s’agit de lier les réformes et la démocratie solidaires au sein d’un monde de plus en plus globalisé tenant compte des anthropologies culturelles.
AM