Revue de presse. « Il n’existe aucune obligation dans le Coran sur la question du voile »

Redaction

Lu sur Jeune Afrique

Figure de la pensée réformiste, la Marocaine Asma Lamrabet déconstruit méthodiquement les interprétations archaïques du livre saint, notamment celles relatives au statut de la musulmane.

Elle récuse les étiquettes de « féministe islamiste » ou de « militante » que lui ont accolées les médias. « Je suis simplement une chercheuse qui se pose des questions sur le texte religieux », précise d’emblée Asma Lamrabet. « Ce n’est pas parce que je porte un foulard que je suis forcément islamiste. Et le fait que je m’intéresse à l’image de la femme dans le Coran ne veut pas dire que je suis féministe », poursuit celle qui représente actuellement le mieux l’islam réformiste au Maroc et l’effort d’interprétation (ijtihad) qu’il suppose.

Asma Lamrabet : "Ce n'est pas parce que je porte un foulard que je suis forcément islamiste"
Asma Lamrabet : « Ce n’est pas parce que je porte un foulard que je suis forcément islamiste »

Directrice du Centre des études féminines en islam au sein de la Rabita Mohammadia des oulémas, une association placée sous la tutelle du roi, Lamrabet s’est fixé comme objectif d’en finir avec les préjugés nés d’une lecture littéraliste du Coran, à commencer par l’idée selon laquelle une femme qui porte le voile serait incapable d’aller aussi loin dans l’interprétation coranique des libertés individuelles.

Médecin biologiste de carrière, Asma Lamrabet passe au peigne fin le texte révélé, recensant tous les versets contraignants pour les femmes et expliquant, arguments à l’appui, comment leur interprétation a été rendue caduque par le contexte moderne. Voile, héritage, mariage mixte, tutelle de l’homme sur la femme (qiwama), interdiction de la mixité dans les mosquées… Autant de certitudes héritées de lectures figées du Livre saint et qui ne résistent pas à une relecture critique et contextualisée du texte sacré à travers le prisme des droits de l’homme. Une méthodologie à laquelle Lamrabet s’est toujours tenue sans jamais manier la langue de bois.

Tutelle de l’homme

Comme beaucoup de réformistes, Asma Lamrabet rappelle que le Coran a été révélé dans un contexte socioculturel donné et que toute tentative de reproduire ce contexte à l’heure actuelle relève soit de la bêtise, soit de « l’instrumentalisation politique ». « Depuis la Révélation, la qiwama de l’homme sur la femme a été très claire. Le Coran parle d’une responsabilité morale et matérielle de l’homme envers sa famille et non d’une supériorité ou d’une autorité quelconques », explique-t-elle. Pour arriver à ce constat, la chercheuse s’appuie sur les six versets relatifs à la tutelle. Cité une seule fois dans le Coran, le principe de la qiwama se trouve contredit par d’autres versets qui recommandent la coresponsabilité, le partage au sein de la famille et la notion de justice entre tous les fidèles, quel que soit leur sexe. S’inspirant des travaux du réformiste égyptien Mohamed Abdou (1849-1905), Lamrabet remet en perspective la qiwama, avec son corollaire, le principe d’obéissance (tâ’a), une pure production juridique qui a contribué à déprécier et à inférioriser les femmes.

Voile

« Je le dis haut et fort. Il n’existe aucune obligation dans le Coran sur la question du voile« , clame notre chercheuse. Le terme de « hijab » n’y signifie d’ailleurs pas « voile », mais « séparation ». À l’époque du Prophète, les femmes portaient ce qu’on appelle le khimar (foulard), par pudeur, piété ou convention sociale. Quand le Coran évoque ce dernier, il reste donc fidèle à son contexte. « Pour moi et pour certains penseurs réformistes, il s’agit d’une recommandation et non d’une obligation. Dans les textes religieux, quand il y a une prescription, sa non-observance est généralement assortie d’un châtiment. Or le verset qui fait référence au khimar n’en mentionne aucun, preuve que le port de celui-ci n’est pas obligatoire », explique Lamrabet, qui refuse de réduire le débat sur la femme à la question du foulard. Précision : la chercheuse n’appelle pas les musulmanes à ôter leur hijab mais à suivre leur choix spirituel en toute sérénité sans chercher à l’imposer aux autres au nom de la religion. Citant la polémique suscitée par le voile islamique en France, la réformiste marocaine estime que la priorité pour les femmes réside dans l’émancipation et le recouvrement de leurs droits : « Ne touche pas à mon voile, c’est bien, mais ne touche pas à ma liberté, c’est mieux. »

Héritage

La question de l’héritage est le sujet tabou par excellence. Pas même les associations féministes marocaines n’osent l’aborder tant la porte de l’ijtihad semble fermée face à ce verset « immuable » énonçant que la femme hérite de la moitié de la part de l’homme. Il convient cependant de rappeler que l’héritage des femmes a été introduit par l’islam à une époque où elles n’avaient strictement aucun droit et que cette disposition constituait en soi une révolution. Mais Lamrabet va plus loin en démontrant qu’une lecture contextualisée consacre l’égalité entre les sexes en matière d’héritage. Et de citer notamment la sourate IV, verset 32 : « Il revient aux hommes une part (nassib) dans l’héritage laissé par leurs parents ou leurs proches ; de même qu’il revient aux femmes une part (nassib) dans l’héritage laissé par leurs parents ou leurs proches. » Ce verset est la preuve que l’égalité existe bel et bien, comme l’avait d’ailleurs souligné l’exégète Ibn Kathir (1301-1373) dans Tafsîr Ibn Kathîr. Très souvent, Lamrabet invoque des interprétations anciennes et particulièrement avant-gardistes, mais qui ont été jetées aux oubliettes pour des considérations politiques.

Mariage avec un non-musulman

Autre sujet tabou – mais qui ne procède, en réalité, que d’une pure tradition culturelle, le ourf -, les mariages mixtes. Tout non-musulman souhaitant épouser une musulmane doit en effet se convertir à l’islam, alors qu’un musulman peut se marier avec une non-musulmane sans renoncer à sa religion. Justifiée alors par la filiation patrilinéaire et le souci d’éviter que les croyantes ne sortent de la communauté (la Oumma), cette inégalité vole en éclats à la lecture du verset 221 de la sourate II, prescrivant aux musulmans comme aux musulmanes d’épouser des croyants (mouminîne), ce qui inclut donc les Gens du Livre (Ahl al-Kitâb) en référence aux juifs et aux chrétiens, et interdisant aux premiers comme aux secondes de se marier avec des polythéistes (mouchrikîne). Ce qui vaut pour les hommes en la matière vaut donc aussi pour les femmes. Dans son Tafsîr al-Tahrîr wa t-Tanwîr, l’exégète tunisien Mohamed Tahar Ben Achour (1879-1973) affirme qu’il n’y a pas de texte interdisant expressément l’union conjugale entre une musulmane et un chrétien ou un juif. Si l’ensemble de la communauté des savants s’est accordé à proscrire cette union, c’est en s’appuyant sur le consensus (ijmaa), et non sur un texte. « J’ai envoyé le résultat de mon travail sur ce thème à des oulémas de différents pays. Je n’ai jamais eu de retour. Preuve que la question dérange ! » confie Lamrabet.

Courageuse, clairvoyante, un tantinet subversive, Asma Lamrabet reconnaît cependant faire preuve de frilosité par rapport à des questions d’actualité « qui [la] dépassent », comme l’homosexualité, alors que sa consoeur tunisienne Olfa Youssef a osé prendre position en affirmant que le Coran ne l’a jamais interdite. « J’ai beaucoup de difficultés devant cette problématique, inabordable pour le moment dans les sociétés musulmanes. Je ne veux pas braquer le système alors que la base n’est pas encore assainie », explique Lamrabet.

Au vu des réactions probantes qu’elle recueille dans ses conférences, Asma Lamrabet semble s’être tout doucement frayé un chemin dans une société longtemps maintenue dans l’ignorance et religieusement sclérosée faute d’ijtihad. Quant à la traduction de cette approche nouvelle dans la vie quotidienne, c’est une entreprise de longue haleine. Au Maroc, en matière de réforme de l’islam comme d’avancées politiques, il faut du temps au temps…