Reportage à Alger. Le data center de Sidi Abdellah ou les boîtes noires du web algérien

Redaction

Non, les activités du web ne se déroulent pas dans un monde éthéré, mais sollicitent des machines bien physiques. Internet fonctionne principalement grâce à de gigantesques infrastructures terrestres appelées data centers, encore peu nombreuses en Algérie. Reportage dans l’une d’entre elles, située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest d’Alger.

Un terrain vague, de vagues clôtures… C’est ainsi qu’on pourrait décrire les abords du cyberparc de Sidi Abdellah, perdu au milieu des chantiers de construction chinois, quelque part entre Zéralda et Douera, communes d’Alger. Abritant depuis 2009 pas moins de 35 start-ups, le site est accessible uniquement par une vieille route défoncée, où les camions lancés à toute allure se croisent dans un nuage de poussière.

C’est pourtant ici, dans ces bâtiments ultra modernes surgis de nulle part, que pourrait transiter bientôt une bonne partie de l’Internet algérien. En effet, l’endroit héberge les serveurs d’Electronic Business Services (EBS), qui constituent l’un des trois data centers d’Algérie – avec ceux d’Issal (Oran) et du Centre de recherche sur l’information scientifique et technique (CERIST, rattaché au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique).

La superficie totale est encore inférieure à 100m² et l’entreprise ne compte pour le moment qu’une dizaine de salariés pour une centaine de clients, mais ce secteur d’activité est en plein boom depuis que les autorités algériennes ont exigé que tout site Internet, dont l’adresse contient le précieux « .dz », soit hébergé en Algérie.

« Les PME algériennes ne comprennent pas encore l’importance d’héberger leurs données localement »

Actuellement, seules les grandes compagnies qui possèdent leurs propres serveurs – Sonatrach, Cevital, BNP Paribas…- stockent leurs données dans le pays. Les autres sollicitent en grande majorité, et souvent sans le savoir, les services de sociétés informatiques basées en Europe ou en Amérique du Nord. Cela signifie que lorsqu’un internaute algérien souhaite consulter Algérie-Focus par exemple, sa demande transite obligatoirement par la France, où sont implantés les serveurs de la société WordPress qui gèrent ce site.

Quelques grosses plateformes – notamment le groupe dit « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon) – monopolisent aujourd’hui une grande partie du trafic Internet mondial. Le risque principal à terme, c’est que leurs serveurs connaissent soudainement une défaillance technique face à un nombre sans cesse croissant de sollicitations, ce qui menacerait jusqu’à la pérennité même du web. Le problème de la confidentialité se pose également quand les géants des technologies de l’information et de la communication (TIC) livrent aux autorités américaines les données récoltées sur leurs clients – à l’instar du scandale des écoutes de la NSA, révélé à l’été 2013 par l’ex-consultant américain Edward Snowden.

« Les petites et moyennes entreprises algériennes ne comprennent pas encore l’importance d’héberger leurs données localement », explique Yacine Sebihi, ingénieur système chez EBS. « Nous avons avons tout un travail de pédagogie à fournir afin de convaincre nos clients que cette solution leur permet non seulement d’aller plus vite, mais surtout leur garantit une sécurité renforcée ».

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Yacine Sebihi, ingénieur système au data center d’EBS, pointe les tuyaux brûlants qui servent d’évacuation au système de climatisation. (Crédits photo: AF)

Hébergement classique ou « back up »

Le data center de Sidi Abdellah, localisé à une vingtaine de kilomètres d’Alger, propose d’abord des services d’hébergement classique, c’est-à-dire de stockage des données de sites Internet ou de boîtes e-mail directement sur ses serveurs. Cette offre est destinée avant tout aux PME algériennes, qui n’ont pas forcément les moyens financiers pour développer leur propre système informatique.

Les grandes entreprises sont quant à elles intéressées par la fonction de « back up ». Une fonctionnalité qui leur permet de continuer à gérer leur réseau en interne, tout en sauvegardant aussi leurs données à l’extérieur en cas de défaillance technique de leur côté. Elles demeurent alors consultables depuis n’importe quel ordinateur grâce au « cloud computing » – le même principe qui permet aux photos prises depuis un i-phone, connecté à Internet, d’être envoyées quasi instantanément sur le compte Apple de l’utilisateur, et de ce fait d’être accessibles depuis n’importe quel appareil de la marque à la Pomme.

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Dans les hautes armoires se côtoient appareils électroniques, serveurs informatiques et dispositifs de refroidissement. (Crédits photo: AF)

Assurer un fonctionnement 24h/24, 365 jours par an

Très concrètement, toutes ces opérations se déroulent dans une petite salle de 35m², où sont installées deux imposantes colonnes noires face à face, séparées par un petit couloir accessible par une porte vitrée. Elles abritent évidemment quelques serveurs et appareillages électroniques, mais près de la moitié des compartiments est occupée par de gros climatiseurs.

En effet, il est impératif de maintenir la température autour de 22°C, et de conserver une humidité d’environ 50%. Jusqu’à 40% de l’électricité consommée par un data center est utilisé pour faire fonctionner son système de refroidissement, contre seulement 30% pour l’alimentation électrique des serveurs – le reste étant réparti entre les divers équipements de l’infrastructure. La facture totale est impressionnante : 1.000 KiloWatts/jour, soit autant d’énergie que pour alimenter quotidiennement 1.000 appartements.

La priorité est d’assurer coûte-que-coûte un fonctionnement 24h/24, 365 jours par an. Si le data center s’arrête, les sites Internet qu’il héberge ne sont plus accessibles. En cas de panne de courant, l’alimentation est transférée instantanément à de grands onduleurs situés à l’entrée, avant que quatre groupes électrogènes installés en sous-sol ne prennent le relais. L’ensemble répond aux normes internationales en matière de sécurité physique comme numérique, avec un système de cryptage et des pare-feux dernière génération, qui doivent régulièrement déjouer les attaques de pirates informatiques.

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Les fameuses « boîtes noires » du web algérien. (Crédits photo: AF)

L’auivalent de 30 centrales nucléaires pour alimenter en énergie les data centers du monde entier

La gestion des data centers relève d’enjeux stratégiques majeurs. Mais elle est aussi au cœur des préoccupations écologiques depuis quelques mois. En effet, des études ont montré que l’équivalent de 30 centrales nucléaires était nécessaire pour alimenter en électricité tous les centres de données du monde. Si bien qu’en 2030, la consommation énergétique de tout le web pourrait représenter autant que la consommation énergétique mondiale de 2008.

Face à cette situation alarmante, certains ont d’ores et déjà imaginé des alternatives plus respectueuses de l’environnement. Facebook a par exemple inauguré en juin 2013 une nouvelle ferme de serveurs dans le grand Nord suédois, afin de refroidir naturellement ses machines, et Yahoo! a diminué de 40% sa facture énergétique en pratiquant le « air cooling » aux abords des chutes du Niagara. Cette conscience verte ne semble pas avoir encore émergé en Algérie, où les investisseurs étrangers seraient nombreux à vouloir délocaliser leurs data centers, simplement pour bénéficier d’une énergie à moindre coût.

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