Lu sur El Watan
Le dinar algérien n’a jamais suscité autant de polémique depuis la forte dévaluation du début des années 1990 qu’aujourd’hui. Depuis l’annonce, il y a un peu plus d’une semaine, d’une chute d’environ 10% du taux de change du dinar algérien par rapport à l’euro et au dollar, la polémique enfle de jour en jour.
Malgré les explications et les justifications de la Banque centrale, ainsi que les assurances du ministre des Finances, industriels et agents économiques se relayent pour afficher leur crainte. Aujourd’hui, c’est au tour des économistes de se joindre au débat, d’autant que de nombreux observateurs avouent ne pas comprendre le discours développé par les autorités monétaires du pays.
C’est le cas notamment de l’analyste financier et boursier au sein de la banque d’affaires suédoise Carnegie, Noureddine Legheliel, qui affiche son étonnement par rapport au raisonnement de la Banque d’Algérie concernant l’évolution de la parité dollar/euro et du taux de change du dinar.
L’analyste, qui rappelle que la Banque d’Algérie a mis en avant une dépréciation du dinar par rapport à l’euro depuis 2010, s’interroge sur un fait immuable : le dinar a enregistré en 2012 une baisse de 11% par rapport au dollar et de 7% par rapport à l’euro.
Or, si l’euro a fortement chuté face au dollar en janvier 2011, en janvier 2012 et en juillet 2012, pourquoi le dinar ne s’était-il pas apprécié par rapport à la monnaie européenne durant cette période ? L’analyste poursuit son raisonnement, indiquant que certains facteurs reflètent certes une faiblesse de l’économie nationale et, par ricochet, de sa monnaie.
Il s’agit du différentiel d’inflation influant sur la parité pouvoir d’achat sur lequel s’appuient aujourd’hui les autorités monétaires pour expliquer la dépréciation du dinar, de l’absence de dynamisme de l’économie nationale et de la faiblesse des flux de capitaux étrangers.
Mais d’autres éléments et non des moindres plaident pour un dinar en bonne position. Le fait est qu’en plus de la stabilité dont jouit le pays, l’Algérie dispose d’une balance des paiements au solde positif.
Aussi la croissance du PIB se maintient au-dessus de 3% en plus d’une épargne interne de l´ordre de 27 milliards de dollars, de réserves de changes d’une valeur de 187 milliards de dollars et d’une faible dette extérieure ne dépassant pas les 3 milliards de dollars.
Pourquoi donc cette dépréciation ou cette dévaluation ? Certains s’aventurent à avancer que c’est pour coller aux recommandations du FMI que la Banque d’Algérie a opéré cette intervention.
L’institution de Bretton Woods avait en effet critiqué, en début d’année, non seulement l’expansion budgétaire ayant accentué la vulnérabilité des finances publiques, mais aussi l’appréciation du taux de change effectif réel, estimant que cela nuirait à la compétitivité extérieure de l’Algérie. Cependant, de nombreux économistes s’accordent à dire que la motivation première des autorités monétaires est politique.
DE LA MAÎTRISE DE L’INFLATION
C’est le cas de Mohamed Ghernaouet, expert financier et ex-cadre de la Banque d’Algérie, qui rappelle que la récente dévaluation du dinar est issue d’une décision du Conseil de la monnaie et du crédit (CMC) qui est aujourd’hui une instance éminemment politique car composée en majorité de représentants du gouvernement. Aussi s’interroge-t-il sur le fait que ce soit au CMC qu’incombe la décision de réviser le taux de change de la monnaie nationale.
Et d’ajouter qu’en cas de simple dépréciation, le directeur des changes au niveau de la Banque centrale aurait pu se charger de la gestion du taux de change suivant les critères fixés par la politique monétaire de cette institution, à savoir le taux d’inflation et le prix du baril de pétrole lequel, rappelle-t-il, se maintient toujours au-dessus de 100 dollars.
Pour M. Ghernaouet, la motivation des pouvoirs publics algériens est claire : il s’agit de baisser sciemment le pouvoir d’achat du dinar afin de limiter les importations.
Or, cette façon de faire est, selon l’expert financier, l’expression d’une politique de courte vue. Il rappelle ainsi qu’en 2009, les pouvoirs publics ont procédé à une dévaluation du dinar afin de limiter les importations sans pour autant arriver à des résultats concrets. Car, ajoute-t-il, ce qui alimente la hausse des importations c’est sans doute les dépenses de l’Etat et les programmes d’investissement publics.
Il met ainsi à l’index l’incohérence des politiques économiques, expliquant que la baisse du pouvoir d’achat du dinar s’oppose aux politiques d’encouragement à l’investissement comme c’est le cas avec la baisse des taux d’intérêt sur les crédits à l’économie.
Pour M. Ghernaouet, les mêmes causes conduiront sans doutes aux mêmes effets ; la baisse du pouvoir d’achat conduira certainement à l’augmentation des subventions aux produits de base et, par ricochet, à l’inflation.
M. Ghernaouet estime ainsi que la hausse des coûts à l’importation induira un renchérissement des prix des biens d’équipement et des biens de consommation non alimentaires. Ce qui aura pour effet non seulement d’alourdir les coûts pour les industriels, mais de «réduire la consommation des ménages algériens en lait et blé», a-t-il encore indiqué.
L’ancien cadre de la Banque centrale, qui estime que cette dévaluation est le reflet de la non-maîtrise de l’inflation, précise que l’autorité monétaire dispose de peu d’outils pour juguler la hausse des prix. Et ce, pour une raison essentielle : l’importance de la masse monétaire en circulation dans le secteur informel, que les banques n’arrivent toujours pas à absorber.
Des arguments non loin de nous rappeler les propos de l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Abderrahmane Hadj-Nacer, lequel indiquait il y a un peu plus d’une année que les raisons de la hausse de la facture des importations sont à chercher dans les réseaux de contrebande, de même que la dévaluation du dinar est en rapport avec la domination de l’informel sur l’économie nationale. Celui-ci avait d’ailleurs asséné que la valeur réelle du dinar est fixée par les cambistes du square Port- Saïd…