Lu sur Le Monde des Religions
Associer islam et alimentation conduit à penser « viande halal ». Pourtant, une minorité de musulmans revendiquent une alimentation non carnée et prônent une éthique animale. Un régime végétarien dont ils puisent la justification dans le Coran et l’éthique de l’islam.
Une communauté minoritaire mais active
Bien que très minoritaires au sein de la population musulmane, les végétariens sont néanmoins très présents sur Internet, avec nombre de pages Facebook, de blogs et de sites spécialisés sur le sujet. Le plus connu d’entre eux est sans doute le site de l’association Islamic Concern for Animals. Il est animé par Irfan Ali, mandaté par l’association américaine PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) qui, devant le nombre croissant de croyants musulmans parmi ses adhérents, eut l’idée d’une plateforme pour les accompagner au quotidien dans leur régime alimentaire. La communauté des musulmans végétariens est ainsi plus importante dans le monde anglo-saxon (la majorité des témoignages et blogs sont en langue anglaise) qu’en France, où ce régime alimentaire est globalement moins répandu qu’au Royaume-Uni, au Canada ou aux États-Unis.
L’animal dans le Coran
Le message coranique le plus souvent cité par les musulmans végétariens est l’enseignement selon lequel les animaux constituent des communautés comme celles des hommes. « Il n’est nulle bête sur la terre ni oiseau volant de ses ailes qui ne forment des communautés semblables àvous » (Coran, 6, 38). L’animal, en tant qu’objet de la Création au même titre que l’homme, a une place toute particulière dans le Coran, de nombreuses sourates portant d’ailleurs le nom d’un animal. Dans Animal Welfare in Islam, Al-Hafiz Basheer Ahmad Masri (qui fut l’imam de la mosquée de Working au Royaume-Uni) explique ainsi que « l’islam demande que nous pensions et agissions de façon positive envers les animaux qui ont leurs propres droits, en ne les jugeant pas selon nos critères humains et noséchelles de valeurs ».
Dans des textes concrets maintes fois commentés, le Prophète prêche la miséricorde pour les animaux. Par exemple, il raconte qu’une prostituée vit un chien dans la rue. Elle prit sa chaussure et la plongea dans l’eau d’un puits pour abreuver l’animal. En raison de cette action, Dieu lui pardonna tous ses péchés. De la même manière, une femme qui avait enfermé un chat en le privant de nourriture fut condamnée à l’enfer.
Si les animaux sont des créations de Dieu au sein des trois grandes religions monothéistes, selon Mohammed Hocine Benkheira, spécialiste du droit musulman, le christianisme aurait chosifié l’animal, créé au service de l’homme, alors que la tradition islamique considérerait d’une certaine façon les animaux comme des croyants à part entière. « Bien qu’on ne puisse pas réellement parler d’une Révélation qui leur soit propre, puisqu’ils sont dépourvus de langage, les animaux sont néanmoins des êtres obéissants et soumis à Dieu par nature. Ils sont dans un rapport direct àDieu. Le monde musulman est un monde enchanté, les hommes, les animaux, les esprits, les démons communiquent entre eux. Le monde occidental est totalement désenchanté, et son rapport àl’animal en est l’un des symptômes ».
L’islam et l’éthique animale
Dès lors, les musulmans végétariens considèrent qu’il s’agit de la meilleure et nécessaire attitude pour se conformer à l’exigence de respect et de compassion envers les autres créations de Dieu sur Terre. Ce motif est sans doute celui qui revient le plus souvent dans les témoignages que l’on peut trouver sur la toile : « Étant métisse et musulmane, vivant à New York, je suis confrontée au racisme et à la violence et je ne peux plus supporter que l’on perpétue cela. Élevée dans la tradition musulmane, j’ai étésensibilisée àla compassion sincère, àl’amour, àla responsabilitéenvers les autres êtres vivants, au fait de prendre soin des autres, non seulement envers les humains mais également envers les animaux, nos compagnons sur cette terre et durant ce voyage », témoigne une jeune femme.
Selon Omero Marongiu-Perria, sociologue et spécialiste de l’islam en Europe, le Coran insiste sur « la nécessité pour l’être humain d’observer le monde environnant et de vivre en harmonie avec lui. D’un point de vue moral, il est alors absolument condamnable de porter atteinte àun animal gratuitement ».
En islam, les jeux à caractère violent et agressif impliquant des animaux sont interdits, comme en témoignent certaines fatwas sur la tauromachie. Le Prophète interdit de prendre des animaux pour cible : si elle n’est pas formellement prohibée, la chasse est déconsidérée, sauf quand il s’agit de la nécessité de se nourrir. Les théologiens musulmans considèrent que les souffrances causées par l’homme ne sont pas justifiées et estiment que les animaux victimes de l’injustice des hommes pourraient recevoir une forme de récompense dans l’au-delà. Une sorte de « compensation » pour pallier la culpabilité du meurtre rituel.
De l’abattage rituel et de l’industrie du halal
Qu’en est-il alors de l’abattage rituel qui fait tant couler d’encre en France et en Europe ? Ses détracteurs brandissent justement l’argument de la souffrance animale due au non-étourdissement de la bête avant sa mise à mort. Pourtant, Omero Marongiu-Perria l’assure, l’islam, par son éthique de l’abattage, fait preuve d’un grand respect envers l’animal : « C’est une fausse polémique qui ternit l’image de l’islam et du judaïsme. À partir du moment où l’on admet un régime carné, il y a forcément souffrance car il y a mort de l’animal. Mais l’abattage est réglementépar toute une approche éthique : ne pas violenter l’animal, ne pas lui infliger de souffrance inutile, ne pas lui montrer le tranchant de la lame, ne pas le tuer devant ses congénères. Cela nécessite donc du temps. On ne peut pas abattre comme cela des animaux àtout bout de champ, on en abat pour la survie de l’espèce humaine. Il n’y a pas automatisme, mais relation entre l’homme et l’animal ».
Dans « Sanglant mais juste : l’abattage en islam » (Études rurales, 1998, n°147-148, pp 65-79), Mohamed Hocine Benkheira explique qu’au travers du rituel de l’abattage, l’animal n’est pas chosifié, sa souffrance n’est ni niée ni refoulée, le meurtre est civilisé. À l’inverse, la modernité et l’institution de l’abattoir dénigreraient la mort animale, mise au ban de la vie sociale : personne ne tue les bêtes, personne n’est coupable, et personne n’est au courant.
Le problème, selon un certain nombre de musulmans, est que ce constat peut maintenant également être fait dans l’industrie du halal, qui représente selon Omero Marongiu-Perria « un contresens ». « C’est de l’hypocrisie, même dans l’hypothèse où les conditions d’abattage seraient respectées. Non, un animal n’est pas licite (halal) dès lors qu’il a été séquestré, nourri avec des farines animales qui le rendent impropre à la consommation, etc. ». Dans ces conditions, nombre de musulmans végétariens revendiquent alors cette incertitude face aux origines de la viande pour justifier leur végétarisme : c’est le meilleur moyen de ne pas risquer d’ingérer du haram (illicite, interdit ; terme opposé de halal), et de s’assurer d’être un pieux musulman.
Islam et végétarisme compatibles ?
Conception du vivant et de la Création fondée sur l’éthique musulmane ou tactique pieuse pour se conformer le plus près possible aux préceptes et interdits de l’islam ? Plusieurs raisons permettent de concilier islam et régime non carné. Mais le végétarisme est-il réellement compatible avec l’islam ? De l’avis de Mohammed Hocine Benkheira, « un musulman peut tout à fait être végétarien. L’Aïd n’est pas une obligation, c’est juste recommandé ». Si plusieurs fatwasadmettent le végétarisme et ne le condamnent pas (à consulter sur le site Islamic Concerns for Animals), pour autant « l’islam n’est pas foncièrement végétarien. C’est une religion qui admet le sacrifice sanglant de l’animal ». Selon Azais Khalzi, naturopathe, l’islam n’a jamais incité au végétarisme. Il rappelle que cette religion demande à ce que les croyants préservent avant tout leur santé et adoptent un « juste milieu » dans leur alimentation pour favoriser une meilleure vie spirituelle : dès lors, si les protéines animales sont nécessaires à l’organisme, elles ne devraient pas être prohibées.
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