Le mépris est une recette très facile à réaliser en Algérie. Une recette qui fait une entrée originale et goûteuse aux yeux de nos dirigeants dont les priorités sont uniquement déterminées par leur désir de se maintenir au pouvoir coûte que coûte. Et pour ce faire, rien n’est plus utile que le mépris.
Mépriser les uns, ceux et celles qui ne servent pas les intérêts des gens du pouvoir, et gâter les autres, ceux et celles qui servent de tremplin pour collectionner les mandats et les trônes. Le stratagème fonctionne à merveille depuis des lustres au pays où les franges défavorisées sont traitées avec indifférence. Preuve en est, nos malades cancéreux dont les souffrances redoublent d’horreur d’une année à une autre n’ont toujours pas attiré l’attention bienveillante de nos décideurs. Ces derniers multiplient les promesses, les engagements et les assurances. Mais, à la fin, on meurt toujours en Algérie lorsqu’on est cancéreux juste parce qu’on a pas la chance de bénéficier d’une séance de traitement en radiothérapie. Au pays des pétrodollars, des réserves de changes débordantes, des budgets faramineux et des méga-projets, un cancéreux est livré à lui-même. « Si tu as le cancer et tu n’as pas de relations, tu meurs en Algérie » ! La voila la devise tragique qui revient sur les lèvres de tous les malades atteints de cette mal ravageur. Pour un simple examen ou pour une ordinaire séance de radiothérapie, le traitement vire au cauchemar. L’espoir de la guérison laisse place à une envie de suicide qui terrasse continuellement ces malades affligés par leur sort, et surtout, par le mépris dont ils sont victimes au quotidien.
En réalité, en Algérie, un cancéreux meurt d’abord du mépris avant de succomber aux douleurs de sa maladie. Le Pr Bouzid, chef de service oncologie du Centre Pierre et Marie Curie au CHU Mustapha Bacha à Alger, a interpellé publiquement, au début de l’année en cours, les dirigeants algériens sur ce drame qui se déroule quotidiennement sous nos yeux. Ce médecin chevronné, qui a vu tellement de malades mourir devant lui, a assuré qu’un malade cancéreux bien pris en charge peut vivre normalement comme n’importe quelle autre personne atteinte de maladie chronique. Sauf qu’en Algérie, l’incapacité de l’Etat de prendre en charge toutes les personnes nécessitant une radiothérapie « assassine » des milliers de cancéreux par an. En Janvier 2013, sur les 28 000 personnes, seules 2 000 peuvent y accéder. Les autres doivent attendre avril 2014 à Alger et juin 2014 à Oran avant d’espérer avoir un rendez-vous ! Une situation chaotique qu’aucun raisonnement logique ne pourrait expliquer ou même justifier. Comment dans un pays riche comme l’Algérie, les appareils de radiothérapie peuvent faire cruellement défaut ? Le temps de débattre de cette problématique, plusieurs centaines de cancéreux risquent de donner leur dernier souffle. Que faire donc ?
Le Professeur Bouzid avait proposé de la manière la plus sérieuse de conclure des conventions entre les autorités algériennes et des centres de radiothérapie dans des pays ayant fait la preuve de leur compétence en la matière. Nos malades qui ont besoin en urgence d’un traitement peuvent être transférés à l’étranger pour se soigner en attendant que de nouveaux centres de radiothérapie soient opérationnels dans notre pays. Cette proposition n’a, malheureusement trouvé aucune oreille attentive. Aucun décideur n’a daigné l’étudier sérieusement. En revanche, nos autorités ont démontré une spontanéité déconcertante pour envoyer des milliers de supporters à Oum Dorman, en mobilisant des avions de l’armée et une impressionnante enveloppe budgétaire, au Soudan juste pour remplir les travées d’un stade. Dans quelques jours, la même spontanéité sera au rendez-vous puisque des centaines de supporters seront transportés jusqu’à Ouagadougou au Burkina Faso pour assister au match de l’équipe nationale de football. 6 appareils ont été d’ores et déjà mobilisés et l’Etat prendra en charge 50 % des frais du billet d’avion. Les organisateurs de cette opération, ce sont ces mêmes autorités qui ont été incapables d’organiser le départ de nos malades cancéreux vers des centres de radiothérapie à l’étranger.
Ce n’est pas le même enjeu. Un cancéreux ne votera pas pour le statut quo. Le cancéreux, on ne peut l’instrumentaliser pour acclamer la présidence à vie. Le cancéreux, il est trop fragile, souffrant, pour participer à un bain de foule ridicule. Sa maladie l’empêche de faire partie des béni oui oui qui renforcent le système dans ses certitudes. Un cancéreux connait, enfin, beaucoup mieux l’Algérie que ses supporters inconscients et écervelés. Le cancéreux, lui, il a bien vu, de ses propres yeux et a ressenti avec ses propres tripes mourantes, que les richesses de son pays ne sont nullement destinées à sauver ses concitoyens des affres des maladies. Le cancéreux, lui, il a bien vu que ces mêmes richesses sont la tirelire d’un clan, une oligarchie ou une clique de puissants hauts commis de l’Etat. Et le reste n’est, évidemment, que mépris…