Quelle politique de gestion des réserves de change pour l'Algérie face aux fonds souverains ?

Redaction

f I-LES FONDS SOUVERAINS À TRAVERS LE MONDE

Le fonds souverain (sovereign wealth funds), dont le premier a été créée au Koweit en 1953 ou fonds d’État, est un fonds de placements financiers (actions, obligations.) détenu par un État. Les fonds souverains gèrent l’épargne nationale et l’investissent dans des placements variés (actions, obligations, immobilier, etc.). Dans une acception restreinte, les fonds souverains désignent spécifiquement « les avoirs des Etats en monnaies étrangères » et dans une acception plus large, « tous les fonds d’investissement détenus par un État tirant leurs ressources des banques centrales » (Chine), des réserves pour les retraites (Norvège) ou des recettes des hydrocarbures ( Russie, et les pays du Golfe). L’envolée du cours du pétrole surtout entre 2007/2008, a conduit à une remarquable aisance financière qui s’est traduite pour les pays arabes par d’importants excédents de leurs balances des paiements, le désendettement,( Russie, Algérie), le lancement de mégaprojets et l’accumulation d’énormes réserves de change. Les fonds souverains sont devenus des acteurs importants de l’économie, gérant par exemple deux fois plus d’actifs que les hedge funds et leur nombre s’accroît d’année en année. Mais contrairement à une idée faussement répandue, ils sont encore d’un poids assez réduit face au 190 000 milliards de capitaux investis dans le monde en 2007 (chiffres établis par le FMI) et bien loin de la capitalisation du NYSE (Wall Street) estimée à 15 000 milliards de dollars ou des actifs gérés par les investisseurs institutionnels dans les pays développés (environ 53 000 milliards de dollars en 2007) ou bien par les banques (63 500 milliards de dollars).

Avec 3 300 milliards de capitalisation estimée en 2007, selon le rapport d’information du Sénat français n° 336 en date de mai 2008, la répartition des 3300 milliards de dollars des fonds souverains est la suivante fin 2007 :

Émirats Arabes Unis : 27%

-Arabie Saoudite 11%

-Norvège 11%

-Singapour 15%

-Koweït 8% ( 213 milliards de dollars)

-Chine 7%

-Russie 5%

Autres 7% dont Qatyar Investment Authority –QIA ( 50 milliards de dollars) et Investment Corporation of Dubai (80 milliards )%

Ainsi , je ne citerai que Abu Dhabi Investment Authority(créé en 1976, Émirats Arabes Unis) , avec Saeed Mubarak Al Hajeri, formé dans les plus grandes universités américaines, de Havard dirige la « Abu Dhabi investment Authority », Government Pension Fund-Global(1990, Norvège), []Government of Singapore Investment Corporation(GIC) (1981, Singapour), Reserve Fund for Future Generation(1953, Koweït), China InvestmenCorporation(2007 avec un capital social de plus de 200 milliards de dollars ), Stabilisation fund(2004, Russie, )- Temasek Holdings(1974, Singapour) et Qatar Investment Authority(2005, Qatar).Plusieurs études ont été réalisées sur les fonds souverains arabes toujours avant la crise d’octobre 2008 portant sur l’Arabie Saoudite, le Bahreïn et les Emirats Arabes Unis .Abu Dhabi avec deux fonds souverains l’ADIA (Abu Dhabi Investment Authority avec 875 milliards de dollars (estimation2007/ début 2008) et accessoirement Mubadala Development Company fugurent parmi le leader dans ce domaine sans oublier Saudi Arabian Monetary Agency qui est le fonds d’investissement de la banque centrale saoudienne avec 221 milliards de dollars d’actifs pour la même date , mais qui est appelé à se développer du fait des importantes réserves de change ce pays. Cela explique la croissance de la finance islamique par cette prise de conscience de captation de cette épargne par les des grandes banques internationales estimée en 2008 à 500 milliards de dollars mais dont le potentiel du marché bancaire est estimé à plus de 4200 milliards de dollars par le cabinet d’expertise Standard§ Poor’s.

Face donc à cette aisance financière relative quelle est la stratégie des fonds souverains notamment arabes ? Rappelons la participation avant la crise par la Qatar Investment Authority de 20% du London Stock Exchange pour 1,36 milliard et l’achat, à la même date, par la holding publique Borse Dubaï de 28% du London Stock Exchange et de 19,9% du Nasdaq ». la MubadalaDevelopment Co , créée par Abou Dhabi, l’achat pour 1,35 milliard 7,5% du Carlyle Group » et on peut citer d’autres exemples . Citons le cas spécifique du fond norvégien ( » Norwegian Wealth Fund « , NWF) qui a été créé pour pallier la diminution de la rente énergétique à moyen terme,( différence fondamentale avec le fonds de régulation algérien) , le Ministère des Finances étant responsable de la politique d’investissement alors que la Banque nationale s’occupant du management opérationnel. Les participations dans chaque entreprise sont faibles (jamais plus d’1% du capital total), les entreprises qui vendent des armes, pratiquent la corruption ou ne respectent pas l’environnement sont évitées, tout comme les secteurs stratégiques. Aujourd’hui, le NWF est l’un des plus importants fonds souverains au monde, ayant des participations dans plus de 3000 entreprises dans plus de 40 pays. Après les effets de la crise d’une perte record de 71 milliards d’euros en 2008 et une valorisation en recul de 23,3 %, le fonds détient 267,6 milliards d’euros, devenant le deuxième fonds souverain derrière celui d’Abu Dhabi, possédant 1,7 % des actions européennes et 1 % de celles du monde entier, des participations dans quelque 8 000 entreprises, dont Shell, Nestlé, HSBC ou Total et étant le premier investisseur du CAC 40, gérant également environ 13 milliards de dollars des dettes britanniques et américaines. Aussi, la stratégie des fonds souverains arabes, mais également de l’ensemble des fonds souverains dont la Russie à travers la stratégie de Gazprom, les fonds chinois, norvégiens s’orientent de plus en plus vers des investissements financiers, la participation au capital d’entreprises occidentales voire leur prise de contrôle.

Cependant Face à ces fonds souverains, les Etats-Unis ont adopté une législation visant à empêcher ces fonds de contrôler des secteurs affectant leur sécurité nationale. En Allemagne, en France et aussi en Grande-Bretagne, on envisage de telles mesures de défense. Rappelons en 2005, les USA ont essayé d’interdire à l’opérateur portuaire Dubai Ports World de mettre la main sur les cinq terminaux qualifiés de  » stratégiques  » et le commissaire européen Mandelson a évoqué la possibilité de recourir aux actions préférentielles  » pour protéger les entreprises  » stratégiques. Dans le cadre de règles mondiales de gouvernance applicables aux fonds souverains, le FMI travaille à l’établissement de codes de conduite pour les régir pour garantir la transparence de l’origine et la gestion de ces fonds. En effet, en octobre 2008, les pays développés ont adopté une charte de bonne conduite sous l’égide du FMI, baptisée  » Principes de Santiago « , qui compte 24 règles concernant notamment la transparence, l’audit externe et le reporting Encore que ces fonds ont joué le rôle de sous pape de sécurité après la crise hypothécaires d’août 2007 en refinancant plusieurs banques internationales en difficultés en mal de cash, comme Morgan Stanley, Barclays, Citigroup, Merrill Lynch ou UBS et donc indirectement les fonds de la Chine et d’ Abu Dhabi ont permis d’atténuer les chocs sont de Wall Street ou de la City. Las. Par ailleurs avec la remontée récente des bourses depuis juin 2009 après des pertes historiques en 2008, premier trimestre 2009, la valeur de leurs actifs ayant chuté de 16,7 %, et le portefeuille boursier de 45 %, par exemple, le fonds pétrolier norvégien affiche des profits records et China Investment serait prêt à prendre pour 2 milliards de dollars de créances toxiques américaines et prévoit le rachat de la filiale d’Areva T&D. Le fonds d’Abu Dhabi après avoir pris 9 % de Daimler, pourrait entrer dans le capital de l’entreprise française de services Spie, sans compter la proposition récente (2009) des 7 milliards d’euros par la Qatar Investment Authority (QIA) pour investir 20 % dans Porsche, aux côtés de Volkswagen.

Également, il est utile de souligner que ces fonds ont permis de rééquilibrer l’important déficit de la balance de paiement américaine. Et en gardant leurs réserves en dollars notamment les pays arabes avec d’autres pays comme la Chine contribuent à éviter un dérapage malgré le déficit budgétaire important américain , du dollar par rapport à certaines monnaies clefs comme l’euro, encore que le déficit budgétaire important américain, s’il venait à s’approfondir , pourrait contribuer à un renversement de tendance notamment des pays possédant d’importantes réserves de change en dollars notamment de la Chine qui opteraient pour d’autres monnaies, ce qui accélèrerait la dépréciation du dollar .

II- L’ ALGÉRIE ET LA PROBLÉMATIQUE DES FONDS SOUVERAINS

Actuellement et il est toujours utile de le rappeler, les réserves de change sont estimées à plus de 144 milliards de dollars fin juin 2009, étant affectées selon les autorités algériennes sous forme de placements en bons de Trésor américains et dans certaines banques internationales bien cotées dites AAA . Cette option est jugé actuellement, du fait du dérapage du dollar par rapport à l’euro depuis 2000 de plus de 55% amenuisant d’autant la valeur globale reconvertie en euros, donc peu rentable et peu efficace sachant que les taux d’intérêt des banques centrales tendent vers zéro et avec le taux d’inflation même faible donnant un taux d’intérêt négatif. D’autant plus qu’à la différence des pays asiatiques et des pays pétroliers s’approvisionnant au sein de la zone dollars, les importations algériennes fluctuent entre 50/60% en euros. La leçon que l’on peut tirer concernant ce débat en Algérie et loin de toute passion est que pour une gestion efficace des fonds souverains, comme j’ai eu à le préciser dans la presse nationale et internationale est que cette dernière doit reposer cinq facteurs, tenant compte du processus de mondialisation, de notre place au sein des différentes stratégies économiques et géo-politiques.

Premièrement une bonne gouvernance interne (solidité et moralité des institutions), ce qui est loin le cas en Algérie caractérisée par une corruption socialisée, le manque de visibilité et de cohérence dans la démarche de la politique socio-économique. Il faut d’abord répondre à cette question stratégique : que voulons nous et où allons nous par rapport aux réformes car la rentabilité des fonds souverains s’inscrivent dans le cadre d’un marché mondial concurrentiel et NON dans le cadre d’une économie administrée et de surcroît bureaucratisée à l’extrême comme en Algérie ?

Deuxièmement la gestion des ressources humaines par la revalorisation du savoir, dont une spécialisation très fine dans l’engeerenie financière et le management stratégique qui nécessitent un minimum de 10 ans d’expérience. Or l’actuelle politique salariale ne privilégie pas les compétences mais les emplois rentes. Et même si l’on fait appel à des spécialistes étrangers comment les contrôler ?

Troisièmement avoir à la fois un système financier national performent ,ce qui est loin d’être le cas avec des banques qui sont des guichets administratifs totalement déconnecté des réseaux internationaux, et une bourse en léthargie, des entreprises d’Etat en difficultés achetant des entreprises d’Etat en difficultés, un inceste économique unique dans les annales de la finance.

Quatrièmement avoir une surface financière appréciable tenant compte des dépenses pour le développement. Avec les fonds placés à l’étranger ( que reste t-il de disponibles 85% placés à l’étranger selon le Ministre des Finances dans une déclaration à l’APN courant 2008 ), le programme de soutien à la relance économique de 150 milliards de dollars(2004/2008) données officielles qui ne tiennent pas compte des réévaluations , et 150 milliards de dollars 2009/2013, pour le nouveau programme public. Avec les dernières mesures gouvernementales drestriction de l’apport étranger donc utilisant presque à 100% les fonds publics, et avec la chute actuelle du baril et du prix de cession du gaz, la surface financière est donc relativement faible malgré les difficultés d’absorption qui a entraîné la mauvaise gestion à tous niveaux. Capacité financière d’autant plus réduite que les recettes de l’Algérie proviennent d’environ 1/3 du gaz , l’Algérie ayant réalisé d’importants investissements gaziers alors que selon le quotidien français le Monde du 15 août 2009, qui cite l’Agence économique et financière Breakingviews.com, le prix du gaz naturel a baissé de moitié aux Etats-Unis, à 3096 dollars par million de BTU (British Thermal Units) du fait de l’introduction de nombreux producteurs et de la faiblesse de la demande due à la crise mondiale. Si ce prix se maintient dans cette fourchette, et tenant compte du nouveau modèle de consommation énergétique qui se mettra en place entre 2015/2020, il sera difficile de rentabiliser sur une période raisonnable les investissements hautement capitalistiques. Par ailleurs, il faut être modeste, que représente ce modique montant cumulé sur plusieurs années du essentiellement à l’envolée des cours du pétrole (moins de 2 milliards de dollars d’exportation hors hydrocarbures dont 50% de ces 2 milliards sont des déchets ferreux et semi- ferreux) , par rapport à une année d’exportation d’un pays comme l’Allemagne qui a dépassé les 1500 milliards( 10 fois nos réserves de change) de dollars en 2008.

Enfin cinquièmement de revoir le code pénal dépénalisant les actes de gestion des acteurs économiques et éventuellement choisir un bon partenariat. Car, aller à la bourse c’est comme aller au casino, pouvant gagner mais également perdre (la définition de l’entreprise c’est la prise de risque dans un environnement incertain) en jouant sur la loi des grands nombres.

Aussi, pour l’ensemble de ces raisons, pour le cas de l’Algérie, je pense objectivement que cela implique d’être prudent, les conditions n’étant pas actuellement remplies.

Docteur Abderrahmane MEBTOUL Professeur d’Université économiste