Lu sur Maghreb Emergent
Acheter des avions, ce n’est pas une politique des transports. Et dépenser de l’argent, ce n’est pas investir.
Amar Ghoul a été durement caricaturé par un analyste, qui a estimé sa participation au salon de la bande dessinée plus justifiée que sa place au gouvernement. La raison ? Le comportement primaire du ministre des transports, qui semble tout, absolument tout ignorer des règles du commerce. M. Ghoul ne se préoccupe pas de l’opportunité d’un investissement, de la qualité du produit à acheter, de son prix, de son impact, de la manière de l’acquérir et de ce qu’il faut faire pour le gérer. Ce qui lui importe, c’est acheter le produit. Point barre.
On lui a dit, il y a dix ans, que l’Algérie devait construire une autoroute, qui devait traverser le pays d’Est en Ouest. Alors, il l’a achetée. Il ne s’est pas demandé s’il était possible de créer de grandes entreprises pour les réaliser, s’il fallait y associer des entreprises algériennes qui prendraient ensuite le relais dans le domaine, ou encore si le projet devait se faire par étapes, pour mieux en maîtriser le coût et la qualité. Non. M. Ghoul s’est contenté de sortir ses chèques. Cela a débouché sur un prix initial de douze milliards de dollars, qu’il faudra, au final, multiplier par 1.5, avec les avenants, les retards, les surcoûts, les commissions, etc. Pourtant, un expert du FMI avait dit à l’auteur de ces lignes que le projet devait en coûter la moitié.
Ghoul remet ça aux Transports
M. Ghoul a remis ça dès qu’il a débarqué au ministère des transports. Dès son arrivée, on l’a convaincu que le secteur est sous-équipé, ce qui n’est pas un grand secret. Et là encore, M. Ghoul a exhibé ses chèques. En trois jours, il a virtuellement effectué pour 25 à 30 milliards de dollars d’achats, selon le même analyste. M. Ghoul a commencé par donner les instructions nécessaires en vue d’acheter 16 avions. « Dans les plus brefs délais », selon des comptes rendus de presse. Le lendemain, il décidait d’étendre le métro d’Alger jusqu’à des endroits insoupçonnés. Enfin, il a annoncé la prochaine acquisition de pas moins de 27 navires pour renforcer le pavillon algérien.
En agissant ainsi, M. Ghoul commet une multitude de fautes. Pour les contrats concernant l’achat des avions et des bateaux, M. Ghoul augmente les prix « d’au moins dix pour cent », par une simple déclaration, selon un économiste qui a géré de nombreux contrats similaires. Dès que M. Ghoul a fait sa déclaration, les compagnies susceptibles de vendre les appareils ont commencé à guetter les acheteurs algériens. Elles savent que les Algériens doivent acheter coûte que coûte, pour plaire à leur ministre, peut-être à leur président. Elles vont donc imposer leurs prix et leurs conditions. C’est élémentaire. C’est tellement primaire que seul M. Ghoul semble l’ignorer. A moins qu’il ne l’ai fait délibérément.
Un observatoire pour le commerce extérieur
Pourquoi un ministre algérien s’entête à acheter de la courgette le premier jour du Ramadhan ? Un dirigeant algérien qui gère des dizaines de milliards de dollars peut-il ignorer que « quand on va acheter de l’orge, il vaut mieux dire qu’on va acheter de l’avoine », selon un dicton de nos campagnes ? Comment peut-on accumuler ainsi les maladresses ?
Ce mal de l’économie algérienne lié aux importations a été diagnostiqué il y a un quart de siècle. Cela avait amené le gouvernement de l’époque à créer une structure modeste chargée d’aider les entreprises du pays à importer certains produits. Il s’agit de l’observatoire du commerce extérieur. Son rôle était de suivre l’évolution du marché, et de conseiller les entreprises à acheter café, sucre, céréales, etc. quand les produits étaient orientés à la baisse, et non à des échéances connues des vendeurs. « A cette époque, se rappelle un économiste, les prix des céréales augmentaient de quelques points dès que les acheteurs algériens débarquaient avec leurs gros sabots et leurs chèques ». D’où la nécessité de mettre en place de nouveaux procédés pour les importations.
Mais cette époque-là, c’était celle du parti unique, une période où une bureaucratie d’Etat gérait le pays en appliquant les orientations d’une direction politique sortie des maquis. La démarche a débouché sur l’impasse. Entre temps, l’Algérie a formé des managers, des économistes, des spécialistes du commerce, au moment où émergeait une nouvelle génération politique. Une génération avec de nombreux ministres qui confondent encore acheter des avions et avoir une politique des transports, qui confondent acheter des équipements et équiper le pays. Des ministres qui, au vu du syndrome Amar Ghoul, croient encore que dépenser, consommer, dépenser un budget et investir, c’est la même chose.