Benelhadj Mohammed, DG d’Al Atlas TV : « Ne serons-nous contents que quand chaque pizzaïolo aura sa chaîne de télévision ? »

Redaction

Al Atlas TV fait partie de ces nouvelles chaînes de télévisions privées algériennes qui peuplent nos écrans depuis quelques mois. Mais contrairement aux autres, le dernier né du paysage audiovisuel algérien affiche de grandes ambitions et promet de parler aux algériens sur un ton différent. Pour en savoir plus, nous avons rencontré Benelhadj Mohammed, Directeur Général Exécutif d’Al Atlas TV, qui s’est prêté volontiers et sans faux fuyant au jeu des questions et réponses. Dans cet entretien il nous décrypte les grands enjeux de la grille des programmes et le positionnement éditorial de cette nouvelle chaîne de télévision qui commence bel et bien à faire parler d’elle. 

– Al Atlas TV a fait son apparition dans le paysage audiovisuel depuis juin dernier. En à peine 3 mois d’existence, comment se porte la chaîne et quel premier bilan pouvez-vous dresser ?

– Si on tient compte des conditions d’émergence de ce nouveau canal, on peut parler de miracle. Imaginons le ramadan à cheval entre juillet et août, les administrations en somnolence profonde, les vacances. La chaîne se porte comme un bébé de deux mois et non pas trois. Née  prématurément, elle tente de prendre ses aises dans un paysage brouillé à l’envi, où chacun, « pour se singulariser », fait comme tous les autres, parce que « les Algériens aiment ceci ou cela ». L’offre, pour se différencier, doit s’armer de courage. Celui, notamment, de ne pas s’aligner sur le convenu. Le danger était, et demeure, de reproduire la platitude politique et le rance culturel dans lesquels se complaisent certains médias déjà installés. Je pense que nous pouvons parler, à propos d’Al-Atlas TV, de pari raisonnable sur un avenir de l’audiovisuel plus prometteur et porteur de qualité. C’est dans cette perspective que nous nous plaçons, et que nous orientons notre programmation. Cela dit, je pense sincèrement qu’il serait prématuré, et aléatoire, d’établir un bilan au bout d’un laps de temps si court, même si les retours que nous recevons sont assez favorables. Mais attendons encore quelques mois, et la mise en place de la nouvelle grille pour tirer les premières leçons de l’expérience.

– Pendant le mois du Ramadhan, Al Atlas TV a affiché de grandes ambitions à travers sa grille de programmes qui a compté des émissions diversifiées et des feuilletons algériens, syriens et turcs. Quel a été l’impact de cette grille sur le public algérien? Avez-vous recueilli le «feed-back» auprès de vos téléspectateurs ?

– Comme je viens de vous le dire, le vrai retour viendra plus tard, à travers des études d’opinions. Simple curiosité ? Nous avons été surpris par le nombre des téléspectateurs qui nous ont regardés. Comme une hirondelle ne peut faire le printemps, trois ou quatre émissions originales ne sauraient d’emblée faire la différence. Nous sommes en phase de construction. Nous verrons à l’usage mais l’idée est de se distinguer par la nouveauté dans le traitement des sujets et leur originalité. Nous prenons un peu de retard à cause des tournages et de la lenteur dans l’avancement des travaux de nos studios. Parce que nous les avons conçus selon des normes professionnelles d’avant-garde, leur construction demande une expertise qui n’est pas toujours disponible. Mais, c’est le prix à payer quand on place la barre très haut.

– Al Atlas TV se définit comme une chaîne généraliste qui privilégie la dimension culturelle de la société algérienne. Comment envisagez-vous imposer votre identité dans un paysage audiovisuel en ébullition avec l’émergence de plusieurs autres chaînes de télévision qui sont, par la même occasion, de véritables concurrentes ?

La concurrence, quand elle se traduit par l’émulation, est chose saine. A condition d’avoir quelque chose à égaler ou à surpasser. Les téléspectateurs algériens, ceux du moins qui ont surfé sur les programmes nationaux, n’ont pas eu trop de choix. Sous prétexte du mois de jeûne, propice à ce genre d’exercice, nous n’avons pas cédé à la tentation de la facilité, du gavage et de la tartufferie saisonnière. Al Atlas a privilégié une exposition moins tapageuse et une lecture conforme à son crédo résolument progressiste. Donc oui, nous accordons la primauté à la culture, entendue au sens le plus large qui soit, c’est-à-dire la culture extraite de son confinement idéologique et/ou religieux. Ce projet est porté par des républicains, militants de la citoyenneté et de son exercice effectif. Nos productions doivent concourir à l’éveil des consciences. Nous sommes algériens et fiers de l’être. Nous sommes constitués de tous les emprunts. Pourquoi n’en privilégier que certains plutôt que d’autres, quand nous pouvons nous revendiquer des lumières universelles (et l’islam des lumières n’est pas une formule creuse). Pardon de secouer des poncifs mais il faut de temps en temps rappeler les évidences.

– Al Atlas diffuse d’ores et déjà une émission politique. A l’approche de l’élection présidentielle de 2014, comment comptez-vous couvrir et traiter cet événement majeur de l’actualité nationale ?

Toutes nos émissions ne seront pas politiques. Le divertissement c’est pour divertir. Et nous comptons distraire nos publics par des émissions originales qui vont  littéralement « scotcher » notre public (comme nous l’annoncions dans notre précédent plan média). Cependant, l’événement que vous citez (et qui ne semble pas en être un pour la « classe politique », ni d’ailleurs pour une grande partie de la population) sera traité à la mesure de son importance. Je m’entends. S’il s’agit de faire semblant, nous ne sommes pas outillés pour. D’autres le sont par vocation et pour en être payés de retour. Nous faisons le choix de la culture disais-je. C’est-à-dire que nous prenons les contingences pour ce qu’elles sont : de froides banalités. Insignifiantes politiquement, elles nous laissent de marbre. L’Algérie s’ouvrira au réel quand les mortifères illusions se seront dissipées. C’est du reste notre espérance : qu’elles se dissipent le plus tôt possible.

Mais mis devant un vrai choix, nous assumerons nos responsabilités, nos valeurs éthiques et nos exigences. Et nous traiterons le sujet avec le respect dû aux personnes, la critique sans complaisance des projets (quand ils existent) et appellerons à l’engagement citoyen. Contrairement à ce qui a pu être murmuré çà et là, nous n’avons pas de chapelle commune. Si ce n’est l’Algérie. Certes, chacun a une idée du profil qui peut correspondre à l’attente citoyenne. Disons que pour l’heure l’offre politique n’est pas à la mesure de nos attentes !

– Quel sera votre positionnement éditorial par rapport aux candidats qui seront en lice pour l’élection présidentielle ?

Je viens de vous répondre. Ceux qui incarnent nos vœux de retour de l’Etat de droit (à l’Etat et au Droit), ne se sont pas encore manifestés publiquement.

– Avez-vous préparé de nouveaux programmes pour la rentrée sociale. Et si oui, pouvez-vous nous en parler un peu ?

C’est encore un peu tôt. Bien sûr que nous avons des programmes pour la rentrée. Je vous promets que vous en aurez la primeur.

– Dans un pays où le champ audiovisuel vient à peine de s’ouvrir, est-ce qu’il était facile pour vous de trouver le personnel aux compétences requises pour lancer une chaîne de télévision ?

Si vous me posez cette question, c’est que vous avez la réponse. Malgré tout, sachez-le, il y a de vraies compétences dans ce pays. Pas si rares que ça. Il suffit de les laisser s’exprimer.

-Etes-vous enfin optimiste quant à l’avenir du secteur audiovisuel en Algérie ? Qu’est-ce qu’il faudrait faire ou améliorer pour que des chaînes algériennes puissent rayonner à l’international ?

Cela dépend de quelle « ouverture du champ audiovisuel » il s’agit. Vous vous souvenez de « l’ouverture » des champs politiques et médiatiques de 1989 ? En l’occurrence, ce fut une béance. Cent cinquante partis, cent trente journaux. Pourquoi pas autant de chaînes de TV ? Ne serons-nous contents que quand chaque pizzaïolo aura sa chaîne ? Ce serait bien décevant, et contre productif, si c’est cela qui mijote dans la tête de certains.

Propos recueillis par Abdou Semmar 

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