Lu sur le Monde
Deux fois par semaine depuis le mois de janvier, ils sont une douzaine à seretrouver dans le quartier parisien de Barbès, à deux pas de la permanence de leur champion : Ali Benflis, principal rival d’Abdelaziz Bouteflika, président sortant et candidat à un quatrième mandat à la tête de l’Algérie. Le 12 avril, le vote des Algériens de France débutera avec cinq jours d’avance sur le scrutin organisé le 17 avril par Alger. Près de 815 000 Algériens et binationaux sont inscrits sur les listes électorales des consulats algériens en France, ce qui fait de l’Hexagone la quatrième plus importante circonscription de l’élection.
« On refuse d’être gouvernés par un mort-vivant, lance Samira, une étudiante de 27 ans. On n’a pas le choix : il faut s’opposer au quatrième mandat. » Victime d’un accident vasculaire cérébral en avril 2013, M. Bouteflika, 77 ans, laisse seslieutenants faire campagne pour lui, et son état de santé demeure un mystère. Aux yeux de Samira, Ali Benflis constitue la seule option crédible. Affilié au FLN, le parti au pouvoir depuis l’indépendance, cet homme du sérail se positionne désormais en « homme du changement ».
A Barbès, les bénévoles se répartissent sur les points névralgiques de ce marché très fréquenté par les immigrés. Parmi eux, des étudiants et des jeunes travailleurs arrivés en France il y a quelques années, ou des militants plus âgés. Samira et le directeur de la campagne d’Ali Benflis, Saïd Naïli, se placent aux extrémités du métro et saluent les passants en arabe dialectal ou en kabyle. Ceux qui répondent se voient offrir le papier bleu estampillé « Chaque voix compte ».
« DEPUIS QUAND ON VOTE EN ALGÉRIE ? »
Plus frontale, Patricia-Fatima se place directement à l’entrée du marché et alpague les passants à tout-va : « Présidentielle algérienne ! Présidentielle algérienne ! » Elle milite depuis vingt-cinq ans, et précise tenir autant à son double prénom, témoin d’une culture duale, qu’à ses droits de citoyenne algérienne. Lancés à la cantonade, ses cris rivalisent avec ceux des vendeurs de fruits et légumes et attirent les curieux, à qui elle place d’autorité un tract entre les mains.« De toute façon, ceux qui votent, je les reconnais de loin. C’est tous ceux qui font la gueule, ils sont dégoûtés », ironise-t-elle.
Difficile de mobiliser : en 2004, seulement 33 % des inscrits sur les listes électorales françaises avaient participé au scrutin présidentiel. A Barbès, des attroupements se forment, le marché devient une agora. L’ambiance est au scepticisme : « Depuis quand on vote en Algérie ? ». On vilipende un vote inutile face à la « mafia qui mange l’Algérie ». Pour la majorité, Bouteflika ou Benflis, cela fait peu de différence. De toute façon, « c’est déjà passé, c’est passé », répètent en boucle les plus âgés en secouant la tête, visage fermé.
Un ancien policier confie : « Vous savez, moi, j’ai travaillé pour eux en Algérie, j’ai déjà surveillé les élections. C’est sans espoir… Ils ne mettent qu’un seul papier à côté de l’urne… » Un autre : « Je ne vote qu’en France, car il y a des vrais candidats. L’Algérie n’a pas de candidat. Ça me fait mal au cœur, on se moque des Algériens. »
Chiffres à l’appui, Patricia-Fatima croit pourtant sincèrement à la victoire de son favori. « Cette fois, on va gagner, c’est sûr ! Toute l’Algérie est avec Benflis. Il a mandaté 60 000 observateurs pour lutter contre la fraude pendant l’élection. On est à l’heure technologique, les urnes à double fond, c’est fini maintenant. »Comme pour lui donner raison, un passant s’arrête et lui prend une vingtaine de tracts, qu’il aimerait distribuer dans son immeuble, convaincu que le 17 avril sera un jour de fête « pour célébrer la victoire ».
Lire la suite sur Le Monde