Une dame d’origine camerounaise a été violée par huit hommes à Oran. Nous avons été les premiers à en parler. Par devoir mais aussi pour hurler à l’abomination. Huit monstres s’acharnent sur une femme sans défense. Des gendarmes racistes et un hôpital qui refuse de soigner des non-musulmans. C’est arrivé chez nous.
Simonne notre sœur, a eu le tort d’être femme, noire, catholique, étrangère et sans défense. Face a elle, huit « hommes, blancs, musulmans, virils et courageux ». On les a comparés à des bêtes sauvages. Je ne sache pas que les bêtes violent en bandes organisées. Elles ne sont pas lâches. Elles copulent par mutuel consentement ou après affrontement loyal. Seules les hyènes ou les charognards s’acharnent sur un animal blessé. Pardonnez-nous, les bêtes. Simonne a subi huit fois le viol et s’est défendue huit fois. Elle avait une dignité à défendre. Les autres n’en avaient pas.
Si le premier violeur est un malade, le deuxième ne l’est pas moins. Le troisième est un opportuniste, le quatrième un peu plus, le cinquième un lâche, le sixième un peu plus, le septième un obsédé, le huitième un refoulé sexuel et les huit sont tout bêtement des frustrés du sexe. Comme tous les frustrés, ils se fondent dans la masse et ne laissent rien paraître.
C’est notre société qui a engendré ces monstres et c’est elle qui doit les soigner. On ne nait pas obsédé sexuel. Ni frustré, ni pervers, ni raciste. On le devient. Et c’est beaucoup plus probable quand la société donne un coup de pouce et que le Pouvoir laisse faire.
D’un côté il y a les nouveaux prédicateurs qui diabolisent l’inaccessible, qui n’avancent qu’à coups d’interdits et qui fantasment sur les paradis des autres. Et de l’autre il y a ceux qui laissent faire pour l’illusion de la concorde, et qui devant les frustrations qui nous rongent, nous disent : « armons-nous et …partez »
Les anthropologues et les sociologues peuvent nous fournir les clés pour tenter de comprendre la complexité de l’attitude de l’homme vis à vis de la femme, dans nos sociétés où tout est dans le non-dit, ou dans le « on vous l’avait bien dit ». Nos traditions et notre culture ont ceci de particulier qu’elles idéalisent la femme tout au long de sa vie. La petite fille, la sœur, la femme, la mère, la grand-mère sont aimées, adulées, respectées et parfois vénérées. Mais curieusement, cela est souvent circonscrit au seul périmètre familial dans lequel se forgent le sens de l’honneur et de la dignité. Mais au delà de cet espace, la visibilité est réduite et le brouillard s’installe carrément dans le cœur et dans la tête des hommes. Dans les cafés, dans la rue, dans les mosquées. La femme est adulée et diabolisée. Chez nous cela relève de la schizophrénie. La jeune fille qui passe dans la rue devient Satan personnifié si elle est belle et si elle porte beau ; si elle est en jeans, en jupe ou toute en cheveux. Curieusement, on s’arrange bien volontiers avec ce sacré diable qui permet de ce rincer l’œil à bon compte, de revivre les scènes du film porno qu’on a vu la veille en cachette, ou des scènes osées volées à la télé pendant que l’épouse et les enfants dorment.
Dans la rue, les « Aoudhou billah » et les « ya latif » collectifs au passage de jeunes filles non voilées, ne sont pas bon signe. Pire encore, ils trahissent souvent une hypocrisie collective. Pourquoi ? Parce que le bon musulman peut détourner son regard si le spectacle le gêne et doit s’abstenir de faire un commentaire verbal inapproprié. Il n’est ni juge ni moralisateur. La pudibonderie collective cache bien souvent des impulsions refoulées et dès qu’il n’y a plus de témoin et que le diable frappe à la porte, on s’empresse de lui ouvrir, pour l’insulter après, dès qu’il a le dos tourné. Le phénomène est bien connu. L’homme cède à la tentation, compose avec le diable, copule et accuse aussitôt la femme de l’avoir séduit et la traite de tous les noms.
En somme, le violeur ne pardonnera jamais à sa victime de l’avoir obligé à la violer. C’est elle qui doit s’excuser d’être belle. Ainsi en ont décidé les handicapés du savoir, les automates de la foi et les frustrés du sexe.
Les obsédés sexuels, victimes de leurs pulsions, peuvent être identifiés et au besoin neutralisés mais rarement guéris. Ceux qui sont frustrés du sexe, sont fondamentalement lâches et ne passent à l’acte que lorsqu’ils sont en groupe. Se poser la question de savoir comment ils peuvent trouver leur plaisir dans la violence c’est comme essayer de comprendre pourquoi les chiens de la meute aiment la curée. Une chose est certaine : c’est la lâcheté qui est aux manettes.
C’est la même lâcheté qui a poussé le gendarme à refuser son aide et à menacer Simonne et son mari de les mettre en prison.
C’est la même lâcheté qui a poussé le personnel soignant à refuser de porter secours à des non-musulmans.
Les gendarmes et les violeurs, ainsi que le personnel hospitalier ; en somme tous les héros de ce drame, ne méritent rien d’autre que la sévérité de la loi, en attendant le jugement de Dieu. J’ose espérer qu’ils n’ont pas le culot d’aller à la mosquée ni de se croire musulmans. Ou alors qu’on nous explique.
Nous sommes très proches de Simonne et nous n’avons rien à voir avec ces salauds. Nous ne dirons jamais assez à notre amie camerounaise, à son mari, à ses parents et à ses amis, combien nous avons honte et combien nous sommes terriblement…frustrés de ne pas faire vivre à ses bourreaux, les souffrances qu’ils lui ont fait endurer. Se couvrir la tête de cendre ne suffira pas. Nous ferons tout ce qu’il est possible de faire, pour que justice lui soit rendue et que les « héros » paient le juste prix de leur crime. Nous irons les attendre à la sortie du tribunal pour leur cracher à la figure et leur dire que nous les vomissons, eux et leurs semblables aussi longtemps que nous continuerons à croire à la justice divine et à espérer celle des hommes.
Aziz Benyahia